Les droits subjectifs
Présentation
Les droits subjectifs sont les prérogatives on dit aussi les intérêts que le droit objectif consacre et sauvegarde au profit des sujets de droit, ce qui explique l’expression de droits subjectifs. Les sujets de droit sont essentiellement envisagés ici non pas comme des personnes soumises à un souverain, mais comme les supports des prérogatives reconnues et protégées par le système juridique.
C’est l’existence des droits subjectifs qui assure le fonctionnement du système juridique. Pour que coexistent harmonieusement les prérogatives et les intérêts des uns et des autres, l’existence et le régime juridique des droits subjectifs sont soumis à un ensemble de règles.
Droits subjectifs et libertés publiques
La notion de droit subjectif se distingue malaisément de celle de liberté publique. Entre elles, le rapprochement s’opère naturellement à la lecture des déclarations des droits (v. supra, nos150s.). Quand il est précisé, à l’article 2 de la Déclaration de 1789, que les droits naturels et imprescriptibles de l’homme « sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression », il apparaît bien que, notamment, la liberté aspire à un exercice aussi étendu qu’il est possible, du fait de la coexistence entre les hommes, et se montre rebelle à un cadre précis ordonnant son existence et sa destinée. Au contraire, la propriété se coule dans la forme d’une prérogative dont les caractères sont nettement précisés par le droit positif : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » (art. 544 c. civ.).
Reste qu’il peut être parfois difficile de distinguer les droits subjectifs des libertés publiques. La distinction se révèle pourtant d’autant plus nécessaire que des textes, déclarations et conventions internationales, plus nombreux que par le passé, s’ajoutant les uns aux autres, ont imposé une référence plus fréquente, dans tous les domaines du droit, y compris en droit privé, à des libertés publiques, à des droits de l’homme et à des droits fondamentaux.
Dans certains domaines, il est vrai, la matière sur laquelle porte la prérogative facilite le partage. Ainsi en est-il quand il s’agit de la participation des seuls citoyens à l’activité politique, par l’électorat ou l’éligibilité, sous réserve de l’ouverture aux ressortissants de l’Union européenne résidant en France quant aux élections municipales (v. supra, n° 182). Aussi bien l’article 7 du code civil dispose-t-il que « l’exercice des droits civils est indépendant de l’exercice des droits politiques, lesquels s’acquièrent et se conservent conformément aux lois constitutionnelles et électorales ». L’attribution de la qualité de national français ou de citoyen français ce qui n’est pas nécessairement identiquerelève du même ordre de considérations. Ainsi en est-il du droit à la nationalité, affirmé à l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).
Si l’on envisage d’autres droits, c’est encore dans le cadre des libertés publiques qu’on peut en traiter : liberté d’aller et de venir, liberté de parole, de pensée, d’expression, liberté de l’imprimerie, de la presse, de la communication audiovisuelle, liberté de conscience, liberté syndicale … Le fait que ces prérogatives soient souvent affirmées ou consacrées dans des préambules, des déclarations ou des dispositions générales, n’exclut pas qu’elles puissent trouver leur prolongement dans des droits subjectifs : ainsi la liberté de l’écrivain se prolonge dans le droit, matériel et surtout moral, de l’auteur sur son œuvre. Restent que les prérogatives considérées se manifestent avant tout dans les rapports de l’individu avec la puissance publique, dont les agents protègent contre les empiétements de l’Etat les libertés indispensables.
Les droits subjectifs se manifestent sinon exclusivement, du moins principalement dans la perspective des relations entre les particuliers individus ou groupements — soit dans leurs rapports entre eux, soit dans leurs rapports avec les biens. Ils sont de ce fait dotés d’une structure et d’un contenu caractérisé : droit de créance, droit de propriété, d’usufruit, de servitude … Mais force est de reconnaître que, plus l’on
se rapproche du statut de la personne humaine en tant que telle, y compris dans sa vie privée (v. supra, n° 174) ou familiale, plus le relief inhérent à la notion de droit subjectif s’atténue, sans que pour autant diminue la force de la prérogative reconnue au sujet de droit. Ainsi l’article 9, alinéa 1er, du code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
La distinction de la liberté publique et du droit subjectif se manifeste notamment au sujet de la condition du justiciable. Celui-ci dispose de la liberté d’ester en justice, c’est-à-dire de saisir les tribunaux français pour obtenir justice : il s’agit d’une liberté publique si fondamentale que le pouvoir d’accès aux tribunaux français est reconnu non seulement aux Français, mais aussi aux étrangers En outre, le justiciable est investi d’un droit subjectif : l’action en justice, qui « est le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » (art. 30, al. 1er, NCPC) ;
« pour l’adversaire, l’action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention » (al. 2).
Droits subjectifs et pouvoirs O II convient de distinguer le droit subjectif et le pouvoir. Ce dernier mot est, depuis longtemps, habituel en philosophie politique et en droit public : le principe dit de la séparation des pouvoirs a fait couler beaucoup d’encre; en droit administratif, la jurisprudence du Conseil d’Etat a permis l’élaboration de la théorie du détournement de pouvoir2 et, dans une réflexion transdisciplinaire, la doctrine a été amenée à comparer l’abus de droit (subjectif) et le détournement de pouvoir.
En droit privé, la notion de pouvoir a aussi été étudiée4. Elle est fréquemment utilisée dans le droit des incapacités lorsqu’il s’agit de déterminer les conditions dans lesquelles peuvent agir ceux qui représentent ou assistent les incapables. En matière de régimes matrimoniaux, la détermination des pouvoirs des époux sur les biens qui constituent le patrimoine du ménage biens propres de chacun d’eux, biens communs commande leur condition pécuniaire (v. par ex. art. 1421 s., c. civ.). Le contrat de mandat est non moins révélateur : c’est 1’« acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » (art.1984, al. 1er, c. civ.). On signalera encore, en matière de sociétés commerciales, l’existence de maintes dispositions relatives aux pouvoirs des dirigeants sociaux (ex. : L. 24 juil. 1966, art. 98, 113, 124, 437-4°).
Comme le droit subjectif, le pouvoir est une prérogative. Mais, à la différence du droit subjectif, le pouvoir permet à celui qui le détient « d’exprimer un intérêt au moins partiellement distinct du sien » au moyen d’actes juridiques ayant notamment pour effet d’engager autrui. La finalité des prérogatives est différente, ce qui explique les différences pouvant exister entre le contrôle de l’exercice des droits subjectifs et celui des pouvoirs (v. infra, nos 427 s.).
Plan
On envisagera successivement :
- Les sources des droits subjectifs ;
- Les titulaires des droits subjectifs .