La codification en droit
La codification classique
D’une manière générale, la codification peut revêtir de multiples aspects, selon la portée de la transformation qu’elle opère. En ce sens, il s’agit encore de son objet. L’effet « novatoire » de la codification est plus ou moins accentué. Le décalage entre le droit antérieur et le droit codifié est considérable lorsque la codification d’un droit sert de procédé technique à la réception d’un droit étranger. La différence est moins nette lorsqu’elle tend seulement à unifier un droit. On sait que ce fut l’objectif principal poursuivi à l’époque napoléonienne3. Puis vient l’hypothèse dans laquelle la codification va de pair avec la rédaction d’un droit coutumier.
La codification classique n’implique pas simplement le rassemblement d’un nombre plus ou moins élevé de textes . Depuis le début du xixe siècle, elle n’est pas considérée, dans notre doctrine, comme une simple compilation. Elle appelle, dans le temps même où cette réunion est réalisée, diverses réformes de fond, soit parce que les circonstances qui ont conduit à souhaiter une codification nécessitent une modernisation ou une simple adaptation de ce droit à l’évolution sociale et politique, soit parce que, chemin faisant, les rédacteurs d’un nouveau code peuvent profiter de l’occasion pour améliorer les règles antérieures. Golab traduit cette idée en affirmant que « la codification ne peut pas être une compilation ». On dit aussi : « Codification, c’est modification ».
L’élaboration des codes napoléoniens, tout particulièrement du code civil, a illustré, en droit français, l’importance de la codification (supra, nos 55 s., 64 s., 375). L’entreprise répondait alors à un profond besoin d’unification. Il n’en faudrait pas déduire une vision limitée, car la codification peut se rattacher à des considérations diverses quant à son objet et quant à son type.
Il est évident, tout d’abord, que les diverses branches du droit français n’ont pas atteint le même degré d’évolution, ce qui rejaillit tout naturellement sur l’ampleur de la codification. Là où le droit français est codifié de longue date, le problème habituellement posé est celui de la révision des codes. Ailleurs, l’on a pu hésiter à procéder à des codifications, notamment parce que l’entreprise semblait prématurée, inopportune. Ce courant s’est manifesté notamment en droit international privé ce qui n’a pourtant pas empêché l’insertion de textes relevant de cette matière dans diverses lois tendant à la rénovation du droit civil français.
Ailleurs on a pu constater l’apparition de nouveaux codes, se substituant, le cas échéant, en tout ou en partie, à d’anciens codes. Ainsi en a-t-il été du code de procédure pénale (1958), du nouveau code de procédure civile (1975) et, en 1992, d’une rénovation du code pénal de 1810.
Réussie dans certains domaines, par exemple en droit civil, la substitution de certains textes, de certains chapitres ou de certains titres à d’autres peut, ailleurs, défigurer un code. Alors l’introduction successive des dispositions nouvelles dont la structure initiale n’est pas modifiée nuit à la coordination de l’ensemble. Elle peut aboutir, dans la matière renouvelée, soit à empêcher la formation d’une jurisprudence opportune, soit à maintenir une jurisprudence critiquable. Le même reproche est d’ailleurs concevable si l’on envisage une autre conséquence possible : la décodification. Le droit commercial français illustre à ce sujet un mouvement singulier de flux et de reflux, de codification, de décodification, de recodification. A vrai dire, là se rejoignent, le cas échéant, la codification classique et la codification administrative.
La codification administrative
Du type classique de codification, il faut distinguer un autre type, destiné à faciliter, par leur regroupement, la connaissance de règles nombreuses, éparses et même diverses par leur origine, tantôt législative, tantôt réglementaire. Inspirée davantage des processus de « consolidation » ou de « restatement » connus notamment aux Etats-Unis et plus limitée que la précédente quant à sa portée, cette méthode s’est beaucoup développée dans notre système juridique. On a pu employer, pour la désigner, l’expression de codification administrative, dans la mesure où l’absence de modification de fond apportée aux dispositions législatives existantes permet en principe de procéder à la codification par voie réglementaire. Force est de constater, à cet égard, une croissance inquiétante du pouvoir bureaucratique, ainsi que du Conseil d’Etat dans la création du droit.
La première vague. Tout d’abord, un décret du 10 mai 1948 institua, « auprès de la Présidence du Conseil une Commission supérieure chargée de réunir l’ensemble des textes législatifs et réglementaires en vigueur, de coordonner et de compléter les travaux déjà entrepris à cet effet par les différentes administrations et de soumettre au Gouvernement toutes suggestions relatives à la simplification de ces textes, en vue de faciliter les travaux de codification proprement dits ».
Vaste, ce mouvement l’était d’ailleurs à divers titres. En premier lieu, par la diversité des normes qu’il devait recouvrir. La codification allait porter non seulement sur des textes législatifs, mais aussi sur des textes réglementaires. On ne saurait trop souligner combien cette nouveauté transformait la fonction traditionnelle de la codification. C’était une codification intégrale qui était recherchée. En deuxième lieu, le mouvement était vaste dans l’espace. L’instruction générale sur la codification, rédigée en vue de permettre aux diverses administrations de suivre une procédure uniforme, précisait notamment que les dispositions codifiées s’appliqueraient à l’ensemble du territoire métropolitain, et notamment aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, « toutes les fois qu’il n’en sera pas disposé autrement ». En troisième lieu, le mouvement était vaste dans le temps. En effet, les divers textes qui, selon le programme élaboré par la commission, prescrivirent successivement la codification de diverses matières, précisèrent presque tous que cette codification serait permanente et que les codes, ainsi rédigés, seraient mis à jour tous les ans.
L’activité de la commission a été à l’origine de nombreux codes : code des pensions civiles et militaires de retraite (1951), code de la santé publique (1953), code de la famille et de l’aide sociale (1956), code du travail (1973), code de l’organisation judiciaire (1978) …
La deuxième vague. A partir de 1989 une nouvelle vague de codification s’est produite dans le sens d’une relance de la codification. Abrogeant le décret du 10 mai 1948, un décret du 12 septembre 1989 a substitué à la commission antérieure, une « Commission supérieure de codification chargée d’œuvrer à la simplification et à la clarification du droit ». L’objectif est et demeure le développement des travaux de codification.
Ainsi s’amplifie, sous l’influence là aussi grandissante de l’administration et de la bureaucratie, un mouvement qui s’accompagne, comme on pouvait le craindre, de modifications de fond, de nature législative, sous couvert de codification administrative, d’origine réglementaire. Il y a des « codifications dangereuses ». C’est ce que l’on a justement observé au sujet du Livre des procédures fiscales ou du code des douanes. Il est vrai que, dans son développement le plus récent, la codification administrative se veut « à droit constant », c’est-à-dire sans modification autre que de forme, ce qui n’exclut pourtant pas la réécriture de règles « anciennes, utiles et appliquées, quand elles sont devenues difficilement compréhensibles, la langue ayant évolué ». A supposer même qu’il en soit ainsi, ce qui est au demeurant inexact, la référence au droit constant, lors même que les nouveaux codes sont soumis au Parlement, tend à empêcher celui-ci, en fait sinon en droit, d’exercer sa fonction éminente en matière législative et à accroître d’autant le pouvoir des bureaux dans l’expression de la volonté nationale. La frénésie administrative et mandarinale aidant, on observe
aujourd’hui un pullulement des codes qui s’ajoute au pullulement des règles, beaucoup plus qu’il ne canalise celui-ci ou ne remédie à ses défauts. De toute évidence, il y a là un signe de régression du droit qui ne s’est pas ralentie si l’on en juge par les déclarations d’intention des milieux officiels et l’annonce d’un programme démentiel de codification et qui s’est, au contraire, amplifiée par le recours à la codification par ordonnance.
La codification par ordonnance
Une troisième vague date de 1999. Comme la précédente, elle a été présentée en termes de relance de la codification. Son déclenchement a été expliqué et même justifié par les lenteurs du Parlement dans l’examen des parties Législatives des projets de codes déjà élaborés. Sensible à ce mouvement d’humeur, le Gouvernement a demandé au Parlement l’autorisation de procéder par voie d’ordonnances à la réalisation de la partie Législative de neuf codes très importants. Et le Parlement, obéissant, lui a, par une loi du 16 décembre 1999, accordé ce pouvoir.
On pouvait s’étonner d’une semblable démarche. L’octroi de pleins pouvoirs, tel qu’il est prévu à l’article 38 de la Constitution, est subordonné à certaines conditions s’expliquant par le fait que l’objet des mesures envisagées relève normalement du domaine de la loi, ce qui appelle une interprétation restrictive. Saisi de la question, le Conseil constitutionnel a pourtant rejeté le recours qui lui était soumis, estimant que « le Gouvernement a apporté au Parlement les précisions nécessaires en rappelant l’intérêt général qui s’attache à l’achèvement des neuf codes mentionnés à l’article 1er, auquel faisait obstacle l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire ». Mais l’intérêt général est bien distinct de la seule considération de circonstances exceptionnelles et non du fait que le Parlement n’accomplit pas son travail nécessaire, si tant est au demeurant que cette nécessité soit bien comprise.
Cela est d’autant moins le cas qu’on a vu se développer d’abord par voie de circulaire, puis dans la loi d’habilitation elle-même, une conception laxiste de la codification à droit constant : « Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances, sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l’état du droit… » (L. 16 déc. 1999, art. 1er, al. 3). Ce qui, outre une étonnante latitude quant à l’inclusion ou à l’exclusion des textes non codifiés, repose sur un alignement temporel de dispositions importantes d’époques différentes, un travail secret de pontifes digne des temps les plus rétrogrades, et constitue le signe d’une régression du droit. Face à la démission du Parlement et à l’activité contestable d’un réseau de plus en plus puissant, il appartient à la doctrine de remplir son rôle avec une persévérance accrue. Sur le principe de sécurité juridique consacré par le Conseil constitutionnel, v. supra, n° 155 et infra, n° 398.
Au-delà de l’itinéraire utilisé, il faut constater que la précipitation des pseudo-législateurs est contraire, quoiqu’on ait affirmé l’inverse, aux véritables besoins de notre société. Pourquoi? Parce que les ensembles de textes ne sont pas complets. Parce que, en un temps où il nous est affirmé qu’une portion considérable des règles de droit applicables est appelée à provenir de l’Union européenne, on voit mal quelle peut être la signification d’une codification opérée dans le cadre national. Parce que la codification exerce normalement une fonction de stabilisation, ce qui ne s’accorde pas avec une inflation chronique des lois et des règlements. Parce que la codification ne pourrait être efficace que si le droit existant se réduisait au seul droit légiféré et réglementaire, ce qui n’est plus le cas notamment dans les matières économiques et sociales.
D’ores et déjà en application de la loi d’habilitation du 16 décembre 1999, relativement à leurs parties Législatives, des livres de code ou de codes entiers ont vu le jour : ordonnance n° 2000-387 du 4 mai 2000 relative à la partie Législative du code de justice administrative ; ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie Législative du code de la santé publique; ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie Législative du code de l’éducation3; ordonnance n° 2000-550 du 15 juin 2000 relative aux parties Législatives des Livres VII et IX du code rural et à la « mise à jour » donc à distinguer de la codification à droit constant… de ses Livres Ier, III et VI3; septembre 2000, code de commerce et code de l’environnement. On attend encore trois codes : code de la route, code de l’action sociale, code monétaire et financier.
Loin de clarifier les situations, la méthode employée n’a pas tardé à montrer ses défauts. L’ordonnance relative à la partie Législative du code de justice administrative est soumise à approbation par un rapport au Président de la République en date du 4 mai 2000. Or, déjà la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 « relative au référé devant les juridictions administratives » en modifie nombre de dispositions. Il ne s’agit plus de codification à droit constant mais d’inconstance dans la codification. Et si on y voyait déjà une validation implicite ?
Pourquoi, en si bonne voie, ces codificateurs se gêneraient-ils ? Ils bénéficient de toutes les complaisances du Parlement et de l’Administration. A preuve, parmi d’autres, l’article 3 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations » : « La codification législative rassemble et classe dans des codes thématiques l’ensemble des lois en vigueur à la date d’adoption de ces codes » (al. 1er)- « Cette codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmoniser l’état du droit » (al. 2). Curieuse formule s’agissant de « codification législative » ! L’administration entendrait-elle de la sorte soumettre le Parlement à ses méthodes? Comme si cela ne suffisait pas, un décret n° 2000-519 du 16 juin 2000 modifiant celui du 12 septembre 1989, pérennise les pouvoirs de la Commission supérieure de codification dans le cadre des relations entre les particuliers et l’administration et lui accorde le pouvoir d’être consultée sur les projets de textes modifiant les codes existants, ce qui n’exclut quand même pas le pouvoir de donneur d’avis traditionnellement accordé au Conseil d’Etat.