Le contexte de droit
Diversité
Le contexte varie selon les sources et les autorités. Point n’est besoin d’insister à ce sujet sur le contexte de la règle coutumière, en tant qu’il s’agit d’une règle tôt ou tard rédigée.
Il convient, au contraire, de présenter quelques développements relatifs au droit écrit et au droit jurisprudentiel.
Quant au droit écrit
Distinction
La signification de la règle de droit écrit est liée à son contexte législatif ou réglementaire. Il convient aussi de tenir compte de l’incidence d’une éventuelle codification.
Législation et réglementation. Les origines
Par rapport aux conceptions héritées de la Révolution française, la signification de la législation a très sensiblement évolué, surtout depuis une cinquantaine d’années.
Dans la conception initiale, inspirée par Jean-Jacques Rousseau, la loi est l’expression de la volonté générale. Peut-être n’est-ce là qu’un mythe parmi d’autres loi révélée, volonté des ancêtres, législateur étranger, …, mais la croyance qui s’y est attachée est, de toute façon, restée longtemps assez forte. Or un double recul s’est manifesté à notre époque, affectant à la fois la généralité et la volonté.
Parce qu’elle est censée exprimer la volonté générale, celle de la nation tout entière représentée par l’ensemble de ses députés, sans considération de classe, de caste, de groupe de pression, la loi, à l’aube de la France contemporaine, « est la règle de droit, elle n’est pas l’instrument d’une politique »Cette conception juridique, entraînant une délimitation restrictive du domaine de la législation, a été largement abandonnée à partir de la fin du xixc siècle, à mesure que le pouvoir de gouverner les hommes par les lois s’est affirmé de manière grandissante et que la loi est devenue l’expression moins de la volonté générale que de la volonté du législateur et, derrière celui-ci, des techniciens, qu’il s’agisse de bureaucrates ou d’experts.
A ce recul de la généralité, s’est ajouté un recul du volontarisme car, sous l’influence d’un double courant, le « législateur juridique » a cessé de pouvoir exprimer aussi facilement que par le passé une volonté générale. D’une part, des groupes de pression (lobbies), exprimant les intérêts de catégories sociales ou professionnelles déterminées commerçants, agriculteurs, salariés,… ont limité beaucoup plus que précédemment les choix législatifs. D’autre part, la législation s’est inclinée davantage devant les données issues de l’analyse de la réalité. Il y a eu, en ce sens, une revanche du fait sur le droit, conduisant celui-ci à s’aligner davantage sur celui-là, notamment en matière pénale (ex. : avortement, chèques sans provision,…).
Caractères de la législation
Les transformations affectant la genèse de la législation ont entraîné des conséquences quant aux caractères de celle-ci. L’idée de loi étant, dans la conception révolutionnaire, assez étroitement rattachée à la raison, c’est-à-dire à la raison humaine manifestée par la volonté générale, on avait initialement considéré que cette raison, appliquée aux sciences humaines selon les modes de pensée qui permettaient de l’utiliser dans le domaine des sciences physiques, présentait à la fois un caractère immuable et un caractère abstrait, l’un et l’autre servant à expliquer la nécessaire généralité de la loi.
L’évolution constatée au xxe siècle a provoqué un recul du prestige de la légalité parce qu’il y a eu une certaine désacralisation de celle-ci,
du fait d’une participation plus élargie à son élaboration et d’une contestation plus fréquente et plus vive de ses manifestations.
Cet état d’esprit accompagne un phénomène d’inflation législative qui se traduit tout à la fois par la prolifération et l’instabilité des règles, maux dénoncés par le Conseil d’Etat dans un rapport retentissant. Les chiffres, nécessairement approximatifs mais l’ordre de grandeur suffit sont des plus éclairants, à plus d’un titre, au vu de cette documentation : 110 à 120 lois par an contre 80 environ au début de la Ve République ; près de 80 000 à 90 000 décrets réglementaires applicables 10 000 à 15 000 circulaires et instructions par an pour les seuls services centraux; 21000 règlements applicables dans la CEE…. A quoi s’ajoute une expansion des textes eux-mêmes, ainsi qu’une dispersion des sources, des formes, des lieux du droit, ainsi qu’une dépréciation ininterrompue, par l’effet de l’abondance, de l’éphémère et d’un déclin de l’écriture juridique. On rejoint alors un mouvement encore plus général et malfaisant, se manifestant notamment en droit administratif, en droit constitutionnel, en droit international ou communautaire.
Cette prolifération illustre le désir de régir par des textes lois, règlements, etc. un nombre sans cesse grandissant de rapports sociaux, ce qui entraîne, notamment, l’apparition de lois dont l’utilité est douteuse, voire de lois n’ayant d’existence que sur le papier. Dans un ordre d’idées voisin, les promesses électorales s’accompagnent de programmes de réformes, qui trouvent leur prolongement dans des projets de lois, dont l’existence, en tant que telle, revêt, même avant tout débat parlementaire, dans l’esprit des profanes mal informés, un caractère obligatoire. On ajoutera que l’abondance des règlements administratifs émanant des bureaux renforce le phénomène inflationniste. Encore faut-il remarquer que ces courants n’affectent pas seulement des terres vierges de droit; ils entraînent d’incessantes modifications des règles existantes, devenues de la sorte beaucoup plus instables que par le passé.
Il est intéressant de constater que contre ce mouvement, les gouvernements successifs émettent des vœux pieux que, quotidiennement, démentent leurs comportements, que de tous côtés on recommande la modération et que toutes ces belles déclarations ne modifient pas les comportements. On discerne dans tout cela une « passion du droit » dont les ravages ont été dénoncés. C’est un des paradoxes de notre temps : cette passion du droit se produit dans le même temps que les impuissances relatives du droit se manifestent dans la mondialisation des relations économiques (supra, n° 86) et les développements de l’informatique, de la télématique, de la communication, d’Internet (rappr. supra, nos24 et 86) et de l’insertion grandissante du virtuel dans la pensée juridique.
Contenu de la législation
A la faveur de tous ces changements, le contenu de la législation appelle une analyse renouvelée quant à la forme et quant au fond.
Quant à la forme, dans la mesure où, s’ajoutant aux considérations tenant au langage du droit (supra, n° 368), des observations sont nées d’une analyse renouvelée des méthodes législatives, spécialement quant au langage du législateur, quant aux définitions utilisées par celui-ci ou quant au recours aux euphémismes. De manière plus générale, l’attention a été portée sur l’évaluation législative en termes d’appréciation sociologique et méthodologique. Ce mouvement d’idées a abouti à la création d’un Office parlementaire d’évaluation de la législation par une loi du 14 juin 1996. On s’est aussi interrogé sur l’expérimentation législative et on a justement regretté l’absence, en termes de prévision des effets d’une règle nouvelle, d’une méthodologie de l’investigation juridique.
En amont dans la genèse des textes, on a expérimenté en 1996 (Cire. Pr. min. 21 nov. 1995), puis consacré par une circulaire du Premier ministre en date du 26 janvier 1998 (J.O. 6 fév. 1998) les études d’impact des projets de loi et de décret en Conseil d’État. « Le terme d’impact doit être entendu dans son sens le plus concret. L’objet de l’étude d’impact est en effet d’évaluer a priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées et de s’assurer, de manière probante, que la totalité de leurs conséquences a été appréciée préalablement à la décision publique … ». La totalité de leurs conséquences ! Si, maintenant, l’utopie s’en mêle ! Enfin, attendons !
Il convient, en outre, d’observer que la place de la loi au sens strict du mot par rapport aux autres sources du droit s’est sensiblement modifiée. L’essor de la jurisprudence, dans le dernier quart du xixc siècle, puis celui des règlements administratifs ostensibles ou non à partir des dernières décennies de la IIIe République, ont provoqué, en valeur relative, un certain déclin de la loi. Davantage contestée par la jurisprudence, la pratique ou la doctrine, elle a vu, de cette manière aussi, reculer son prestige. D’elle-même, de l’intérieur si l’on peut dire, la règle n’a pas craint, le cas échéant, de se dépouiller quelque peu de sa normativité essentielle, en acceptant, par exemple, l’épreuve de l’expérimentation ou la survenance d’une suspension de sa force obligatoire. L’apparition ou le développement des lois-cadres, des lois de programme ou d’orientation, des plans ou des directives ont contribué aussi à modifier la signification de la loi, même si la primauté de celle-ci demeure un fondement essentiel de notre régime démocratique.
Quant au fond, tout ce vaste mouvement déstabilisateur a éloigné les esprits des analyses et explications traditionnelles de l’objet de la loi et du fondement de sa force obligatoire, ce qui ne s’est pas nécessairement accompagné d’un abandon d’une sorte de personnification du législateur.
Qu’il s’agisse de la forme ou du fond, la situation observée en France, mais aussi dans nombre de sociétés proches de la nôtre, atteste l’existence d’un état de crise affectant le système juridique tout entier, non seulement quant à la signification de la loi, mais aussi quant à la technique législative.
Réglementation. Déréglementation
Quand on parle d’inflation législative, on ne manque pas de viser aussi de la sorte l’inflation réglementaire. L’on déplore une ardeur dans la production de règles, de circulaires, de recommandations, d’avis, de plans, … qui sont le signe bien connu de la bureaucratie, de la technocratie, de l’eurocrate. Cette abondance rejaillit sur la règle de droit : la quantité altère la qualité ; et souvent la mauvaise réglementation chasse le bon droit.
Les pouvoirs publics affirment leur volonté de lutter contre ces maux. Le peut-on ? Et, sans plus attendre, ils agissent par voie de cir-
culaires, parfois pittoresques, sinon naïves et attendrissantes. Par une circulaire du 14 juin 1983, un Premier ministre, s’adressant à Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d’Etat, dans le style d’un maître d’école parlant à des écoliers, leur rappela notamment ceci : « Les projets de loi doivent correspondre à une véritable nécessité juridique … Il va d’abord de soi que toute tentation d’élaborer un texte de principe, qui ne modifierait pas substantiellement les dispositions en vigueur et n’aurait pour raison d’être que de traduire une inspiration générale différente, doit être repoussée … Il faut éviter d’introduire dans les projets des dispositions sans contenu normatif, généralement consacrées à des déclarations de principe ou à la présentation de la philosophie du texte … Les rédacteurs des projets doivent également observer la règle de l’économie des moyens. Elle doit les conduire à modifier les textes existants plutôt qu’à les refaire, et ne leur apporter que les modifications strictement nécessaires ».
Vains conseils ! La suite l’a montré. La réglementation prolifère, défectueuse en quantité, en qualité. Dans son rapport annuel présenté le 20 juin 1991, le Conseil d’Etat a notamment mis en garde le gouvernement contre «deux tendances regrettables… La première consiste à attacher plus de prix à l’importance apparente d’une loi qu’à son contenu réel. Elle conduit à réécrire en termes différents et souvent plus ambitieux mais plus imprécis, des dispositions qui existent déjà dans la législation. La seconde tendance est de créer des institutions ou des organismes nouveaux, souvent demandés par un groupe social ou professionnel, sans avoir déterminé de manière suffisamment précise leur rôle et leur insertion dans les structures existantes, ni même s’être suffisamment interrogé sur la possibilité de les faire fonctionner ».
Ultérieurement, une importante circulaire en date du 2 janvier 1993 (JO 7 janv. 1993) a été adoptée, relativement aux règles d’élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre des procédures particulières incombant au Premier ministre. Illustrant dans le remède le mal qu’ils prétendent combattre, les faiseurs de textes … sur les textes ont produit une nouvelle circulaire du Premier ministre, en date du 30 janvier 1997 (JO 1er fév. 1997) qui abroge et remplace (pléonasme?) celle du 2 janvier 1993. Il y est notamment précisé que « la rédaction d’un projet de texte et du document qui l’accompagne (exposé des motifs et rapport de présentation) doit être claire, sobre et grammaticalement correcte, que les règles de ponctuation doivent être rigoureusement observées » (rappr. infra, n° 473), etc. Des précisions plus nécessaires concernent la division des textes (articles, alinéas, phrases), l’exposé des motifs d’une loi, le rapport de présentation d’un décret, les mentions initiales et visas des décrets, l’article d’exécution, la codification (v. infra, nos 375 s.)…
Et l’avalanche des phrases creuses s’accroît de jour en jour. On est déjà loin des sottises ou lieux communs d’il y a moins d’une décennie (ex. L. n° 95-101, 2 févr. 1995, sur l’environnement). La liste n’est aucunement exhaustive : « la politique nationale d’aménagement et de développement durable du territoire concourt à l’unité de la nation, aux solidarités entre citoyens et à l’intégration des populations » (L. 4 févr. 1995, art. 1er, réd. 25 juin 1999, art. 1er); « la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation » (L. 29 juil. 1998, art. 1er) ; le service public de l’électricité « concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l’électricité pour tous, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l’environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu’à la défense et à la sécurité publique» (L. 10 févr. 2000, art. 1er, al. 3); etc. (activités sportives, montagne, … demain la forêt).
L’excès de réglementation, joint à d’autres données d’ordre économique, social et politique, a certes encouragé un puissant courant, du moins dans le discours, en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler la déréglementation. Force est d’observer que notre système juridique reste encore, dans une large mesure, à l’étape des intentions. Il est vrai que, pour déréglementer, il faut encore réglementer. Dans un ordre d’idées voisin, mais différent, malgré la proximité des mots, il faut distinguer déréglementation et dérégulation, celle-ci consistant non pas dans un refoulement du droit écrit, mais dans celui de la règle de droit, du moins de la règle écrite classique, au profit d’autres normes de comportement, prudentielles ou autres.