Droit international public : Les sources
Le traité, la convention ou l’accord, quelle que soit la dénomination, sont la principale source du droit international. Il en existe cependant quelques autres que le juge international pourra utiliser : la coutume ou les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.
A. La coutume
La coutume est du droit non écrit qui s’est imposé avec le temps. Dans la mesure où les normes sont de plus en plus écrites, il s’agit d’une source marginale. Pour être reconnue comme coutumière, une norme doit répondre à deux critères. D’une part elle doit être répétée — c’est- à-dire qu’il doit exister un certain nombre de précédents : c’est l’ élément matériel. Mais celui-ci ne suffit pas, il existe un élément psychologique, Yopinio juris : la conviction qu’a l’État de se conformer à une règle juridique. La réunion de ces deux éléments est souvent délicate à déterminer, car il convient de distinguer la coutume de l’usage. Une coutume peut se forger de manière rapide, voire instantanée.
Cette règle non écrite fait généralement l’objet d’une codification. On écrit la règle non écrite. Les conventions de codification sont de plus en plus nombreuses depuis la seconde moitié du XXe siècle. Cela tient à la volonté de préciser la règle, ainsi qu’à la nécessité d’associer les nouveaux Etats nés au cours de cette période et qui se voyaient impo¬ser des règles créées sans eux. Les grands domaines du droit ont fait l’objet de telles codifications : il suffit de citer le droit de la mer à Genève en 1960 et 1962, puis à Montego Bay en 1982, ou le droit des traités àVienne en 1969. Cette codification n’interrompt pas le proces¬sus de création du droit. A une convention de codification peut succé¬der une nouvelle coutume.
B. Les principes généraux de droit
Les principes généraux de droit, issus des droits internes et internatio¬nalisés, sont une source importante qui permet de suppléer les carences du droit international. Ils occupent une place importante dans le droit international des droits de l’homme.
C. Les traités
Ce sont les traités qui posent le maximum de questions juridiques, les¬quelles tournent autour de deux points principaux : comment sont-ils conclus ? Quelle est leur valeur ?
Ces deux questions en soulèvent deux autres. En effet, la conclusion aussi bien que la valeur doivent être envisagées sous le double angle du droit international et di droit interne. Puisque ce sont des Etats qui s’engagent, deux systèmes juridiques sont concernés.
1. La négociation des traités
Tout instrument est négocié de manière plus ou moins longue, les traités multilatéraux risquant de prendre davantage de temps.
La fin de la négociation est marquée par le paraphe ou la signature. Pour certains accords, la signature vaut engagement de la part de l’État, il s’agit d’ accords en forme simplifiée. Pour d’autres, les accords en forme solennelle, la signature n’est qu’une étape. Dans ce cas existent une ratification, une approbation ou une adhésion. Ce sont elles qui marquent l’engagement de l’État. Ainsi, la signature n’a pas la même signification dans tous les cas. Un Etat peut parfaitement signer un traité qu’il ne ratifiera pas ou qu’il ratifiera très tardivement : la France a signé la Constitution pour l’Europe, mais ne l’a pas ratifiée, du fait du refus populaire.
L’entrée en vigueur est une étape qui, elle aussi, dépend du type d’instrument :
- Si l’accord bilatéral entre en vigueur, en général dès sa signature ou sa ratification, les accords plurilatéraux entrent en vigueur quand un certain nombre de ratifications fixées par leurs dispositions sont acquises. Ce peut d’ailleurs être l’unanimité, comme pour la Consti¬tution de l’Union européenne.
- Les conventions multilatérales prévoient des nombres variables de ratifications ou d’adhésions : 35 pour les deux Pactes de New York de 1966,20 pour la Convention internationale des droits de l’enfant
ou 60 pour le statut de la Cour pénale internationale. Le temps écoulé peut donc être plus ou moins long.
Tout cela signifie que ce n’est pas parce qu’un Etat a ratifié un traité qu’il est lié. Les Etats ayant ratifié un traité qui n’est pas encore en vigueur ne sont pas liés entre eux. En revanche, lorsqu’un Etat ratifie un traité en vigueur, il est immédiatement engagé. Cela crée ainsi deux types d’Etats : les pionniers, qui ratifient un traité dont ils ne savent pas si et quand il entrera en vigueur, et ceux qui attendent.
La Convention deVienne sur le droit des traités de 1969 envisage également la question des possibles vices du consentement tels que l’erreur, la violence, etc. Elle traite en outre de l’évolution des circonstances, des questions d’interprétation et de la fin du traité. Un traité naît, vit et meurt, et chaque étape est soumise à des règles de droit.
C’est le droit interne qui détermine les procédures et les autorités compétentes pour engager l’État. La Constitution française de 1958 consacre les articles 52, 53 et 54 à ces modalités. C’est le président de la République qui ratifie les « traités » et le gouvernement approuve les « accords ». Dans certains cas, pour les instruments les plus importants, une loi d’autorisation est exigée de la part du Parlement. Aujourd’hui, en France, plus de 50 % des lois votées sont des lois d’autorisation de ratification ou d’approbation. La loi est obligatoirement issue d’un projet gouvernemental et ne fait l’objet d’aucun amendement. En outre, à trois reprises depuis 1958, c’est le peuple qui a voté une telle loi : en 1972, en 1992 et en 2005.
2. La valeur des traités
La seconde question concerne la valeur du traité. Ici encore existent deux points de vue : que dit le droit international de la place du traité ? Que répond le droit interne à cette même question ?
En ce qui concerne la valeur du traité, il convient de noter qu’il n’y a pas, en principe, de hiérarchie entre les différentes sources et les différents traités. Cependant, l’article 103 de la Charte des Nations unies affirme qu’elle prévaut sur tous les autres traités. Par ailleurs, la Convention deVienne énonce que le traité doit respecter des normes impérati- ves qualifiées de normes de jus cogens. Il s’agit là de notions difficiles à cerner et que la Cour internationale de justice évite d’aborder de front, même si dans son arrêt du 3 février 2006 relatif: aux activités armées sur le territoire du Congo (RDCj c/Rwanda), elle a, pour la première fois, considéré que l’interdiction du génocide était une norme de cette nature. C’est sans doute dans le cadre des droits de l’homme que se situe l’essentiel de ces normes, ainsi que dans l’interdiction du recours à la force et l’agression.
D. Les relations entre le droit international et le droit interne
1. Le droit international par rapport au droit interne
Face au droit interne, la réponse du droit international est claire : ce dernier prévaut. Cette réponse repose sur la règle « pacta sunt servanda », règle des règles qui implique, logiquement, qu’un Etat qui a ratifié un traité doit l’appliquer de bonne foi. Il ne peut exciper de la situation de son droit interne pour en refuser l’application.
Dans l’hypothèse où le droit international poserait un problème de compatibilité, soit l’Etat ne s’engage pas, soit il révise les normes nationales contraires, soit il peut émettre des réserves. Cette dernière procédure suscite bien des interrogations : faut-il l’admettre ou non ? Le choix est entre la volonté de mettre l’accent sur la normativité, c’est-à-dire sur la qualité de l’ins¬trument et son caractère contraignant, et celle de mettre l’accent sur l’universalité.Vaut-il mieux qu’un moins grand nombre d’Etats acceptent davantage ou qu’un plus grand nombre d’Etats acceptent moins ?
La normativité est inversement proportionnelle à l’universalité. Dans les instruments les plus importants, notamment dans le domaine des droits de l’homme, le choix a été fait en faveur de l’universalité. C’est ce qui explique que les instruments les plus ratifiés, comme la Convention internationale des droits de l’enfant, connaissent de nombreuses réserves qui en limitent sensiblement la portée. La Convention de Vienne a prévu les modalités d’émission des réserves et les possibles réactions. Les réserves doivent être émises au moment de l’engagement, après il est trop tard. Ces réserves doivent être conformes avec l’objet et le but du traité.
2. Le droit interne par rapport au droit international
La perception du droit international par le droit interne est beaucoup plus compliquée. Chaque système juridique énonce une solution. Parfois le traité a la même valeur que la Constitution (c’est le cas de la Convention européenne des droits de l’homme en Autriche) ; d’autres fois il est supérieur aux lois, comme en droit français selon l’article 55 de la Constitution de 1958 ; dans d’autres cas encore, le traité a la valeur de la norme qui l’incorpore et qui peut être un décret.
La relation entre les deux systèmes est cependant plus compliquée que les règles constitutionnelles le laissent entendre. Prenons l’exemple du cas français. L’article 54 a prévu un conflit entre un traité et la Constitution. Dans ce cas, il appartient au Conseil constitutionnel de dire s’il y a ou non contrariété.
S’il constate une contradiction, deux solutions se présentent : soit la révision de la Constitution permet une adéqua¬tion entre les deux normes, soit le traité est abandonné. Cette dernière hypothèse est rare, elle ne s’est présentée que pour la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 1999. Dans tous les autres cas, le Parlement, représentant du souverain, a consenti à des « atteintes aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ». Le souverain a accepté souverainement de ne plus être tout à fait souverain. Cela s’est produit à huit reprises. La dernière illustration date du 19 février 2007 : pour que la France puisse ratifier un traité, le Congrès a révisé la Constitution en constitutionnalisant l’interdiction de la peine de mort.
3. La supra légalité
L’autre relation mentionnée dans la Constitution concerne les rapports entre la loi et le traité. L’article 55 pose deux conditions. L’une, de pure forme, concerne la ratification ou l’approbation régulière et la publication de l’instrument. L’autre pose une condition de fond : la réciprocité. Elle signifie que le traité sera supralégal s’il est appliqué par l’autre partie. Le Conseil constitutionnel a dû nuancer cette formule, en janvier 1999, en considérant que cette restriction ne valait pas en matière de droits de l’homme. Rien n’autorise en effet de modifier cette hiérarchie sous prétexte qu’un Etat violerait les droits de l’homme sur son propre territoire. Il s’agit là d’un principe essentiel du droit international des traités.
La question primordiale posée par l’article 55 est de savoir quel est le destinataire de la supralégalité. Est-ce le parlement qui doit veiller à ce que les lois ne contreviennent pas aux traités, ou bien le juge qui doit sanctionner une méconnaissance ? Sans doute les deux hypothèses ne sont pas exclusives, le législateur prenant des précautions en amont et le juge intervenant en aval après le vote. C’est ce qui se produit dans la réalité. Toutefois, il subsiste une dernière question : quel est le juge compétent ?
On pouvait imaginer que le Conseil constitutionnel incorpore le traité dans le bloc de constitutionnalité. Il l’a refusé dans une importante décision du 15 janvier 1975 relative à la loi S.Weil sur l’interruption volontaire de grossesse. De ce fait, il a confié cette tâche aux juridictions ordinaires des ordres judiciaire et administratif. Si la Cour de cassation a accepté ce rôle rapidement, dès 1975, le Conseil d’État a été plus longuement réticent puisqu’il a attendu 1989 pour assumer pleinement cette fonction.
Aujourd’hui, une place importante est accordée au droit international et surtout au droit communautaire, comme en témoignent deux importants arrêts du Conseil d’Etat du 8 février 2007. L’un concerne la société Arcelor Atlantique et Lorraine, qui conteste un décret transposant une directive communautaire en matière d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre. La haute juridiction laisse à la Cour de justice des Communautés européenne le soin de vérifier la licéité d’une norme communautaire ; le Conseil ne se prononcerait que s’il n’y avait pas de norme équivalente à la norme française en droit communautaire. Le second, l’arrêt Gardedieu, admet la responsabilité de l’État et la réparation des préjudices subis du fait du vote d’une loi de validation qui s’avère contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
Malgré tout, deux problèmes subsistent : la supralégalité du traité ne vaut qu’en cas de conflit avec la loi interne. Or, si le juge ne découvre pas de conflit, il applique loi. Il en va de même pour certains traités qui ne sont pas directement applicables, car ils impliquent des mesures d’application, c’est-à-dire des lois. Si elles ont été adoptées, le juge les appliquera ; dans le cas inverse, le juge est démuni, il ne peut utiliser directement le traité. C’est largement le cas pour les traités relatifs aux droits sociaux.