L'expression du droit
Diversité des situations
On envisage ici les processus d’élaboration du droit objectif règles ou solutions en tant que celles-ci tendent à ordonner les conduites sociales et à reconnaître ou consacrer les droits subjectifs.
Ce vaste domaine de la science juridique comporte des secteurs variés, selon l’autorité sociale dont émane la règle : il y a une science de la législation, consistant à dégager les aspirations et à les faire aboutir à travers des modifications du droit en vigueur ; il y a une science de la jurisprudence, liée à la manière dont les tribunaux contribuent, selon leur rythme, au recul de règles anciennes, à l’apparition de règles nouvelles, à la combinaison des unes et des autres; il y a peut-être aussi une science de la genèse des règles coutumières, des usages, voire des pratiques … Chaque catégorie entretient des relations propres avec les circonstances du temps et du lieu; l’apparition de la règle n’est pas la même selon qu’il y a évolution ou révolution .
Le contenu de la règle dépend des finalités du droit et des choix opérés par l’autorité qui la détermine. Très souvent, la règle revêt la forme d’un commandement, positif (ex. : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin », art. 205 c. civ.) ou négatif (ex. : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public ou les bonnes mœurs », art. 6 c. civ.) ; mais il se peut aussi que les normes expriment et décrivent certaines données de caractère indicatif et non impératif. De toute façon, la sociologie de la création de la norme, rejoignant les enseignements du droit comparé, distingue la genèse des règles selon que celles-ci se dégagent de la société régie par elles, qui sécrète alors son propre droit, ou, au contraire, sont empruntées à des droits étrangers et sont introduites à la faveur d’une « réception » d’un droit (ou d’une règle de droit) ou dit-on encore d’une « acculturation juridique ».
Les catégories juridiques
L’ordonnancement scientifique des règles de droit varie selon l’ampleur de l’entreprise; il ne se réalise pas, par exemple, de la même manière selon qu’il s’agit d’un article de loi, d’une loi ou d’un code, d’une décision judiciaire d’espèce ou d’un arrêt de principe. A s’en tenir aux constantes de l’ordonnancement juridique, il convient seulement de constater ici que la systématisation du droit repose sur l’existence de définitions et de classements, souvent liés à ce qu’on appelle la nature juridique d’une institution, d’un contrat, d’un bien. D’où l’importance de l’opération de qualification, c’est-à-dire de la détermination de la nature d’un bien ou d’un rapport de droit à l’effet de le classer dans l’une des catégories juridiques existantes. Encore faut-il observer que, sauf exception en certains domaines, le nombre des catégories existantes n’est pas limitatif, ce qui permet, le cas échéant, à la volonté individuelle de forger de nouvelles catégories si celles qui existent ne sont pas adéquates.
Le droit se réalise à l’aide de catégories juridiques, c’est-à-dire de cadres dans lesquels prennent place les éléments de la vie juridique, selon leurs natures et leurs ressemblances; ces éléments sont en si grand nombre qu’il est indispensable de les ordonner en les groupant à partir de leurs affinités communes. On aura ainsi quelques catégories fondamentales, par exemple les droits, les choses, les actes juridiques, les faits juridiques, chacune de ces catégories essentielles se subdivisant en catégories particulières, lesquelles peuvent comporter de nouvelles divisions. Par exemple, les droits se répartissent en droits extra-patrimoniaux et en droits patrimoniaux ; les droits patrimoniaux se divisent en droits réels et personnels (supra, nos 338 s.). Les actes juridiques se divisent en actes unilatéraux et bilatéraux, en actes à titre onéreux et à titre gratuit (supra, n° 277). De son côté, le droit pénal connaît le système des catégories avec la répartition des infractions en crimes, délits et contraventions; à l’intérieur de ces grands cadres, chaque infraction (par exemple : vol, escroquerie) constitue une catégorie définie par la loi.
Le juriste doit résister à la tentation d’établir un nombre excessif de catégories. Sinon, elles deviendraient inutilisables, alors que la réalisation du droit suppose un échange constant entre le concret et l’abstrait, du concret à l’abstrait, puis de l’abstrait au concret, et ainsi de suite. Inversement, il ne faut pas se contenter de quelques grandes catégories, sinon on est conduit à faire entrer dans une même catégorie des éléments trop différents. Ainsi on ne peut se contenter de la division des droits patrimoniaux en droits réels et en droits personnels; les droits des auteurs et artistes sur leurs œuvres ne peuvent entièrement entrer dans aucune de ces deux catégories ; il a fallu imaginer la catégorie des droits intellectuels.
Ainsi s’établit, par l’intermédiaire des catégories juridiques, une relation d’ordre logique entre la détermination de ce qu’on appelle la nature juridique (d’un bien, d’un acte, …) et le régime juridique qui en découle. Il faut pourtant observer que la réalité des choses de la vie juridique est souvent plus complexe. Il arrive tout d’abord que la visée d’un objectif, caractérisé par l’application d’un certain régime, implique le recours à telle ou telle catégorie juridique, que les volontés individuelles ne peuvent alors éluder, ce qui peut d’ailleurs conduire le juge à requalifier les données qui lui sont soumises, ce que font les particuliers prévalant sur ce qu’ils disent. En outre, il n’est pas rare que telle donnée concrète, établie dans un cas et pouvant alors servir de support à une détermination de la nature juridique, soit problématique dans un autre cas et dépende alors d’une détermination de la nature juridique. Tour à tour peut opérer un jeu de miroirs entre nature juridique et régime juridique. Intellectuellement, les deux plans demeurent cependant distincts dans la réalisation du droit.
Les catégories juridiques permettent l’appréhension par le droit des situations de fait les plus diverses. Mais à elles seules, elles ne suffisent pas. Un droit relevant de la civilisation de l’écriture serait-il qualifié de coutumier repose sur des textes, dont la compréhension et l’application satisfaisantes nécessitent la prise en considération du contexte.