Autres sciences auxiliaires du droit
La logique juridique
Que l’on parle de logique du droit ou de logique juridique, le fait est que la matière a fait l’objet, depuis quelques décennies, d’études importantes qui ont secoué une assez longue torpeur, d’une manière générale ou plus spécialement au sujet de la logique judiciaire. On est, dans ces conditions, conduit à discerner plusieurs courants (sur les rapports entre droit et logique, v. aussi supra, n° 19).
a) Les uns reposent sur la fidélité à des attitudes, à des méthodes et à des raisonnements qui se relient soit au passé ancien de la logique classique, issue de l’Antiquité et renouvelée sous l’influence de l’essor des sciences expérimentales, soit à l’usage des ressources de la dialectique hégélienne dans le déroulement du raisonnement juridique.
Dans cette ligne de pensée, assez rigoureusement méthodologique, le renouveau des analyses a porté à mieux mettre en relief l’originalité de la démarche juridique, qui repose sur le passage nécessaire par la contradiction entre des thèses opposées, ce comportement se manifestant tout particulièrement à l’occasion du débat judiciaire. Ajoutons que, surtout lorsque le système juridique est très élaboré, l’existence de principes et d’axiomes favorise la démarche déductive dans la recherche des solutions.
b)Les autres courants s’ordonnent, dans des sens fort différents, sur des perspectives plus profondes de renouvellement.
Une voie difficile conduit certains à transposer en matière de logique juridique l’acquis de la logique mathématique moderne ou logique symbolique l’adaptation ayant donné naissance à une logique déontique dont l’ésotérisme a, du moins jusqu’à présent, suscité une certaine résistance passive des juristes.
Tout différent est le chemin de la rhétorique juridique, ouvert ou rouvert sous l’influence des remarquables travaux réalisés en Belgique par C. Perlman ou sous son impulsion, plus précisément par le Centre national de Recherches de Logique. Il ne s’agit plus d’étendre au droit les modèles mathématiques. Au contraire, la pratique du droit, orientée dans le sens de nécessaires décisions, l’éloigne de la logique qui inspire les sciences exactes : celle-ci vise à la démonstration, à l’issue d’un « raisonnement nécessaire », tandis que la logique juridique se relie à un raisonnement simplement vraisemblable et repose sur l’argumentation.
L’argumentation
Parmi les multiples arguments qui contribuent à caractériser la logique juridique quatre sont plus fréquemment employés que les autres, quelle que soit la nature de la règle (législative, réglementaire, coutumière, jurisprudentielle …).
a)Argument a pari ou argument d’analogie. Si l’on suppose une règle de droit régissant une situation, l’argument d’analogie consiste à étendre cette règle à des situations semblables. En d’autres termes, il apparaît normal de soumettre aux mêmes règles de droit les rapports qui ne diffèrent que sur des points dont l’existence ne semble pas justifier un traitement différent. Ainsi l’ancien article 513 du code civil permettait d’interdire au prodigue d’aliéner ou d’hypothéquer ses immeubles ; dans le silence de la loi et par analogie, les tribunaux ont décidé que la constitution d’une servitude lui était alors interdite.
b)Argument a fortiori ou à plus forte raison. Il consiste à étendre une règle à un cas non prévu par l’autorité qui l’a édictée lorsque les raisons sur lesquelles elle est fondée se retrouvent dans ce cas avec une force accrue. Ainsi, de ce que l’ancien article 513 du code civil permettait d’interdire aux prodigues de vendre, il a été déduit qu’à plus forte raison, l’acte étant plus grave, ils ne pouvaient alors donner.
c)Argument a contrario. Une règle étant subordonnée à des conditions déterminées, on en déduit que la règle inverse est applicable lorsque ces conditions ne sont pas remplies. Ainsi, l’article 6 du code civil disposant qu’« on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs », on peut en déduire qu’il est possible de déroger par des conventions particulières aux lois qui n’intéressent pas l’ordre public et les bonnes mœurs. En réalité, cette conséquence repose aussi sur le fait, qu’en pareil cas, l’on revient d’une exception (la restriction de la liberté) à un principe de liberté contractuelle. Dans d’autres cas, l’usage du seul argument a contrario peut être dangereux : ainsi, de ce que l’article 102, alinéa 1er, du code civil dispose que « le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement », les tribunaux ont jusqu’à la réforme réalisée par une loi du 10 août 1927 décidé, a contrario, que les étrangers n’avaient pas de domicile en France .
La psychologie juridique
Bien que, du moins dans la théorie française du droit, les études de psychologie juridique soient rares, l’approche des phénomènes juridiques à partir de la psychologie peut être des plus fructueuses. On comprend aisément que, dans l’une de ses directions, la psychologie juridique se relie étroitement à la psychologie sociale et à ce titre soit inséparable de la sociologie juridique, au moins dans l’un des principaux courants de celle-ci. La présence, voire la pression de considérations sociales inhérentes au droit, qu’il s’agisse des cadres, des acteurs et des actes de la vie juridique, peut, dans cet ordre d’idées, alimenter de fructueuses réflexions. D’ores et déjà, on a vu se développer, ici ou ailleurs, des études éclairantes de psychologie judiciaire, non loin des préoccupations de la sociologie criminelle.
L’analyse des ressorts de la psychologie individuelle est de nature à améliorer la compréhension du droit. Les moralistes, surtout autrefois, n’ont pas négligé cette approche de la réalité humaine et sociale. De proche en proche, on s’aperçoit qu’il y a là une mine inépuisable de réflexions, notamment sur la parenté des maximes et des règles. Plus directement axées sur la psychologie juridique, on doit citer dans cet ordre d’idées les études développées sur le rôle du sentiment dans le droit.
Il convient aussi de tenir compte du développement de la caractérologie, qui n’est pas sans incidence sur l’approche du juridique, qu’il s’agisse de caractérologie individuelle ou de caractérologie (ou de psychologie) des peuples, par exemple à partir de la distinction, proposée prudemment par certains, des peuples introvertis et des peuples extravertis.
L’essor de la psychanalyse n’a pas laissé insensible l’univers des juristes. On a vu apparaître des études sur les relations entre la psychanalyse et le droit. Evidemment la démarche n’est pas la même, y compris en droit, suivant qu’on est fidèle à Freud ou à Jung et, à plus forte raison, suivant la position que l’on adopte par rapport aux multiples écoles ou maisons de la psychanalyse.
La linguistique, la sémiologie et la sémiotique juridiques
Le développement de la linguistique juridique s’est tout naturellement orienté vers des réflexions relevant de la sémantique. Suivant le Vocabulaire de Lalande, celle-ci est cette « partie de la linguistique qui s’occupe du vocabulaire et de la signification des mots »; elle est une « étude historique du sens des mots considéré dans ses
Pourvue de sens, la langue est, suivant l’analyse décisive de Ferdinand de Saussure, « un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes… On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale; nous la nommerions sémiologie. Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent… La linguistique n’est qu’une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine bien défini dans l’ensemble des faits humains ».
Le signe se caractérise par une intention de communication et par la distinction du signifiant et du signifié. Son rôle dans la vie du droit est aisément observable, ce qui explique l’apparition de la sémiologie juridique. La difficulté première tient au fait que, pour être conforme à sa visée et opérationnelle, cette branche du savoir implique une définition nette de la notion de signe, alors que la vie juridique peut donner prise à des hésitations. On retiendra donc, à ce sujet, la définition proposée par M. Gridel : « instrument de l’information juridique, il devient un objet finalisé, un message réifié : le signe juridique est l’union d’un corpus et d’un animus » Le corpus est « objet de perception instantanée »; l’animus est « l’intention de communication juridique ». A la lumière de cette définition, M. Gridel a étudié le régime juridique des bornes de délimitation immobilière, de certains attributs vestimentaires insignes, robes ou uniformes et de la signalisation routière.
Il convient de ne plus confondre la sémiologie et la sémiotique. Bien que la définition de celle-ci suscite une grande diversité des approches et des opinions, deux différences paraissent devoir être signalées. D’une part le domaine de la sémiotique englobe l’ensemble des signes évoqués, et pas seulement la langue, même si c’est le signe par excellence. D’autre part, si la sémiotique concerne la langue, elle envisage celle-ci dans ses rapports avec la logique. On appelle encore « dans une première approximation sémiotique générale l’étude de ces rapports, l’étude comparée de la logique et du langage, ou, si l’on veut, l’étude comparée du langage scientifique et du langage ordinaire ». Dans cette perspective la sémiotique juridique consiste dans l’étude des rapports du droit, de la logique et du langage.
L’économie juridique
L’expression est nouvelle et peut surprendre. Elle renvoie à l’analyse des rapports entre le droit et l’économie, mais d’une manière inhabituelle dans la tradition de pensée européenne, surtout en France.
Certes, depuis l’Antiquité, les relations entre le droit et l’économie ont retenu l’attention des penseurs, toutes catégories confondues. Les influences réciproques de l’économie sur le droit et du droit sur l’économie sont notamment prises en considération au premier chef et depuis fort longtemps en droit commercial. La perspective retenue est alors essentiellement celle du traitement des phénomènes économiques par le droit, ce qui suscite à notre époque des difficultés grandissantes qu’il s’agisse de l’adaptation au droit de concepts flous à commencer par celui de « droit économique » ou de l’harmonie, sans cesse remise en cause, entre les solutions retenues, y compris par les faiseurs de textes. Sur le droit des affaires, v. supra, n° 86.
Or l’on peut imaginer aussi, du point de vue de la connaissance et de la compréhension des phénomènes juridiques, une démarche inverse. Dans cet ordre d’idées, on s’est, surtout outre-Atlantique, interrogé sur le coût des institutions et des mécanismes juridiques. Çà et là, on s’est déjà demandé en France à quoi pouvait répondre tel ou tel ensemble de règles ou de solutions juridiques, par exemple dans le droit des accidents de la circulation ou dans le droit de la faillite. Mais un courant de pensée plus systématique a favorisé l’analyse économique du droit. Ce courant original, fructueux, mieux encors indispensable, a pénétrée dans la pensée juridique française.