L'interprétation du droit : L'interprétation du fait
Généralités
L’interprétation a pour objet non seulement le droit qu’il s’agisse des sources, des autorités ou des principes, mais aussi les comportements des sujets de droit, volontaires ou involontaires, les faits… ou l’absence de faits s. L’interprétation des événements relève souvent de l’herméneutique juridique. La critique du témoignage atteste son importance. On citera aussi l’article 1353 du code civil : étant observé que les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu, « les présomptions qui ne sont point établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet des preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol » (v. infra, n° 552). Affaire d’interprétation, donc.
Interprétation des actes juridiques
Si une difficulté surgit sur le sens d’un contrat, le juge doit trancher le différend; il ne peut refuser de faire appliquer le contrat sous prétexte d’obscurité (rappr. en ce qui concerne la loi, art. 4 c. civ.). Pour cela, il doit interpréter le contrat. Ce sont normalement les juges du fond qui procèdent à cette interprétation.
Dans une analyse qui est largement dominante, le juge doit interpréter le contrat comme il interprète la loi. Aussi bien retrouve-t-on ici des discussions et des divergences déjà observées au sujet de l’interprétation de la règle (supra, nos470 s.).
Deux méthodes antagonistes ont été défendues.
La première, inspirée par la théorie de l’autonomie de la volonté, fait du juge le serviteur de la volonté des parties. Interpréter, c’est déterminer le contenu du contrat; or le contenu, c’est la volonté des parties qui l’a créé. Telle est d’ailleurs la règle posée à l’article 1156 du code civil : « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
La doctrine classique limite le rôle des différents éléments d’interprétation que la loi elle-même a donnés au juge en dehors de la volonté des parties. Ainsi, l’article 1134, alinéa 3, aux termes duquel les conventions « doivent être exécutées de bonne foi » n’est interprété qu’à travers l’intention des parties; la bonne foi n’est autre chose que le respect consciencieux de ce qu’elles ont voulu par le contrat. Cette doctrine amenuise aussi l’article 1135 en vertu duquel « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». La loi, dit-on, c’est la loi interprétative, celle que les parties ont eu le pouvoir de modifier par leur convention. L’usage est également à base conventionnelle; il repose sur une convention tacite. Enfin l’équité se présente, ainsi que la bonne foi visée à l’article 1134, alinéa 3, comme étant elle-même un prolongement de la volonté des parties.
La méthode classique d’interprétation a été affectée par les critiques formulées contre la théorie de l’autonomie de la volonté qui est à sa base (v. supra, n° 282). Il est, en effet, artificiel de rechercher systématiquement l’interprétation du contrat dans la commune intention des parties. Très souvent, celles-ci n’ont pas su ce qu’elles voulaient exactement, et plus souvent encore elles n’ont pas eu la moindre volonté sur quantité de points soulevés par le contrat. La méthode classique aboutit à prêter aux contractants des intentions qu’ils n’ont probablement pas eues. La même observation vaut pour les clauses douteuses : comment déceler une intention commune, alors que chaque partie a sans doute envisagé le sens qui correspondait le mieux à ses intérêts ?
La doctrine actuelle est généralement favorable à l’accroissement des pouvoirs du juge. Le contrat ne doit pas être interprété par lui en se fondant sur une volonté commune souvent hypothétique, mais selon la bonne foi, l’équité, les usages, compris comme des notions objectives, qui sont supérieures à l’intention des parties et peuvent même être en contradiction avec telle ou telle intention. Au contraire, la doctrine classique considérait que ces notions prolongeaient en quelque sorte la volonté des parties. Certes, actuellement, on ne nie pas le rôle de la volonté lorsque celle-ci peut être clairement dégagée : on admet la volonté tacite, voire virtuelle des parties lorsqu’on peut la dégager d’une commune entente possible entre elles, mais ce que la doctrine répugne à admettre, c’est que le juge invente des volontés fictives et attribue à la volonté commune des parties des volontés qui, en réalité, lui sont personnelles.