Les sciences auxiliaires du droit
Le droit comparé
On laissera aux comparatistes le soin de disserter sur le point de savoir si le droit comparé est une science ou n’est seulement que l’application au droit d’une méthode comparative. De toute façon, cette discipline, apparue d’abord sous l’aspect de la législation comparée, puis ayant plus ou moins élargi ses ambitions vers la jurisprudence, la doctrine, voire une certaine pratique, est ressentie à notre époque comme étant de plus en plus nécessaire au droit. Il convient d’observer d’ailleurs que la notion de droit comparé appelle, à plus d’un titre, une définition extensive : tout d’abord, parce qu’il est souvent artificiel de limiter son objet à la comparaison de règles se rattachant à des sociétés globales différentes, l’existence d’un droit comparé interne n’étant plus guère mise en doute, même à l’intérieur d’Etats non fédéraux ; ensuite, parce que, tel comportement étant ici régi par des règles de droit, mais ailleurs par des normes non juridiques, il est nécessaire de concevoir la notion de droit dans son acception la plus large.
On est porté à reconnaître au droit comparé deux fonctions : l’une documentaire, l’autre en quelque sorte normative. Dans la première direction, il tend à assurer une meilleure connaissance du droit étranger, ce qui est de plus en plus nécessaire aux particuliers, aux juges et aux législateurs, compte tenu de l’interdépendance politique, économique et sociale entraînée par l’accroissement des populations et le développement des moyens de production et de communication; en outre, comme par une sorte d’effet réflexe, lié au retour comparatif sur soi-même, la connaissance du droit étranger favorise une meilleure compréhension des solutions, des structures et des tendances du droit national. Dans une perspective qu’il n’est pas excessif de qualifier de normative, le droit comparé sert à l’amélioration du droit national, par suite d’une imitation raisonnable des lois, des jurisprudences, voire des pratiques ailleurs découvertes; de manière plus générale, il n’est probablement pas utopique d’y voir le moyen d’un vaste progrès du droit, voire de la paix, sous l’influence des divers courants qui tendent, avec plus ou moins de succès, à unifier les droits ou tout au moins à les harmoniser.
La sociologie juridique
Appelée aussi sociologie du droit, cette branche de la sociologie a pour objet l’analyse des phénomènes juridiques considérés comme des faits sociaux. Cette définition laisse place, semble-t-il, à maintes discussions sur la distinction malaisée de la sociologie juridique et de ce que les « juris-sociologues » ont parfois tendance, sans ironie, à qualifier de « droit dogmatique ». Il faut bien convenir que la querelle de frontière n’est pas négligeable, du moins en théorie. On est enclin, tout d’abord, à écarter un critère lié à la différence des domaines et consistant à réduire le droit à l’étude des règles, tandis que la sociologie juridique analyserait les causes de celles-ci, car le droit s’est souvent préoccupé de l’analyse de ces causes (historiques, sociales, politiques …) et les juristes ne dédaignent pas l’étude des forces créatrices du droit, ni celle de son devenir; inversement, la sociologie éclaire notamment la perception du sens des textes.
Sitôt abandonnée cette séparation artificielle, les obstacles augmentent. Et certaines issues doivent être vite écartées : ainsi ne peut-on considérer qu’à la différence du droit, la sociologie du droit débarrasse les règles juridiques de leur caractère normatif, ce qui aboutirait à les dénaturer : le droit dans le fait ou, plus nettement, la normativité inhérente au phénomène juridique sont propres à l’objet même des investigations menées par le sociologue du droit. Aussi est-on plutôt enclin à penser que la distinction de ces deux branches du savoir résulte d’une différence d’attitude ou d’« angle de vision », le juriste étant à l’intérieur du système juridique, le sociologue se situant en dehors de celui-ci. A quoi l’on peut être parfois tenté de répondre que la notion de juriste est incertaine car le profane est, en un sens, un juriste qui s’ignore et que, sans rouvrir un débat sur l’objectivité scientifique, spécialement dans les sciences humaines, l’on peut estimer que le sociologue, qu’il le veuille ou non, fait lui aussi, peu ou prou, partie du système, ce qui substitue pour le moins à des différences de nature des différences de degré. La distinction des attitudes du droit et de la sociologie n’en demeure pas moins essentielle, spécialement au regard de l’analyse des rapports entre le fait et le droit, car la sociologie juridique comporte notamment une approche spécifique de l’analyse du fait hors du droit (règles excentriques, normes para-juridiques ou extra-juridiques…) ou du fait dans le droit, « assumé » en quelque sorte par celui-ci.
Sans oublier le rôle des pionniers, on doit constater qu’un essor de la sociologie juridique s’est produit en France depuis une trentaine d’années. Durant cette période, on a vu se préciser les méthodes de la sociologie juridique, qui traduisent l’adaptation de méthodes utilisées en sociologie générale (statistique, enquête sur le terrain, sondage d’opinion publique, étude de cas littéraires ou sociaux, démographie…) ou l’élaboration de méthodes liées plus directement aux manifestations particulières des phénomènes juridiques (recherche thématique sur les recueils de jurisprudence, analyse d’arrêts, …) Corrélativement, se sont dégagées les fonctions de la sociologie juridique, documentaire, voire normative, théorique ou pratique. Des recherches d’évolution tendent à discerner des courants gouvernant les transformations du juridique, tandis que des recherches de structure situent la règle par rapport à la réalité qui la sécrète et la reçoit, ou précisent les relations existant au sein d’un phénomène juridique (contrat, mariage, divorce, héritage, procès, etc.), ainsi qu’entre les phénomènes juridiques et judiciaires. En outre, l’analyse scientifique et systématique des connaissances, des opinions, des attitudes, des aptitudes, des images et des aspirations facilite et oriente, en maintes circonstances, les décisions du particulier, du législateur et du juge, la sociologie contribuant de la sorte, mais sans ordonner, au progrès du droit.
L’ethnologie et l’anthropologie juridiques
Apparemment plus éloignées du droit que la sociologie juridique, ces deux sciences sont parfois confondues. A cet état des choses ou des propos, il y a probablement une raison d’ordre logique : si l’on considère, en effet, que L’anthropologie est, comme l’étymologie le dit, la science de l’homme considéré comme un genre, « le genre humain, dans la série animale ». il est assez naturel qu’on puisse mieux découvrir celui-ci en remontant à ses origines, c’est-à-dire à l’aide de l’ethnologie, qui est la science des peuples primitifs ou, pour parler un langage plus correct ou plus poli, archaïques.
L’ethnologie juridique, science des règles ou des institutions juridiques archaïques même si l’on en trouve des traces dans les sociétés industrielles évoluées a été principalement orientées sur l’opposition entre la rationalité des systèmes modernes et la mentalité prélogique des sociétés primitives, qui rejaillit notamment sur leur conception du temps, du contrat, de la propriété, de la responsabilité. On ne peut pourtant nier l’existence d’une rationalité parfois forte subtile au sein des sociétés dites archaïques.
L’anthropologie juridique tente de discerner, derrière les diversités des cultures et des droits qu’étudient le droit, la sociologie juridique et l’ethnologie juridique, ce qu’il pourrait y avoir de juridique dans le fonds naturel et, à ce titre, universel, de l’homme. On peut être alors conduit à découvrir ce fonds commun élémentaire dans la prohibition de l’inceste, voire plus largement dans la nécessité de l’échange et de la communication; mais la difficulté tient au fait qu’en quittant la zone des instincts pour celle du droit, on risque d’abandonner en même temps celle de la nature pour celle de la culture. Dans cet ordre d’investigations qui excitent la curiosité, on a formulé l’hypothèse d’un «protodroit», qui existerait dès l’apparition de la vie humaine; ce ne serait pas encore un véritable droit, mais une sorte d’élément social apte à se transformer sous des aspects divers en un ensemble juridique.