Le droit communautaire
Evolution
A Paris, en 1950, Robert Schuman présente un projet tendant à favoriser la construction européenne dans la voie communautaire. Son plan est accepté, ce qui aboutit le 18 avril 1951 à la signature d’un Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (C.E.C.A.); l’ensemble comporte divers organes: une haute Autorité, un Conseil spécial de ministres, une Cour de Justice.
Six ans plus tard, deux traités sont, dans la même ligne, signés à Rome, le 25 mars 1957. L’un institue une Communauté européenne de l’énergie atomique (C.E.E.A., Euratom). L’autre, appelé à exercer une influence considérable, institue une Communauté économique européenne (C.E.E., Marché Commun) ; il vise à la constitution d’un marche unique entre les six Etats signataires (Allemagne Fédérale, Bénélux, France, Italie) impliquant une union douanière, une libre circulation des produits et des services, une protection de la libre concurrence, ainsi qu’une harmonisation des politiques économiques générales et la mise en œuvre de politiques sectorielles communes. Des institutions spécifiques sont établies à ces effets.
Le Traité de Bruxelles, en date du 8 avril 1965, unifie les institutions : il y aura désormais un Conseil unique et une Commission unique des Communautés Européennes. A partir de 1979, l’élection des membres de l’Assemblée des Communautés Européennes, désignée depuis 1962 par l’expression de Parlement européen, est réalisée au suffrage universel direct. A la suite de l’Acte unique européen signé les 17 et 22 février 1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987, l’achèvement du marché intérieur, impliquant la suppression de toutes les barrières mettant obstacle à la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, est devenu un programme venant à échéance le 31 décembre 1992. Ultérieurement le Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992 a comporté d’importants transferts de souveraineté.
Ce traité a marqué des étapes nouvelles et importantes, sinon sur l’aménagement des structures existantes, du moins et c’est capital quant au transfert de certaines questions essentielles dans le cadre de compétences communes : politique sociale, politique étrangère et de sécurité commune (PESC), justice et police, ce qui a suscité des résistances et des réserves. En matière économique et monétaire, un mouvement puissant d’intégration accrue s’est amplement manifesté : passage à l’Union économique et monétaire, création d’une Banque Centrale Européenne et d’une monnaie unique (ECU puis EURO) avec passage de 1999 à 2002 d’une monnaie de compte à une monnaie de paiement.
Ultérieurement le Traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, a importé, à son tour, d’importants abandons de souveraineté; spécialement en matière d’asile et de circulation des personnes qui lui ont valu la juste censure du Conseil constitutionnel, celui-ci ayant estimé que ce traité comportait des abandons de souveraineté contraires à la constitution. Il a donc été procédé à une nouvelle révision de celle-ci, par voie de Congrès et non de référendum, ce qui, compte tenu des graves atteintes à la souveraineté nationale, était plus que critiquable. L’ensemble est d’une complexité grandissante, inaccessible à la plupart. S’est aussi élaborée une charte des droits fondamentaux île l’Union européenne.
Dans le même temps que se produisait cette évolution, l’Europe des six est devenue l’Europe des Neuf, par l’adhésion de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et du Danemark, l’Europe des Douze par l’adhésion de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, puis l’Europe des Quinze par l’adhésion, en mai 1994, de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche.
Les institutions communautaires
Les principaux organes Communautaires sont au nombre de cinq : le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, la Commission, le Parlement européen, la Cour de Justice des Communautés européennes.
le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, la Commission, le Parlement européen
Composé des chefs des exécutifs (chefs d’Etat ou de gouvernement), le Conseil européen se réunit au moins deux fois par an. Il a pour mission de donner l’impulsion nécessaire au développement de l’Union européenne et de définir les orientations de celle-ci. En ce sens, il en est l’organe supérieur.
Le Conseil de l’Union européenne est composé par les délégués des gouvernements des Etats membres : généralement les ministres des affaires étrangères, remplacés ou assistés, suivant l’ordre du jour, par d’autres ministres. La présidence du Conseil incombe par roulement à chaque Etat membre, pour une durée de six mois. Le Conseil est, pou» l’essentiel, détenteur du pouvoir normatif, qui se manifeste par des directives et des règlements directement applicables aux particuliers, de sorte qu’on a été porté à le considérer comme le législateur des Communautés. Mais, par l’effet d’une curieuse confusion, il est aussi investi de pouvoirs de caractère gouvernemental, notamment en matière de relations extérieures ou d’attributions budgétaires.
Composée de membres désignés d’un commun accord après approbation par le Parlement européen par les gouvernements des Etats membres, pour une durée de cinq ans, renouvelable, la Commission remplit plusieurs fonctions : a) chargée de veiller à l’application des traités et des actes des institutions, elle exerce des pouvoirs d’information, de prévention et de poursuite des infractions et autorise dans certains cas, en raison des clauses de sauvegarde, des mesures dérogatoires; en d’autres termes, elle exerce, en ce sens, une mission de garante des traités; b) chargée d’une «mission générale d’initiative » elle est, à beaucoup de titres, appelée à faire des propositions, pouvoir d’autant plus important et d’ailleurs sujet à contestation, sinon dans son principe, du moins dans son exercice, que, s’agissant du pouvoir normatif attribué au Conseil, la Commission est investie d’un monopole de proposition : en principe, le Conseil de l’Union européenne ne se prononce alors que sur proposition de la Commission; c) elle assure la représentation de la communauté dans certaines négociations internationales.
Du fait de sa composition, de ses pouvoirs, de sa permanence et des moyens mis à sa disposition, la Commission est l’organe essentiel d’application des traités et des actes du Conseil de l’Union européenne.
Le Parlement européen, dont les membres sont, depuis 1979, élus au suffrage universel direct, exerce principalement cinq pouvoirs : un pouvoir de contrôle politique à l’occasion de débats, de questions posées à la Commission, voire de motions de censure contraignant la Commission à démissionner; un pouvoir budgétaire; un pouvoir de concertation avec les autres institutions de l’Union européenne; un pouvoir de coopération et un pouvoir de codécision avec le Conseil de l’Union européenne.
La Cour de Justice des Communautés européennes
Siégeant à Luxembourg, elle est composée de quinze juges assistés de neuf avocats généraux, le Président de la Cour étant élu par les juges et parmi
Le développement du contentieux soumis à cette juridiction a, au surplus entraîné, à sa demande et en application de l’article 168-A du li.iité CEE, l’institution d’un tribunal de première instance des communautés européennes, le principe de cette «adjonction» ayant été formalisé, le 24 octobre 1988, par le Conseil de l’Union européenne.
Outre diverses attributions consultatives, la Cour de Justice des communautés européennes est dotée d’attributions de caractère contentieux relevant de deux catégories.
Il se peut, tout d’abord, que la Cour de justice soit saisie de recours par les plaideurs eux-mêmes, par voie d’action ou d’exception : recours en annulation des actes des institutions, recours contre la carence des institutions, exception d’illégalité contre les règlements, recours en responsabilité extra-contractuelle des Communautés, recours contre les sanctions prises par les autorités communautaires, recours en manquements d’Etats, etc. Dans ces divers cas, la juridiction se prononce au fond en premier et dernier ressort, ce qui met fin .ni litige. Il lui est possible de prononcer des sanctions pécuniaires à l’égard des Etats qui n’exécuteraient pas ses décisions.
Dans une autre catégorie de cas, la Cour de Justice n’est saisie que de façon médiate, c’est-à-dire non pas par le plaideur lui-même, mais par une juridiction nationale qui, ayant à se prononcer sur une question de droit communautaire, sursoit à statuer et s’adresse à la Cour de Luxembourg par voie de question préjudicielle, de manière incidente. La Cour de Justice peut aussi être saisie en tant qu’arbitre.
Droit communautaire primaire et droit communautaire dérivé
On a vu que le droit européen des droits de l’homme, en se développant, a constitué un ensemble de règles et de solutions dont l’articulation sur le droit interne peut faire problème. Reste que l’on peut encore parler d’un droit international s’ordonnant sur des dispositions d’une convention internationale et de ses annexes et sur des solutions dégagées à partir de l’activité de divers organes (supra, n » 178 s.).
Lorsque l’on envisage le droit communautaire européen résultant de l’évolution précédemment rappelée, l’ensemble analysé est beaucoup plus complexe, car l’ordre juridique qui s’est développé en la matière se ramène non seulement à des dispositions d’une convention internationale et à des solutions de caractère judiciaire ou parajudiciaire, mais aussi à un ensemble de normes originales émanant des organes
communautaires. Voilà pourquoi l’on doit alors distinguer ici deux sortes de droit communautaire.
Le droit communautaire originaire est constitué par les divers traités, accords et conventions qui ont institué les Communautés européennes initiales (1951, 1957), puis modifié, étendu ou complété les dispositions de ces textes. Comportant des clauses liminaires, institutionnelles, matérielles…, ce droit communautaire n’appelle pas ici d’observations autres que celles qui ont été présentées au sujet de l’autorité des traités dans la hiérarchie des normes du droit français. Il suffit donc d’y renvoyer (v. supra, nos 161 s.) .
Il en va tout autrement du droit communautaire dérivé des traités évoqués, en ce que ceux-ci ont prévu que les organes communautaires pourraient édicter des normes. Celles-ci émanent généralement du Conseil, sur proposition de la Commission. Le droit sécrété par l’Europe communautaire n’a cessé de se développer et d’accroître l’importance attachée au problème de l’intégration de ce corps de règles dans l’ordre juridique interne de chaque Etat.
Règlements, directives, décisions, recommandations, avis
L’éventail des normes s’est, à la faveur du droit communautaire, singulièrement élargi.
Semblable à la loi, au sens matériel du terme, dans l’ordre interne, le règlement a une portée générale. Applicable à des catégories de personnes envisagées abstraitement et dans leur ensemble, le règlement est obligatoire dans tous ses éléments, c’est-à-dire non seulement quant aux objectifs visés, mais quant aux moyens utilisés pour les atteindre. En outre, le règlement communautaire est directement applicable dans et non pas par tous les Etats membres, ce qui exclut « toutes modalités d’exécution dont la conséquence pourrait être de faire obstacle à l’effet direct des règlements communautaires et de compromettre ainsi leur application simultanée et uniforme dans l’ensemble de la communauté » .
Le moindre portée normative, la directive a été comparée à une loi- cadre(v. infra, n° 194), appelant un complément par des décrets l’application. Cette technique répond à un désir de plus grande souplesse dans les relations entre normes communautaires et droits internes. La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Le plus souvent, la directive est adresse à tous les Etats membres, ce qui contribue à faire d’elle un mode de législation indirecte. Reste qu’elle laisse aux Etats membres le choix îles moyens à utiliser pour atteindre les objectifs visés ce qui est loin d’être négligeable et qu’elle implique le relais de l’Etat membre quant à son insertion dans l’ordre interne. Mais l’on s’interroge sur la portée de cet acte intermédiaire. S’agit-il d’un acte de réception, disons d’une décision en l’absence de laquelle la directive est privée de portée dans l’Etat considéré? S’agit-il seulement d’exécution d’une norme dont la portée serait plus contraignante, à telle enseigne qu’en l’absence même de mesures complémentaires de transposition, la directive pourrait d’ores et déjà produire effet dans l’ordre interne de l’Etat réticent? Plutôt encline à pencher en ce dernier sens, la Cour de justice des Communautés européennes s’est refusée à faire nécessairement échapper les directives au processus de l’applicabilité directe.
D’autres normes communautaires sont dépourvues de force contraignante. Ainsi en est-il des recommandations et avis qui ne lient pas. Ils n’en sont pas moins des modes efficaces d’expansion du droit communautaire, qu’il s’agisse des avis adressés par la Commission aux entreprises ou aux Etats ou des recommandations émanant de la Commission et du Conseil. On observera qu’en droit communautaire comme en droit interne, mieux : beaucoup plus encore qu’en droit interne, l’on voit se développer les points d’émergence du droit.