La spécificité du droit communautaire
Pour comprendre la spécificité du droit communautaire, il convient de se reporter aux origines (A) et aux finalités de la construction européenne (B)
A. Les origines de la construction européenne
1. L’émergence d’une culture européenne
L’Europe, évoquée pour la première fois par le poète grec Hésiode (VIIe siècle av.J.-C.), a d’abord été une réalité géographique et culturelle. Ce continent a en effet été façonné par plusieurs siècles de domination de l’Empire romain — qui a développé autour de l’Italie un type origi¬nal de civilisation fondé sur l’humanisme hérité des Grecs et enrichi par le christianisme —, puis de l’Empire carolingien, qui a marqué le véritable point de départ de la naissance de l’Europe occidentale.
Il a également subi l’influence de l’Église catholique qui, en s’appuyant sur les croisades et sur la suprématie du Saint-Siège, a longtemps exercé son pouvoir sur l’ensemble du monde. Napoléon Ier, qui n’avait pas hésité à se proclamer lui-même « Souverain d’Europe », a ensuite voulu poursuivre l’œuvre accomplie par Rome en imposant la domination française sur 132 départements, de l’Espagne à l’Autriche en passant par l’Italie. L’Europe, divisée en Etats souvent opposés, s’est donc longtemps caractérisée par une certaine unité culturelle et par une diversité politique.
2. La naissance d’un idéal européen
Or, dès la fin du Moyen Age, de nombreuses personnalités politiques telles que le roi de Bohème Georges de Podiebrad, ou Sully, le célèbre ministre d’Henry IV, des écrivains ou des philosophes comme Jacques- Henri Bernardin de Saint-Pierre, Emmanuel Kant ou encore Victor Hugo, ont souhaité que la « famille européenne » puisse se rassembler au sein d’une même entité étatique. Il s’agissait pour eux, au-delà de leurs divergences d’appréciation, de construire la paix sur un continent façonné par la même culture, mais toujours divisé par des guerres fratricides.
Le tout premier projet d’« organisation d’un régime d’Union fédérale européenne », présenté par la France devant l’Assemblée de la Société des Nations, le 1er mai 1930, sera malheureusement mis en échec par la victoire des nazis en Allemagne en 1933.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée selon laquelle seule la construction d’une Europe unie serait susceptible de rétablir durablement la paix semble désormais s’imposer. En proposant de « placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe », la Déclaration Robert Schuman du 9 mai 1950 a été à l’origine de la création par le traité de Paris (18 avril 1951) de la première Communauté européenne, la Ceca.
B. Les finalités de la construction européenne
1. La vocation fédérale des Communautés européennes
Si l’objectif de la construction européenne était d’abord de rendre « toute guerre entre la France et l’Allemagne […] non seulement impensable, mais matériellement impossible », il s’agissait également d’aboutir à terme à l’instauration d’une Europe fédérale :
- Pour y parvenir, Jean Monnet et Robert Schuman, considérés comme les « pères de l’Europe », ont convaincu les Etats d’utiliser la méthode « fonctionnaliste », qui se voulait avant tout pragmatique. Elle visait en effet à procéder d’abord à des intégrations sectorielles dans le domaine économique, en espérant rendre ensuite indispensable la mise en place d’une Europe politique. Les traités fondateurs, qui n’accordaient aux Communautés que des compétences relativement limitées, lesquelles devaient s’avérer rapidement insuffisantes, ont rendu nécessaire la conclusion de nouveaux traités dont les objectifs ont été de plus en plus ambitieux… Cet « effet de débordement » (spill over effect) a permis de renforcer très sensiblement les attributions communautaires, au détriment de celles des Etats. Ainsi la libre circulation des marchandises s’est-elle par exemple rapidement heurtée à la disparité des monnaies, qui a d’abord nécessité de mettre en place, en 1979, un Système monétaire européen qui n’autorisait qu’un flottement limité des devises européennes, puis, en 1999, une monnaie unique. L’euro, dont la gestion a été confiée à la Banque centrale européenne (BCE), indépendante des Etats membres et des institutions communautaires, s’est en effet progressivement substitué aux monnaies nationales à partir du 1er janvier 1999, pour entrer en circulation le 1er janvier 2002, mais ne concerne que treize des vingt-sept Etats de la Communauté (depuis l’arrivée de la Slovénie, le 1er janvier 2007), soit 307 millions d’Européens.
- L’introduction de la subsidiarité par l’Acte unique européen (dans le domaine de l’environnement) en 1986, puis par le traité de Maastricht en 1992 apporte une preuve supplémentaire de cette évolution. Il s’agit d’un principe régulateur de compétences, qui n’autorise la Communauté à intervenir dans le domaine des compétences concurrentes (partagées avec les Etats) que si les Etats membres ne sont pas en mesure d’agir avec suffisamment d’efficacité (art. 5§2 CE). La subsidiarité, qui existe depuis longtemps déjà en Allemagne, constitue bien « une pédagogie de l’approche fédérale » (Jacques Delors), destinée à protéger les citoyens contre le risque d’interventions abusives de la Communauté, dont l’action, conformément au principe de proportionnalité, ne devra pas, par ailleurs, excéder « ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs » du traité (art. 5§3 CE).
2. La création d’une « Communauté de droit » (cf. CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » c/Parlement européen)
- Pour la première fois dans l’histoire, la mise en place d’un Etat de type fédéral ne devait pas résulter de la force ou de la volonté unila¬térale d’un seul pays, mais allait tout au contraire être l’œuvre du droit (droit primaire), avant d’être soumise au droit (principe de légalité) et de devenir également source de droit (droit dérivé). Si de manière générale, l’apparition de l’État conditionne celle de règles juridiques, dans la construction européenne, l’existence d’un droit préétabli a permis celle des Communauté, dont les Etats membres sont en même temps les auteurs et les sujets. Pour le Conseil d’Etat fran-çais, qui dénombrait, au 1er janvier 1993, 22 445 règlements et 1 675 directives en vigueur (contre seulement 7 825 lois nationales), la Communauté, qui « s’est bâtie autour du droit [et] s’est faite par le droit », est en effet avant tout une construction juridique, plus que politique.
- Le renvoi préjudiciel permet à la Cour de justice, à la demande exclusive d’une juridiction nationale, de procéder à l’interprétation ou à l’appréciation de la validité du droit communautaire, assurant ainsi l’uniformité de son interprétation et de son application. Cette procédure a d’ailleurs permis à la Cour de dégager les grands principes du droit communautaire, tels que la primauté ou l’effet direct, dont certains (marché intérieur, proportionnalité) ont même ensuite été repris dans les traités.
3. La construction d’une « Communauté de valeurs »
L’idéal européen se fonde également sur la défense et la promotion des
droits de l’homme, ainsi que sur le libéralisme économique et politique.
- Pour les Etats candidats, l’idéal européen aura même une vertu pédagogique, dans la mesure où seuls ceux qui respecteront les « principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit » (art. 6§1 UE) seront en effet autorisés à rejoindre l’Union (art. 49 UE). Le Conseil, qui doit également vérifier si le pays se conforme aux critères définis lors du Conseil européen de Copenhague des 21 et 22 juin 1993 (démocratie, primauté du droit, respect des minorités, économie de marché, reprise de l’« acquis commu-nautaire », etc.), se prononce alors à l’unanimité, après consultation de la Commission et avis conforme (accord) du Parlement européen.
- Le Conseil, réuni au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, pourra même sanctionner un État membre qui se serait rendu coupable « d’une violation grave et persistante » de ces principes (art. 7 UE).