Droit pénal : La mise en œuvre de la responsabilité pénale
Une procédure qui permet de se défendre
Le procès de droit pénal est une affaire d’Etat dont la conduite repose sur des autorités publiques. Mais en démocratie, l’Etat doit assurer la protection des personnes poursuivies en même temps que celle de ses intérêts.
Les règles particulières de fonctionnement juridictionnel
En France, les procès pénaux et de droit privé sont jugés par les mêmes juridictions de l’ordre judiciaire. Les personnes pénalement poursuivies bénéficient donc de l’ensemble des règles protectrices offertes à l’ensemble des plaideurs (collégialité de principe des juridictions, permanence de la justice, indépendance des juges, double degré de juridiction, etc.). Au surplus, la personne pénalement poursuivie bénéficie soit de règles de procédure spécifiques, soit d’une application plus souple des règles générales.
a) La séparation des fonctions est justifiée par un souci de protection de la liberté individuelle comme instaurant un minimum d’objectivité de la part des différentes autorités qui vont être successivement saisies d’un dossier. Les magistrats du procès de droit privé ou administratif n’ont en principe qu’une seule fonction à remplir : la fonction de jugement. La situation est différente dans le procès pénal, où l’autorité prend en charge tout le déroulement de l’instance.
La fonction de poursuite, assumée par le ministère public, remplit quatre rôles successifs : la direction des recherches opérées pour découvrir des infractions ; l’appréciation de la légalité et de l’opportunité de la poursuite et, si l’appréciation est positive, la mise en mouvement de l’action publique ; le rôle de soutien de cette action publique (le ministère public se présente devant les autorités judiciaires d’instruction et de jugement en qualité de demandeur au nom de la société) ;le rôle de mise à exécution des jugements pénaux.
La fonction d’instruction doit rechercher, produire et discuter tous les éléments de preuve disponibles.
La fonction de jugement consiste à trancher, sur des critères de droit, une contestation entre l’accusation et la défense.
La fonction d’exécution suit les sanctions pénales prononcées et les aménage.
Le principe de la séparation des fonctions pénales signifie qu’un même magistrat ne peut exercer ces différentes fonctions conjointement ou successivement dans une même affaire.
b) L’organisation des voies de recours pénales protège davantage la personne poursuivie que ne le font les voies de recours de droit privé.
En premier lieu, il existe une voie de recours particulière : la révision, qui peut être exercée sans délai et permet de rouvrir un procès, en principe définitivement clos, si un fait nouveau intervient qui fait douter de l’exactitude d’une condamnation.
En second lieu, toutes les voies de recours pénales sont suspensives de l’exécution pendant le délai pour les exercer et le délai nécessaire à leur jugement si elles ont été exercées.
2. L’organisation des droits de la défense
a) Une enquête de police ne peut être diligentée avec des pouvoirs coercitifs que sur un motif précis : découverte d’une mort suspecte ; refus de révéler son identité ou caractère douteux de celle-ci ; infraction flagrante que la jurisprudence admet uniquement s’il existe un indice apparent d’un comportement délictueux. Dans les autres cas, la police peut seulement ouvrir une enquête préliminaire dans laquelle elle ne bénéficie pas de pouvoirs coercitifs. La durée des enquêtes est limitée.
La garde à vue ne peut intervenir qu’à l’égard d’un suspect. Les délais pendant lesquels une personne peut être retenue sont limités par la loi. La retenue est entourée de formalités diverses, selon la gravité des infractions et la personnalité des gardés à vue (mineurs, intoxiqués, etc.), mais avec un socle commun. Toute personne gardée à vue doit être immédiatement informée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, ainsi que des modalités de la mesure (durée maximale et droits dont elle bénéficie). Elle peut faire prévenir son entourage. Elle peut être examinée par un médecin dès qu’elle est placée en garde à vue et en cas de renouvellement de celle-ci. La personne gardée à vue a droit à l’assistance d’un avocat librement choisi bien que rémunéré sur fonds publics, dès la première heure de garde à vue. L’avocat a droit à un entretien confidentiel d’une durée de trente minutes avec le gardé à vue. La chambre criminelle estime que toute irrégularité commise au cours de la garde à vue doit être sanctionnée par la nullité de la procédure.
h) L’instruction préparatoire, conduite par un juge d’instruction, est obligatoire en matière de crime, facultative dans les autres cas. Même s’il subsiste une certaine inégalité entre le ministère public et la personne poursuivie, celle-ci bénéficie de prérogatives de défense non négligeables :
• Le juge ne peut mettre en examen que « les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer […] à la commission des infractions dont il est saisi » (art. 80-1 C.P.).
• Le placement et le maintien en détention provisoire ou sous une autre forme de contrainte sont entourés de formes précises et enfermés dans des délais.
• Toute personne qui le souhaite bénéficie de l’assistance d’un avocat qui a accès au dossier.
• Le mis en examen peut saisir le juge d’une demande écrite et motivée d’actes qui lui paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. Si le juge n’entend pas faire droit à une demande, il doit rendre une ordonnance motivée susceptible d’appel. A défaut de réponse, le mis en examen peut saisir le président de la chambre de l’instruction, qui statue dans les huit jours sur le fait de savoir s’il y a lieu ou non de saisir la chambre de cette demande. Le mis en examen a le droit de comparaître périodiquement devant le juge d’instruction. Lorsque le délai requis est écoulé, il peut adresser une demande écrite au juge, lequel doit le faire venir devant lui dans les trente jours.
• La personne poursuivie peut saisir la chambre de l’instruction aux fins d’annulation d’un acte qu’elle estime irrégulier et faire appel des ordonnances qu’elle conteste. Le juge doit informer le mis en examen des ordonnances de clôture ainsi que des ordonnances dont il peut faire appel.
c) La procédure de jugement accorde des prérogatives importantes.
Toutes les parties sont traitées sur un pied de parfaite égalité.
• L’assistance d’un conseil est toujours possible. Elle est assurée gratuitement à tout prévenu ou accusé qui en fait la demande et est obligatoire devant la cour d’assises, les juridictions de mineurs, les juridictions militaires et pour toutes les personnes qui sont affectées d’une infirmité les empêchant de se défendre.
• Le droit à l’information prend la forme de l’oralité de la procédure, laquelle comporte quelques exceptions tenant à l’utilisation des procès-verbaux qui ont une force probante particulière, ou à l’obligation de pallier l’absence de certaines comparutions, qui autorise la lecture des déclarations antérieures. Le droit à l’information est renforcé par la publicité de la procédure qui ne connaît que quelques exceptions tenant à des dispositions particulières de la loi (pour les affaires de mineurs, par exemple) et au pouvoir du président de requérir le huis clos pour des motifs d’ordre.
• Le droit à la participation impose, en principe, la présence de la personne poursuivie à l’audience. Ce droit implique que la personne soit informée de ce qu’on lui reproche et de ce que cela entraîne. Une juridiction ne peut donc modifier la qualification retenue ou ajouter une circonstance aggravante sans que le prévenu ait été mis en mesure de préparer sa défense. La juridiction ne peut, d’autre part, fonder sa conviction sur des pièces ou éléments qui n’ont pas été portés à la connaissance de toutes les parties et n’ont pas pu être discutés par elles.
Une sanction adaptée
Le dualisme des sanctions
a) La peine poursuit traditionnellement deux buts : un but rétributif, qui est fonction de la gravité de l’infraction commise et est destiné à punir le délinquant ; un but d’intimidation, par lequel on espère prévenir la commission de nouvelles infractions par l’intéressé lui-même et par ceux qui sont spectateurs de la sanction.
Elle a en conséquence trois caractères :
- Un caractère afflictif : elle doit être « pénible » et porter sur des points sensibles à l’individu (sa liberté, son patrimoine, son honneur).
- Un caractère infamant : il est normal qu’elle attire, sur celui qui en est l’objet, la réprobation publique.
- Un caractère déterminé et définitif qui découle de la volonté de clore une situation dont tous les éléments sont connus.
- La liste des peines retenues par notre droit positif ne comprend plus de peines corporelles depuis 1981.Y figurent :
- Des peines atteignant la liberté, qui consistent à détenir un individu et se présentent en deux catégories : réclusion ou détention criminelles et emprisonnement correctionnel. La réclusion criminelle existe sous deux variantes, à perpétuité et à temps (trente, vingt et quinze ans). L’emprisonnement correctionnel peut atteindre dix ans.
- Des peines pécuniaires qui sont l’amende, condamnation à payer à l’Etat une somme d’argent déterminée (directement ou sous la forme du jour-amende, conçu pour adapter la peine aux facultés du délinquant) et la confiscation d’un ou plusieurs biens appartenant au condamné.
- Une peine privative de droits : l’interdiction des droits civiques, civils et de famille consiste à interdire au condamné l’exercice de certains droits normalement exercés par les citoyens, pour une durée de dix ans en matière criminelle et cinq ans en matière correctionnelle.
- Des peines contraignantes, dont la principale est le travail dans l’intérêt général (obligation faite au condamné d’accomplir au profit de la collectivité un travail non rémunéré). Diverses législations particulières (environnement, construction, consommation, lutte antipollution, etc.) permettent aussi au juge d’imposer la cessation de l’activité illicite, une remise en état, etc.
- Une peine humiliante consiste dans la publication de la décision de condamnation.
b) Les mesures de sûreté sont un autre type de sanction, que les écoles criminologiques apparues au milieu du XIXe siècle ont proposées pour remplacer les anciennes peines. Le but de la mesure de sûreté est double : neutralisation du danger criminel, soit par ségrégation de l’individu dangereux lui-même, soit par suppression de ce qui peut le pousser à la délinquance, et réadaptation sociale recherchée par des mesures appropriées.
Cette différence d’inspiration conduit à éliminer les caractères afflictif et infamant. La technique d’intervention de la mesure de sûreté impose de renoncer au caractère de détermination, aussi bien quant à la consistance de la mesure qu’à sa durée et au caractère définitif de la sanction, car un traitement doit s’adapter à la personne et à son évolution.
Les mesures de sûretés peuvent être classées en six catégories :
- mesures ségrégatives (comme l’emprisonnement avec période de sûreté) ;
- mesures de surveillance (par exemple interdiction de séjour) ;
- mesures « disjonctives », qui consistent à faire disparaître de la vie du délinquant les causes d’incitation criminelle (interdictions professionnelles, interdiction de fréquenter certains lieux ou certaines personnes, etc.) ;
- mesures curatives (par exemple pour les intoxiqués) ;
- mesures d’assistance tutélaire (sursis avec mise à l’épreuve et liberté surveillée des mineurs) La mesures éducatives (pour les mineurs, ou stages de formation, par exemple).
c) Notre époque assiste à un rapprochement des deux types de sanctions. L’adoucissement des mœurs a conduit à une diminution de la force punitive de la peine. D’un autre côté, et si la mesure de sûreté souhaitait éliminer tout caractère punitif et infamant à la sanction, elle ne peut y parvenir en pratique. Les mesures éliminatrices sont nécessairement pénibles ; les mesures rééducatives postulent soit une pression exercée sur l’agent (soins des malades mentaux et des intoxiqués ou placement en internat des mineurs), soit des mesures de surveillance, soit, au minimum, des efforts. Enfin, le caractère infamant est la plupart du temps inévitable, l’opinion publique nourrissant toujours quelque prévention à l’égard de celui qui fait l’objet d’une contrainte publique.
Le droit contemporain a donc remplacé la substitution de la mesure de sûreté à la peine – prévue par ceux qui étaient à l’origine de l’idée de mesure de sûreté – par une adjonction des mesures de sûreté aux peines, offrant ainsi un tableau de sanctions plus diversifié dans lequel le nom légal donné à telle ou telle sanction (peine ou mesure de sûreté) ne correspond pas toujours à la nature réelle de la chose.
Un choix étendu
a) La caractérisation de la peine encourue est rendue obligatoire par le principe de la légalité, qui impose au rédacteur du texte de prévoir, pour chaque infraction, au moins une peine principale et le maximum possible de cette peine. Mais cela se passe rarement ainsi.
Concernant la peine, le législateur peut en premier lieu prévoir, d’une façon générale ou pour telle ou telle infraction, plusieurs types de sanctions que le juge pourra alterner ou cumuler. Ensuite, des circonstances particulières de commission permettent de modifier le quantum prévu par la loi. Des circonstances dites aggravantes peuvent augmenter le maximum de la peine encourue (l’usage d’armes, par exemple). Elles ne peuvent être retenues que pour les infractions pour lesquelles elles sont prévues et doivent donner lieu à une interprétation restrictive, leur effet d’aggravation étant défini par la loi. A l’inverse, il peut exister des causes légales d’atténuation de la peine (comme la libération rapide d’une personne séquestrée, par exemple). Précises dans leurs conditions et leurs effets, elles sont obligatoires pour le juge. Enfin, des circonstances particulières peuvent faire obstacle au prononcé d’une peine (excuse absolutoire accordée au participant à une infraction qui la dénonce avant sa réalisation, par exemple).
Une fois définie la peine par rapport à l’infraction, la loi peut encore imposer de tenir compte de certaines particularités du délinquant, comme la récidive, qui élève le maximum de la peine prévue pour la nouvelle infraction commise, ou l’excuse atténuante de minorité, qui la diminue.
b) La peine est prononcée par le juge une fois déterminée la peine encourue, et le juge est théoriquement libre du choix de la sanction qu’il prononcera. En premier lieu, le juge est libre quant à la nature de la sanction. Il peut appliquer une ou plusieurs des peines principales prévues par le texte d’incrimination et y adjoindre ou non une ou plusieurs peines complémentaires, dont certaines, bien que qualifiées de peines par la loi, sont en réalité des mesures de sûreté. Le choix du juge est tellement libre qu’il n’a pas, sauf exceptions, à justifier le choix de la sanction par une motivation. Pour les délits et les contraventions, son choix est encore plus large puisqu’il peut substituer aux peines prévues pour l’infraction (le plus souvent l’emprisonnement et l’amende) une série d’autres sanctions prévues à titre générique et qualifiées de peines alternatives à l’emprisonnement (un travail d’intérêt général ou un stage de citoyenneté, de conduite automobile, etc.).
Quant au quantum de la peine, la loi ne prévoit plus, au moins pour les délits et les contraventions, qu’un maximum que le juge ne peut dépasser (pour les crimes, il existe toujours un minimum d’un an d’emprisonnement). A l’intérieur du maximum prévu, le juge retient
La durée ou le montant qu’il veut. Toujours pour les délits et les contraventions, il peut aller plus loin. Il peut d’abord dispenser le condamné île certaines sanctions qui s’appliqueraient de plein droit au résultat de la condamnation. La loi l’autorise, aussi, s’il estime que le trouble social cause par l’infraction a cessé ou est en passe de cesser, à dispenser le « condamné » de toute peine ou à différer la sanction dans l’espoir que les choses s’arrangent.
Enfin , le juge qui a prononcé certaines condamnations peut décider, sous certaines conditions, que ces condamnations ne seront pas immédiatement (et peut-être jamais) exécutées. C’est ce qu’il fait en assortissant ses condamnations pour délits et, dans certains cas, pour contraventions, d’un sursis. Celui-ci peut être simple (le condamné n’est astreint à rien sauf à ne pas commettre une nouvelle infraction) ou avec mise à l’épreuve (le condamné est confié à un service d’assis- t.mce et contraint à des obligations). Si le délai de sursis se déroule sans incidents, la condamnation sera réputée non avenue.
C) L’exécution de la peine est très variable. Il est possible que la peine prononcée ne soit jamais exécutée si elle est prescrite (le condamné a pris la fuite avant la mise à exécution), si le condamné est gracié (la peine disparaît ou est commuée en une peine moindre) ou si survient une loi d’amnistie pour les faits punis.
En dehors de ces cas exceptionnels, la peine exécutée n’est pratiquement jamais celle qui a été prononcée. Depuis la Libération, en effet, des magistrats ont été chargés de « suivre » l’exécution des peines, c’est-à-dire, en réalité, de les adapter à l’évolution du condamné. Pour les courtes peines d’emprisonnement (inférieures à un an), le juge de l’application des peines peut dès la condamnation substituer à la peine prononcée une autre qui lui paraît plus adaptée. De même, les obligations accompagnant un sursis, par exemple, peuvent être modifiées ou écourtées, etc. Pour les peines plus longues, des réductions de peines et des grâces collectives ont un effet important, et toutes les peines, y compris celles prononcées comme devant être perpétuelles, peuvent donner lieu à une libération conditionnelle.