La Cour européenne des droits de l’homme
Elle peut être saisie, pour manquement aux dispositions de la Convention, de plaintes émanant soit d’un État contractant (art. 33), soit «d’une requête individuelle par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles … » (art. 34). Il est évident que la reconnaissance du recours individuel a marqué un grand tournant du droit international dans la prise en considération des personnes privées en tant que sujets du droit international.
La Cour européenne « se compose d’un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties Contractantes » (art. 20), « élus par l’Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie Contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partie Contractante » (art. 22.1). Ils sont élus pour une durée de six ans et sont rééligibles (art. 23.1). Elle comporte un greffe ainsi que des référendaires.
L’arrêt de la Grande Chambre est définitif (art. 44.1), tandis que l’arrêt d’une chambre ne le devient qu’en l’absence de demande de renvoi ou en cas de rejet de la demande par le Collège (5 membres) de la Grande Chambre (art. 44.2). « Les Hautes Parties Contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties » (art. 46.1) ; « l’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des ministres qui en surveille l’exécution » (art. 46.2). Cependant ces arrêts n’ont pas d’effet erga omnes; il n’en résulte que le constat de la violation par un État d’un droit garanti et ces arrêts ne valent qu’à l’égard du requérant. Autrement dit, la dernière décision interne définitive a autorité de chose jugée ; et ce n’est que si la législation ou la pratique nationales le prévoient que l’arrêt de la Cour modifie la situation juridique interne du requérant.
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses
protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie Contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable » (art. 41).
Les formations de la Cour
Pendant longtemps, jusqu’à l’adoptation en 1994 d’un protocole n°ll, et entré en vigueur en novembre 1998, la Cour comportait un organisme important de fil- luge : la Commission européenne des droits de l’homme. L’amplification considérable du nombre des affaires liée tant à l’accroissement du nombre des Etats membres qu’à l’afflux des recours individuels, l’engorgement et les retards qui en sont résulté, la complexité des mécanismes et l’insuffisante efficacité du système ont conduit, par le protocole n° 11, à supprimer la Commission en tant que telle et à instaurer une Cour unique appelée à siéger de manière permanente.
Abstraction faite de l’Assemblée plénière de la Cour, qui n’est investie le que de fonctions administratives, la Cour européenne des droits de l’homme comporte trois formations juridictionnelles : a) le comité de I rois juges disposant du pouvoir de déclarer à l’unanimité irrecevable une requête individuelle ne nécessitant pas d’examen complémentaire (Conv. art. 28) ; b) les chambres de sept juges, se prononçant sur la recevabilité des requêtes et constituant les comités pour une durée déterminée; c) la Grande Chambre de dix-sept juges, saisie soit par la chambre elle-même (dessaisissement), soit par l’une des parties au litige (réexamen), ce qui signifie qu’il y a alors un double contrôle s’apparentant à un appel (Conv. art. 27.1).
Droit international et ordre juridique interne
Les règles et les solutions découlant de la Convention européenne des droits de l’homme constituent un ensemble, d’aucuns diront même un ordre juridique, dont il s’agit de préciser l’articulation, mieux l’intégration dans l’ordre juridique interne de chaque Etat membre, et en particulier dans le droit français.
S’il est vrai que « ni l’article 13 de la Convention ni la Convention en général ne prescrivent aux Etats une manière déterminée d’assurer dans leur droit interne l’application effective de toutes les dispositions de cet instrument » ce qui laisse à chaque Etat une marge de manœuvre assez importante quant à l’incorporation de cet ordre juridique dans chaque ordre interne, il n’en demeure pas moins que, s’agissant de la France, il y a intégration dans l’ordre juridique interne, à hauteur des traités ou accords internationaux, en application de l’article 55 de la Constitution de 1958 (v. supra, nos 158 s.). Mais l’on s’accorde généralement à penser que, s’agissant d’une convention multilatérale pouvant être considérée comme un traité-loi, l’exigence de réciprocité formulée à l’article 55 de la Constitution est écartée.
La jurisprudence française s’est orientée en ce sens. Cette orientation s’est manifestée dans l’attitude adoptée par les juridictions de l’ordre judiciaire. Ainsi certains arrêts de la Cour de cassation sont-ils fondés sur l’article 6 de la Convention européenne relatif à l’exigence d’un procès équitable. La coexistence des jurisprudences n’en suscite pas moins des discordances diverses et peu satisfaisantes pour l’esprit juridique. Si l’on a souvent le sentiment que les ordres nationaux s’inclinent, spécialement à la Cour de cassation , il peut aussi exister des divergences significatives, de sorte que l’on pourrait se préoccuper de la destinée des juridictions ayant longtemps couronné les ordres judiciaires internes. Dans une perspective plus large, on doit s’interroger sur les contradictions certains diront les télescopages qui sont propres à se développer en raison de la multiplication des
juridictions internationales et de leur accueil variable dans les ordres internes et même au sein de chaque ordre interne.
La pratique des écoutes téléphoniques et les solutions dégagées en France à ce sujet illustrent le processus d’intégration des règles et solutions européennes dans le droit français. L’existence d’écoutes téléphoniques pratiquées de manière plus ou moins sauvage, en tout cas sans limites et sauvegardes juridiques suffisantes, a suscité, dans notre droit interne, un courant jurisprudentiel orienté dans le sens de i i garantie des libertés individuelles. La Cour européenne des droits de l’homme a cependant, à l’unanimité, condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention, par deux arrêts Huvig et Krus- Ilin rendus le 24 avril 1990, faute de précision, donc de prévisibilité suffisante de la réglementation française. Cela a contribué à susciter la réforme opérée par la loi du 10 juillet 1991 (v. aussi les art. 226-1,’26-2 et 226-15 c. pén.).