La preuve du droit
Le principe : le droit n’est pas un objet de preuve
Par principe, les parties n’ont pas à prouver l’existence, le contenu ou la portée des règles juridiques qu’elles invoquent pour appuyer leur prétention. Cette règle majeure peut s’expliquer par le caractère général et abstrait de la règle, son opposabilité absolue. L’adage selon lequel Nul n’est censé ignorer la loi signifie aussi que chacun la connaît et qu’il n’est nul besoin de la prouver aux autres (supra, n° 399). Mais la dispense de preuve est née aussi de la répartition des rôles dans le procès entre les parties et le juge : en effet, c’est au juge de dire le droit, et non aux parties, ce qu’exprime la vieille maxime jura novit curia, la cour connaît le droit ou encore la vieille formule : Da mihi factum, dabo tibi jus. Demander aux parties au procès de lui apporter la preuve du droit, ce serait, outre accroître leur charge, leur laisser en quelque sorte la maîtrise du droit, ne serait-ce qu’en leur permettant d’écarter la règle juridique en ne la prouvant pas, ce qui serait contraire à cette répartition fondamentale des rôles.
Les articulations
II est, a priori, facile de distinguer le fait et le droit et, par voie d’application, les rôles de chacun. Reste l’essentiel : que l’on doit constamment procéder à leur articulation. Dès lors que la preuve du droit ne se pose pas hors de toute contestation, la confrontation au concret révèle des difficultés. Ici on en discerne au moins deux.
Le droit, le juge et le plaideur
L’une est relative à la division du travail judiciaire. Il est facile de dire que le plaideur établit le fait et que le juge discerne et applique le droit. Mais la multiplication des procès, jointe à tant de déficiences du système judiciaire, ont porté les juges à demander, en quelque sorte, aide aux justiciables. Aidez-nous, aidez- nous ! Déjà, dans le nouveau code de procédure civile de 1975, la question était posée. De l’article 12, alinéa 1er, découlait, suivant une stricte logique judiciaire, la détermination du droit applicable par le juge. Et à cet égard, la qualification basculait bien du côté du droit, puisque « le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée » (al. 2). En outre « le juge peut inviter les parties à fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige » (art. 13 NCPC).
L’afflux a rendu nécessaire un nouvel effort pour remédier aux retards, en reportant sur d’autres les justiciables… donc leurs avocats, une fonction incombant par nature au service public de la justice. Comment? Précisément par le biais d’un rééquilibrage des tâches imparties aux protagonistes quant à la démonstration du droit.
D’où un décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998, modifiant notamment, au sujet de la procédure devant le tribunal de grande instance, l’article 753, alinéa 1er, NCPC : « Les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit (sic) sur lesquels chacune de ces prétentions est fondées … » (al. 1er; v. aussi art. 954, al. 1er, au sujet de la procédure devant la cour d’appel). Il y a là un déplacement des tâches dont la justification est discutable et la sanction de nature à susciter hésitation et même controverse.
Le droit, le juge et le fait. La convention collective
Une autre articulation se manifeste du côté des relations entre la règle de droit (loi, décret…) et l’expression concertée des volontés individuelles (conventions, accords, et même expressions unilatérales de volonté). On en voudra pour preuve les analyses suscitées par le développement des conventions collectives.
Etant admis en principe (v. supra, n° 499) que le juge a l’obligation de trancher les litiges qui lui sont soumis conformément aux lois qui régissent la matière, alors même que l’application de ces lois n’aurait pas été expressément requise par les parties, sans pouvoir en écarter certaines dispositions en raison de leur prétendue contrariété à des principes de caractère constitutionnel, il n’en demeure pas moins délicat de se demander ce qu’il convient de décider au sujet de certaines situations charnières, par exemple en ce qui concerne les conventions collectives. A ce propos la Cour de cassation a décidé que, lorsqu’une partie invoque une convention collective précise, il incombe au juge de se procurer le texte qui contient la règle de droit éventuellement applicable au litige, au besoin en invitant les parties à lui en faire parvenir un exemplaire. En d’autres termes, une coopération s’établit nécessairement.