L’aveu judiciaire: aveu extrajudiciaire
Généralités
L’aveu consiste, de la part de celui contre lequel on allègue un fait, à en reconnaître l’exactitude. Il ne peut porter que sur une question de fait; il ne peut porter sur une question de droit. L’existence ou le sens d’une règle juridique ou la qualification juridique d’une situation, ne peut dépendre de l’aveu d’une partie. Il s’agit d’une nouvelle application de la distinction essentielle entre le fait et le droit, la détermination du droit relevant de l’office du juge.
Acte unilatéral censé dévoiler spontanément la vérité, sortant ainsi de la bouche même de celui qu’il engage ou accable, l’aveu produit effet indépendamment de toute acceptation de la partie adverse. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’il ait été fait dans la pensée qu’il pourra servir de preuve, mais il faut qu’il émane d’une volonté consciente et non viciée. Ainsi, selon certains, et l’on trouve de la jurisprudence en ce sens, il faut exiger que le déclarant sache, par l’affirmation qu’il profère, qu’il fournit des armes contre lui à son adversaire, qui sera ainsi dispensé de prouver les faits en invoquant la déclaration. On peut toutefois douter, en droit positif, de la permanence de cette condition : le droit actuel, jurisprudentiel ou législatif notamment lorsque le refus de prêter serment ou de comparaître est assimilé à un aveu, tend incontestablement à admettre de plus en plus des aveux simplement tacites, voire implicites, dès l’instant qu’ils sont sans ambiguïté, dans des situations où l’on peut sérieusement douter de la conscience de l’individu. Mais peut-être est-ce le droit positif qui, dans cette évolution, est critiquable en ce que l’aveu et la conscience qu’en a celui qui le fait seraient indissociables.
De toutes les preuves, c’est l’aveu qui paraît à première vue la plus convaincante. Cependant, l’aveu peut être contraire à la réalité des faits. Aussi a-t-il cessé d’être « la reine des preuves », notamment en matière pénale, et la loi n’attache pas toujours une force probante absolue à ce genre de preuve.
Recevabilité de l’aveu
L’aveu est en principe un mode de preuve admissible en toutes matières. D’une façon exceptionnelle, la preuve par aveu est cependant exclue, et cela pour différentes raisons.
Il arrive que la loi dénie expressément toute efficacité à l’aveu pour déjouer une collusion frauduleuse entre deux plaideurs, au détriment notamment de leurs créanciers (art. 1299 NCPC).
D’une manière plus générale, et indépendamment de toute précision formelle de la part du législateur, le fait même que l’aveu soit une manifestation unilatérale de volonté a pour conséquence d’en interdire l’usage dans toutes les matières où l’aveu emporterait la renonciation à un droit auquel il n’est pas permis de renoncer, ou dont on ne peut disposer. Le libéralisme que le législateur contemporain a manifesté dans les réformes du droit de la famille a toutefois entraîné la suppression de certaines exclusions de la preuve par aveu (art. 259 c. civ.).
Étant donné la gravité des conséquences de l’aveu, le sort du procès en dépendant, une certaine capacité est nécessaire pour qu’un aveu soit valable : celle de disposer de l’objet de la contestation, lequel, on l’a vu, doit déjà par nature être disponible. Ainsi l’aveu fait par un mineur ou un majeur en tutelle n’a pas force probante. Pour les mêmes raisons, au regard du pouvoir, l’aveu du tuteur du mineur ou du majeur en tutelle n’a de force probante que s’il a trait à un droit dont son pouvoir de gestion lui permet de disposer. D’une façon plus générale, le mandataire, même muni d’un pouvoir général, ne lierait pas son mandant par un aveu : il doit être muni d’un pouvoir spécial (art. 1356, al. 1er, c. civ.).
L’aveu judiciaire. Définition
L’aveu judiciaire est «la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial » (art. 1356, al. 1er). En justice, c’est-à-dire devant le juge compétent, soit dans des conclusions écrites, soit verbalement à l’audience ou dans un interrogatoire lors de la comparution personnelle des parties. Il est d’ailleurs remarquable que cette comparution puisse être ordonnée d’office par le juge et que le refus ou l’absence de réponse ne soit pas dénué de force probante, mais constitue un commencement de preuve par écrit (supra, n° 554). Cependant, le silence ne saurait, sauf exception (supra, n° 585), être constitutif de l’aveu lui-même.
L’aveu doit être fait pendant l’instance au cours de laquelle est débattu le fait que cet aveu concerne. Un aveu intervenu dans une autre instance, fût-ce entre les mêmes parties, ne vaudrait que comme un aveu extrajudiciaire. C’est notamment le cas d’un aveu intervenu dans une instance pénale dont une partie à une instance civile voudrait se prévaloir. Enfin, un aveu qui émanerait d’un tiers au litige ne vaudrait que comme témoignage.
Force probante de l’aveu judiciaire
L’aveu « fait pleine foi contre celui qui l’a fait » (art. 1356, al. 2) : le juge, quelle que soit son intime conviction, doit tenir pour exacts les faits avoués. Cette force probante tient à ce que les conditions dans lesquelles la partie profère son aveu ne permettent pas de croire qu’elle n’a pas mesuré la gravité de sa déclaration.
On peut également penser que l’aveu judiciaire a aussi, non pas pour simple effet, mais pour fonction de lier le juge sur les faits qui constituent le débat. L’aveu est alors moins un mode de preuve qu’une manifestation du principe dispositif qui laisse aux parties la maîtrise des termes du litige. Ainsi, dans la procédure de divorce sur demande acceptée, dite « sur double aveu », il est caractéristique que ces aveux ne puissent même pas valoir aveu extrajudiciaire dans une autre instance (art. 236).
Indivisibilité de l’aveu judiciaire
L’efficacité de l’aveu judiciaire souffre toutefois une restriction, tenant à son indivisibilité. L’article 1356, alinéa 3, du code civil dispose en effet que l’aveu « ne peut être divisé contre » celui qui l’a fait. L’aveu doit être pris tel qu’il se présente, sans qu’il soit permis à la personne à laquelle il bénéficie d’en retrancher quoi que ce soit, selon son intérêt.
L’application de la règle est parfois délicate, en ce qu’il faut distinguer selon qu’on se trouve en présence d’un aveu simple, qualifié, ou complexe.
S’il y a eu aveu pur et simple d’un fait, il n’y a aucune difficulté, la division de l’aveu ne se concevant pas.
Mais l’aveu peut avoir été qualifié. On appelle ainsi l’aveu qui, tout en reconnaissant un fait, lui donne une couleur ou y relève une circonstance qui en altèrent les effets juridiques. Ainsi une personne reconnaît qu’on lui a prêté 1 000 francs, mais sans intérêts, ou encore qu’on lui a remis des objets, mais à titre de don manuel et non à titre de dépôt. En pareil cas, le principe de l’indivisibilité interdira à celui qui invoque l’aveu d’en conserver la partie seulement qui le sert, en tirer la seule preuve de la remise de 1 000 francs ou des objets, en déniant et en mettant son adversaire en demeure de prouver les circonstances dont il a coloré son aveu la gratuité du prêt ou l’intention libérale à son égard.
L’aveu peut encore être complexe, lorsqu’il ajoute au fait avoué un fait distinct, mais qui se rattache à lui. Par exemple, un débiteur reconnaît sa dette, mais ajoute qu’il l’a remboursée ou encore qu’il est d’autre part créancier de son créancier et qu’il y a compensation.
La mise en œuvre de l’indivisibilité dépend du lien qui existe entre les faits ainsi réunis dans l’aveu. Il y a indivisibilité lorsque le second fait adjoint au premier est connexe à celui-ci. Cette connexité peut être relevée d’office par le juge. Et il en est ainsi lorsque le second fait ne peut avoir eu lieu si l’on ne suppose pas l’existence du premier. Dans l’exemple donné, on ne pourra tenir pour certaine l’existence de l’obligation et dénier le fait du paiement. Au contraire, si le second fait n’est pas connexe au premier, c’est-à-dire si, tout en restreignant les faits, il peut avoir eu lieu sans que le premier se soit produit, il n’y a pas indivisibilité. Par exemple, le défendeur, en avouant qu’il doit 1 000 francs, ajoute que sa dette est éteinte par l’existence d’une créance de pareille somme à son profit, ce qui a entraîné compensation. Le demandeur serait, en ce cas, admis à invoquer l’aveu de la première obligation, tout en déniant la sienne. Pourtant, dans son dernier état, la Cour de cassation paraît bien revenir à des solutions plus simples et s’en tenir strictement au principe de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire.
Cette jurisprudence atteste la tendance des tribunaux à chercher, afin de statuer selon leur intime conviction, à échapper au régime de la preuve légale, manifestée ici par l’aveu judiciaire qui a le pouvoir de lier le juge. Ils parviennent ainsi, en limitant le domaine de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire, à retenir l’aveu principal, lorsqu’il a déterminé leur conviction, tout en rejetant les déclarations connexes qui leur semblent mensongères. Il est d’ailleurs remarquable que l’indivisibilité de l’aveu n’existe pas en matière pénale. Sur cette tendance générale du droit, législatif et jurisprudentiel, à se rapprocher d’un système de preuve libre, v. supra, n° 519.
Irrévocabilité de l’aveu judiciaire
Une fois fait, l’aveu judiciaire est en principe irrévocable. Il peut cependant être rétracté pour cause d’erreur (art. 1356, al. 4). C’est la conséquence de la définition même de l’aveu comme mode de révélation de la vérité. L’on comprend aussi que, par le même parallélisme, l’aveu ne pouvant porter que sur un fait (supra, n° 585), la loi ajoute que la seule erreur justifiant une rétractation est l’erreur de fait : par exemple, venant d’hériter d’un parent, une personne avoue l’existence d’une dette que le défunt avait contractée ; plus tard, elle découvre une quittance constatant que la dette était éteinte; elle peut rétracter l’aveu. Au contraire, l’aveu ne peut pas être révoqué pour cause d’erreur de droit, l’auteur de l’aveu n’en ayant pas aperçu les conséquences juridiques exactes. Ainsi l’héritier ne saurait rétracter l’aveu qu’il a fait d’une dette de la succession, en alléguant qu’il ignorait que sa qualité d’héritier l’engageait à payer intégralement la dette de son auteur. Nul n’est censé ignorer la loi (supra, n° 399).
L’aveu extrajudiciaire. Notion
L’aveu extrajudiciaire se définit négativement : il est tout aveu qui ne correspond pas aux conditions de l’aveu judiciaire. Les aveux les plus variés peuvent donc être extrajudiciaires, notamment l’aveu fait dans une autre instance (supra, n° 586), celui reçu par un officier ministériel ou un mandataire de justice, ou inclus dans une lettre, ou découlant d’une déclaration orale.
N’ayant pas été fait devant le juge saisi de la contestation, l’aveu extrajudiciaire doit être établi dans le procès concernant le fait avoué. Le mode de preuve utilisé à cette fin devra être lui-même admissible : s’il est consigné dans un écrit émanant de l’auteur de l’aveu, on se référera aux règles de recevabilité de la preuve littérale; s’il est oral, à celles propres aux témoignages (art. 1355); et s’il s’agit d’une déclaration relatée dans des documents étrangers à l’auteur de l’aveu, à celles relatives aux présomptions.
Force probante
Dans le silence de la loi, on estime qu’elle est laissée à l’appréciation des tribunaux, le juge restant libre d’être ou non convaincu de la véracité des faits rapportés.
Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire peut être divisé sans restriction, si le juge l’estime nécessaire. Enfin, cet aveu peut être rétracté, le juge restant là encore libre d’apprécier ce qu’il doit penser de la valeur de cette rétractation, compte tenu des circonstances de la cause.