L'application : Du côté de la légalité
Force obligatoire
L’application du droit est naturellement envisagée en tant que le droit s’impose aux sujets de droit, qu’il a force obligatoire.
La force obligatoire de la coutume et de la jurisprudence est, en quelque sorte, inhérente aux règles d’origine coutumière ou jurisprudentielle dès que ces règles se dégagent des pratiques des hommes ou des décisions des juridictions. Il en va autrement dans le cadre du droit écrit, on dit encore de la légalité, ce qui conduit à envisager successivement la durée (A) et la portée (B) de la force obligatoire.
Durée de la force obligatoire
Distinction
La disposition légale, qu’elle résulte d’une loi, d’une ordonnance, d’un règlement administratif, a force obligatoire, ce qui est volontiers considéré comme un caractère inhérent à la règle de droit. Pour déterminer la durée de cette force obligatoire, il faut rechercher à partir de quel moment la règle légale entre en vigueur et comment elle disparaît.
L’entrée en vigueur de la loi résulte de sa promulgation et de sa publication. En principe, la loi a vocation à durer indéfiniment mais sa force obligatoire peut lui être retirée par abrogation.
Promulgation et publication
Les lois n’entrent en vigueur qu’une fois promulguées et publiées.
On confond souvent la promulgation et la publication, confusion parfois commise par le législateur lui-même. Ce sont cependant deux opérations distinctes.
Pour la loi, la promulgation consiste dans un décret par lequel le Président de la République atteste l’existence et la régularité de la loi, en ordonne la publication et l’exécution (art. 10 et 11 de la Constitution). A partir de la promulgation, la loi devient exécutoire.
Elle ne peut cependant être exécutée par les citoyens et n’est obligatoire qu’à partir du moment où elle est connue d’eux. L’opération qui porte la loi à leur connaissance, c’est la publication.
a) Promulgation
Le vote de la loi par le Parlement ne suffit pas à la rendre obligatoire pour les individus. La délibération parlementaire doit encore recevoir le concours du Pouvoir exécutif qui a le monopole des décisions exécutoires. La promulgation consiste ainsi dans l’insertion du texte de la loi dans un décret du Président de la République qui atteste l’existence de la loi et ordonne aux autorités publiques d’observer et de faire observer cette loi . Cet acte n’a d’autre date que celle de sa signature, bien qu’il ne prenne effet, comme la loi elle-même, qu’après avoir été publié dans les conditions fixées par les lois et règlements.
La Constitution de 1958 a d’ailleurs renforcé les pouvoirs du Président de la République en matière de promulgation. En principe, il doit promulguer le texte voté par le Parlement dans les quinze jours qui suivent sa transmission au Gouvernement; il peut toutefois demander une nouvelle délibération (si le Parlement refuse de revenir sur sa décision, il a la faculté de dissoudre l’Assemblée nationale).
La promulgation ne s’applique pas seulement aux lois, elle est aussi nécessaire pour les textes émanant du pouvoir exécutif.
b) Publication. Évolution
La publication est destinée à permettre au public de prendre effectivement connaissance du texte promulgué. Divers systèmes ont été suivis pour la publication des lois.
- D’après l’article 1er, alinéa 3, du code civil, la loi est «réputée connue, dans le département où siège le Gouvernement, un jour après celui de la promulgation; et dans chacun des autres départements, après l’expiration du même délai augmenté d’autant de jours qu’il y aura de fois 10 myriamètres (environ 20 lieues anciennes) entre la ville où la promulgation en aura été faite et le chef-lieu de chaque département ». Le code édictait ainsi une présomption légale d’information résultant de la promulgation et indépendante de toute insertion dans une feuille publique. Certes les lois étaient insérées dans le Bulletin des Lois institué sous la Révolution, mais leur mise en application ne dépendait pas de cette insertion.
- L’ordonnance du 27 novembre 1816 établit un autre système, la mise en vigueur des lois dépendant désormais de leur publication (appelée promulgation dans le texte de l’ordonnance) dans le Bulletin des Lois. A Paris, la loi était exécutoire un jour après la remise du Bulletin au ministère de la Justice; pour les autres départements, le délai était augmenté d’un jour par dix myriamètres, conformément à l’article 1er du code civil. La force obligatoire de la loi se propageait ainsi dans l’ensemble du territoire par ondes successives, système en harmonie avec la lenteur des communications ; dès le xixe siècle, ce système est devenu tout à fait suranné.
Législation sur la publication. Rôle du « Journal officiel »
Le décret du 5 novembre 1870, émanant du Gouvernement de la Défense nationale à un moment où il fallait hâter la mise en vigueur de ses ordres, a modifié sur deux points le régime antérieur de la publication :
- La publication, dispose l’article 1er à tort il est écrit promulgation, résulte de l’insertion au Journal officiel qui a remplacé ainsi le Bulletin des Lois.
- La loi est obligatoire à Paris (ou bien dans l’arrondissement où paraît le Journal officiel) un jour franc après la publication et, dans chaque arrondissement, un jour franc après que le Journal officiel qui la contient est parvenu au chef-lieu de cet arrondissement. On entend par jour franc un jour entier de 0 heure à minuit; on ne tiendra donc pas compte du jour de la publication ou de l’arrivée du journal. Exemple : une loi est insérée au numéro du Journal officiel paraissant à Paris le 1er mars 1967 à 5 heures du matin et arrivé à Perpignan le 2 mars au matin ; elle sera obligatoire à Paris à partir du 3 à 0 heure, et dans l’arrondissement de Perpignan à partir des 4 à 0 heures.
Publication en cas d’urgence O L’ordonnance du 27 novembre 1816 (art. 4) complétée par celle du 18 janvier 1817 textes encore en vigueur permet au Gouvernement, dans les cas urgents, sans même attendre la publication au Bulletin des Lois devenu le Journal officiel (décr. 5 nov. 1870), de donner l’ordre aux préfets cet ordre pourrait être transmis aujourd’hui suivant les techniques modernes des télécommunications d’afficher le texte de loi. Le préfet doit constater la réception du texte sur un registre et prendre un arrêté prescrivant l’affichage. La nouvelle disposition devient obligatoire à compter du moment de la publication spéciale ainsi effectuée (Ord. 18 janv. 1817, art. 2). Pratiquement, ce mode de publication est employé surtout en matière fiscale, afin d’éviter que certains ne profitent du délai de publication pour échapper aux nouvelles dispositions.
Retard apporte’ à la mise en vigueur d’une loi. Dispositions transitoires
Le législateur peut déroger aux règles qui précèdent et fixer à une date plus reculée le moment où une loi sera mise à exécution.
Il peut ainsi être précisé qu’une loi n’entrera en vigueur qu’après un certain délai. Le législateur recourt à cette solution pour des lois importantes qui instituent un régime nouveau, et dans le but d’éviter des surprises et de laisser le temps à ceux que la loi concerne de se préparer. Ainsi est-il résulté des articles 24 et 25 de la loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce que cette loi n’est entrée en vigueur que le 1erjanvier 1976 à l’exception, notamment, des dispositions des
Désignation des lois
Les lois sont généralement désignées par leur date. La détermination de celle-ci a varié suivant les époques. Ainsi, au début du Droit intermédiaire, les lois comportaient une double date, celle du vote par l’Assemblée et celle de la sanction royale (par exemple, la loi des 16-24 août 1790 relative à la séparation des fonctions judiciaires et des fonctions administratives). Depuis la Constitution de 1875, il est admis que la date de la loi est celle de sa promulgation. Mais, plusieurs lois pouvant être promulguées le même jour surtout en période d’inflation législative, on a pris l’habitude de numéroter les lois d’une même année, les deux premiers chiffres correspondant à l’année et les suivants au numéro d’ordre de promulgation pendant cette année.
Erreurs commises dans la publication de la loi : valeur des errata
II arrive qu’après la publication du texte d’une loi ou d’un règlement au Journal officiel, on découvre des erreurs dans le texte publié ; elles sont même assez fréquentes, compte tenu de la prolifération législative à l’époque actuelle. Pour les redresser, on peut recourir à une loi nouvelle ou à un décret modificatif, mais de telles dispositions, à moins d’avoir été rendues valablement rétroactives, ne deviennent obligatoires qu’à partir de leur publication. Beaucoup plus fréquemment, le Gouvernement se bornera à insérer un erratum (rectificatif) au Journal officiel, corrigeant ou complétant le texte initialement imprimé.
La valeur juridique des errata a été discutée, car ils sont publiés sans avoir donné lieu à aucune promulgation distincte et apparaissent plutôt comme l’œuvre des services ministériels intéressés. Les solutions jurisprudentielles sont nuancées.
Si le rectificatif est de pure forme, c’est-à-dire s’il n’a pour but que de corriger une erreur ou omission purement matérielle que la simple lecture du texte permettait de déceler aisément, l’erratum est considéré comme faisant corps avec le texte rectifié et il a force obligatoire dès la mise en vigueur de ce texte.
Lorsque l’erratum modifie le sens du texte publié, il y a lieu, selon la Cour de cassation, de distinguer suivant que le texte rectifié émane du seul Gouvernement ou du Parlement.
Dans le premier cas (ordonnance, décret, arrêté), la Cour de cassation refuse de tenir compte du rectificatif; en effet, deux textes sont en présence, le texte initialement publié et le texte rectifié, et rien ne permet de penser que le texte rectifié est conforme au texte original; il n’en va autrement que si le texte publié contient une erreur matérielle apparente, auquel cas le rectificatif sera valable.
Lorsque le texte qui a été rectifié émane du Parlement, la Cour de cassation reconnaît la valeur légale du rectificatif, dès lors qu’il rétablit le texte voté tel qu’il ressort des débats parlementaires publiés au Journal officiel; elle refuse, au contraire, toute valeur au rectificatif s’il modifie le texte voté.
Publication des décrets
Les décrets, comme les lois, doivent en principe faire l’objet d’une certaine publicité avant de devenir obligatoires, surtout à l’égard des particuliers. Parfois un mode de publicité spécial a été prévu par la loi. Mais si celle-ci est muette, il faut alors se référer aux dispositions du décret du 5 novembre 1870, qui concerne les décrets et pas seulement les lois. Toutefois, on observe que l’article 2, alinéa 2, de ce texte précise, à notre propos, que « le gouvernement, par une disposition spéciale, pourra ordonner l’exécution immédiate d’un décret ». A condition que cette mesure d’accélération soit expressément formulée, le texte est alors applicable dès le jour de son insertion au Journal officiel.
Ces diverses règles concernent-elles pourtant tous les décrets ? Si la question mérite d’être posée, c’est parce que ces textes, loin de comporter nécessairement des dispositions d’ordre réglementaire, au sens matériel du mot, peuvent n’être, en réalité, que des actes administratifs individuels. A première vue, le décret de 1870, en précisant le régime général, ne semble pas attacher ici une importance quelconque à une pareille distinction. Et, de fait, il arrive souvent que les actes administratifs individuels pris en forme de décrets soient publiés au Journal officiel, car c’est à partir de cette date que commencent à courir, contre les tiers, les délais des recours contentieux. Il n’empêche que la jurisprudence, s’attachant davantage à la matière de l’acte qu’à sa forme, paraît avoir admis que de tels décrets n’étaient pas soumis à l’exigence d’une publication au Journal officiel. Est-ce à dire qu’aucune mesure de publicité ou de révélation n’est imposée par le droit positif? Il n’en est rien : les actes administratifs individuels ne peuvent en effet produire leurs conséquences que s’ils sont notifiés; et une éventuelle publication ne saurait même tenir lieu de notification.
Publication des arrêtés
En l’absence de tout support dans les textes du moins depuis l’élaboration du code général des collectivités territoriales et la disparition de l’article L. 122-29, alinéa 1er, du code des communes relatif aux arrêtés du maire on s’est demandé si la maxime « nul n’est censé ignorer la loi » (supra, n° 399) devait être étendue aux autres actes administratifs que les décrets. La question fut souvent posée à propos de la réglementation des chemins de fer, notamment des dispositions de documents concernant les délais de transport ou les tarifs. En dépit de la résistance des juges du fond, la Cour de cassation étendit à ces règles la présomption traditionnelle.
L’extension de la présomption appelait un correctif. Puisque la jurisprudence décidait que la maxime devait être étendue de la sorte, il était légitime d’envisager à propos de ces divers types de règles des mesures de publicité plus ou moins satisfaisantes. De fait, certains textes aménagèrent de tels correctifs. Il fut prévu, par exemple, que les horaires de chemin de fer seraient portés à la connaissance du public par voie d’affiches ou de livrets. Mais, en la matière, la publicité ne revêtait, dans la plupart des cas, qu’un caractère privé. Au surplus, comme il ne s’agissait là que de précautions particulières, il importait d’apporter un correctif plus ample à une solution de rigueur affirmée en termes généraux. A cette fin, la jurisprudence a retenu « un principe général selon lequel les actes administratifs ne sont opposables aux tiers que lorsqu’ils ont été effectivement publiés ». Si, à propos des actes administratifs individuels, cette publicité nécessaire prend normalement la forme d’une notification, il en va autrement en ce qui concerne les actes réglementaires, au sens matériel du mot. Ceux-ci, quelle que soit leur forme (arrêtés ministériels, préfectoraux, municipaux, avis, décisions, etc.), doivent en principe être publiés. Force est alors de préciser quelle peut être la forme de cette publicité.
Il arrive que de tels actes soient publiés au Journal officiel. Ce document n’offre-t-il pas expressément ses colonnes aux « arrêtés, circulaires, avis, communications et annonces » (sur la publication des circulaires, v. supra, n° 246) ? De ce fait, n’y a-t-il pas lieu d’étendre, en pareil cas, le régime institué par le décret du 5 novembre 1870? S’en tenant parfois à une interprétation littérale, la jurisprudence a écarté cette extension, puisque ce texte ne vise à proprement parler que les lois et les décrets. Mais dans d’autres arrêts, l’interprétation contraire a prévalu, au motif que le décret de 1870 formule des principes généraux applicables à tous les textes publiés au Journal officiel. Cependant l’alignement ne serait pas total, puisque si, en cas d’urgence, l’autorité dont émane la règle pourrait supprimer le délai du jour franc, elle ne pourrait, en revanche, pousser plus avant la dérogation et, par exemple, rendre le texte applicable à tous dès le moment de la publication au Journal officiel.
Vidéo : L’application : Du côté de la légalité
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