L’enseignement de droit
Apprendre le droit
L’enseignement du droit ou 1’« éducation juridique » ont suscité, depuis quelques décennies, un renouveau des analyses, selon des formes diverses. Dans ce même temps où, dans l’ordre du droit constitutionnel, la place et le rôle de l’Université française sont précisés, un retour aux sources et à l’évolution historique des Facultés de droit a singulièrement enrichi la réflexion, qu’il s’agisse des structures, de l’objet ou des méthodes d’enseignement.
On signalera l’activité de la Société pour ¡’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, spécialement le colloque organisé par elle en 1985 sur « Les méthodes de l’enseignement du droit du Moyen Age à nos jours » : glose, exégèse, controverse, manuels, thèse cours magistral. Il y a d’ailleurs un lien indissociable entre faire le droit et le faire connaître. L’apprendre aux autres est justement le moyen de favoriser cette connaissance et, au-delà, la conscience même du droit et du juridique. Chacun sait à quel point de fiction se situe aujourd’hui la maxime suivant laquelle Nul n’est censé ignorer la loi (infra, n° 399). Or le progrès de l’Etat de droit et le développement ininterrompu du désir de savoir et de comprendre en matière juridique ont renouvelé totalement les réflexions et favorisé le développement de ce que l’on a appelé, à tort ou à raison, l’ épistémologie juridique. Ce qui, s’agissant du droit, est essentiel, c’est que cette adéquation recherchée fait corps avec le système juridique. La connaissance du droit est partie intégrante du droit. Et si elle n’est pas assurée de manière suffisante, cette discordance est à la source de dysfonctionnements dommageables pour la société toute entière. Ajoutons que l’enseignement et la recherche sont, en droit comme en bien d’autres domaines de la pensée, indissociables.
Ce ne sont pas seulement la connaissance et la conscience, en tant que composantes du juridique et moteurs des interactions qu’il implique, qui sont en cause, ce sont aussi les opinions sur le droit : opinions des juristes, qui participent à l’œuvre de la doctrine, opinions des profanes, qui contribuent à la lente et progressive genèse des coutumes. C’est dire que l’imaginaire et pas seulement l’imagination occupe une place qui n’est pas négligeable dans la vie du droit. Reste qu’en apprenant celui-ci, on recueille les fruits de cette puissance créatrice, sans tarir l’imaginaire, tant il est vrai qu’en matière juridique se renouvellent sans cesse pour lui les occasions de poursuivre son cours.
Apprendre, en un sens, c’est transmettre. Apprendre le droit, ce peut être, de ce fait, assurer la survie du droit existant. D’où l’importance des anciens, émetteurs vivants de la mémoire collective et des normes qu’elle véhicule, dans les civilisations de l’oralité. Aussi longtemps que les coutumes ne sont pas rédigées, et de quelque manière que s’opère le passage, l’apprentissage est la condition même de la survie du groupe. Il y a dans l’héritage une fonction de mémorisation qui assure la soudure entre les générations et refoule les conflits latents qui peuvent opposer celles-ci. Or la culture est l’objet d’un héritage, spécialement dans sa composante juridique. Et précisément, apprendre, c’est à la fois la transmettre et en hériter. Il en va de même dans nos civilisations évoluées, dites de l’écrit. L’invention de l’imprimerie autrefois, celle de l’informatique à notre époque ont changé l’acte d’apprendre le droit; elles n’ont pas aboli la nécessité de l’apprendre.
Outre le temps, l’espace n’est pas indifférent à la chose. A travers la diversité des systèmes juridiques, on discerne, au cœur de la relation bipolaire, des différences essentielles tenant aux rapports pouvant exister entre ceux qui font le droit et ceux qui l’enseignent. Droit civil ou common law? Là où le droit est principalement enseigné par d’autres que ceux qui l’ont fait, c’est la connaissance qui prime; là où il a été montré par ceux qui le faisaient, c’est la mémoire.
Voilà pourquoi il est si important de développer les réflexions et les études en matière de pédagogie juridique et, à cette fin, d’œuvrer pour « identifier les voies d’accès à la connaissance du droit, vérifier la pertinence des différentes pratiques qui tendent à l’assurer et réunir les informations permettant, s’il échet, de les faire évoluer ».
Enseignement et renseignement
La nécessité de la communication de la connaissance dépasse largement, en droit, le cadre de la seule pédagogie. C’est aussi d’un problème plus vaste d’éducation de masse ou d’information qu’il s’agit. Question immense, d’une ampleur semblable à celle de tant d’autres, à notre époque, dans notre milieu, à l’échelle de la société nationale et internationale.
Dans le cadre d’une éducation juridique encore rudimentaire, la communication de la connaissance tend à revêtir plus souvent qu’autrefois la forme d’une obligation de renseignement. Ce n’est plus seulement l’officier de l’état civil qui lit aux futurs époux (art. 75, al. 1er, c. civ.) des articles du code civil qu’ils écoutent d’une oreille distraite, ni le juge qui, au sein d’une juridiction échevinale, communique sa science aux assesseurs. C’est aussi le particulier qui, pour pouvoir obtenir à son profit l’application d’une règle de droit, doit au préalable informer son partenaire ou son adversaire de l’existence et du contenu de la règle. Or, bien souvent, ce mode d’information, plus ou moins préalable, pourrait être étendu à d’autres hypothèses. Ce faisant, le droit moderne conduit à analyser, en des termes nouveaux, les rapports qui existent entre la règle de droit et les personnes. Le tête à tête de l’individu isolé et de la règle froide et abstraite est alors refoulé. A la limite, c’est le particulier qui, enseignant le particulier, le jour où le besoin s’en fait sentir, s’intercale dans le circuit, rejoignant en quelque sorte une devise du monde moderne, qui préside aux activités de la BBC : « La nation enseigne la nation ».
Dans le domaine du fait, s’agissant plus précisément de relations nouées entre les particuliers au moyen d’actes juridiques, on a vu se développer l’obligation de renseignement (supra, n°290). Dans le domaine du droit, on voit se répandre ou l’on préconise l’extension du devoir d’information juridique.