Le serment décisoire
Diverses variétés de serment
Le serment implique l’affirmation, par une partie, d’un fait qui lui est favorable. En principe, une telle affirmation est suspecte et le juge ne doit point y ajouter foi. Mais il en va autrement lorsqu’elle intervient sous une forme solennelle, destinée à éviter autant que possible le mensonge.
Dans sa conception primitive, le serment est la promesse ou l’affirmation d’un fait en prenant Dieu à témoin. Dans sa forme actuelle, le serment n’est qu’une promesse ou affirmation solennelle faite en levant la main droite et en disant : « je le jure ». Mais le caractère religieux du serment est indélébile (sur les rapports entre droit et religion, v. supra, n° 9). On aura beau effacer le nom de Dieu et toute formule confessionnelle des termes employés pour le prêter, l’emploi du serment n’en impliquera pas moins l’adhésion à une pensée religieuse. C’est ce caractère qui seul peut expliquer les effets que la loi continue d’attribuer au serment. Ajoutons que le faux serment n’est pas seulement une faute morale. A la différence du simple mensonge, c’est un délit réprimé par le code pénal (art. 366), mais la preuve de la fausseté est soumise au système probatoire civil.
Le serment judiciaire, c’est-à-dire celui qui peut être employé en justice comme moyen de preuve (serment affirmatif), doit être distingué du serment promissoire prêté par les magistrats, jurés, avocats, experts qui prennent l’engagement de bien remplir leurs fonctions ou attributions, ou par les témoins promettant de dire la vérité. Le serment judiciaire affirmatif est de trois sortes : le serment dédsoire, le serment sup- plétoire et le serment estimatoire, appelé encore en plaids ou in litem.
Le serment décisoire. Définition
Le serment décisoire est ainsi nommé parce qu’il décide de la contestation. Il est défini par l’article 1357, 1°, comme « celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».
Il faut imaginer la situation suivante : un des plaideurs offre de renoncer à sa prétention si l’autre partie affirme sous serment le fait sur lequel elle fonde sa prétention contraire. Cette offre porte le nom de délation de serment. Celui à qui le serment a été ainsi déféré peut jurer; sa réponse doit à la fois être précise et correspondre exactement à la question ; ce faisant, il assure son succès. Mais s’il le préfère, il peut s’abstenir et, à son tour, référer le serment à celui qui le lui a déféré. Si ce dernier prête le serment à lui référé, ses conclusions doivent lui être adjugées; s’il refuse, il succombe : son attitude est en effet un aveu tacite. Là s’arrête l’échange; le serment ne peut pas être référé une nouvelle fois par l’auteur de la première délation (art. 1361).
Ainsi, celui qui défère le serment remet la décision du point litigieux à la conscience de son adversaire ; mais il le contraint soit à jurer, soit à lui référer le serment. En outre, la délation de serment enlève au juge son pouvoir de décision. Comme en matière d’aveu (supra, n° 588), le serment est non seulement un mode de preuve, mais encore une manifestation du pouvoir des parties dans le procès civil, en vertu du principe dispositif. Le juge sera ainsi obligé de donner gain de cause à celui qui a prêté le serment, même s’il est convaincu que ce serment est un parjure, ou de condamner celui qui refuse de le prêter, quand bien même il serait dans son droit.
Nature juridique du serment dérisoire
En considération de ce qui vient d’être dit, et d’une façon plus nette encore que pour l’aveu, le serment manifeste le pouvoir de la volonté des parties sur le procès. En effet, sans méconnaître la dimension religieuse du procédé, le serment est un mode conventionnel de terminaison d’un procès : la délation du serment est une offre de renoncer à sa prétention et d’acquiescer à celle de l’adversaire, s’il consent à fortifier son affirmation par un serment, offre à laquelle se joint implicitement celle de jurer soi-même, si l’adversaire réfère le serment. Par là, la délation de serment s’apparente au mécanisme de la transaction, bien qu’elle s’en sépare en ce qu’elle n’implique pas les concessions réciproques qui marquent une transaction. Cette dimension procédurale du serment permet de rendre compte d’un certain nombre de conditions d’utilisation du serment décisoire.
Conditions de mise en œuvre du serment dérisoire
- Le serment ne peut pas intervenir dans les matières où une transaction n’est pas possible, par exemple les matières d’ordre public, notamment d’état des personnes ; ainsi, il ne pourrait être utilisé en matière de filiation. Mais il est recevable en matière de divorce (art. 259).
- Pour avoir le droit de déférer ou de référer le serment comme pour avoir celui de le prêter, il faut avoir la capacité et le pouvoir nécessaires pour faire une transaction valable. Ainsi un mandataire, serait-il un avocat ou un avoué, a besoin d’un pouvoir spécial en matière de serment (art. 322 NCPC). Le serment ne peut, en principe, être déféré qu’aux seules parties en cause figurant à l’instance en leur nom personnel, sauf lorsqu’il s’adresse à des administrateurs de biens d’autrui si les faits allégués leur sont personnels ou aux représentants des personnes morales. Concernant ces derniers, le fait objet de preuve devait classiquement et de la même façon leur être personnel ; mais la jurisprudence, confortant la réalité de la personnalité morale (supra, n°354), pose que le serment est prêté par le représentant, même si le fait personnel a été commis par une autre personne, notamment un salarié dont la société doit répondre.
- Comme en matière d’aveu, le serment ne peut être déféré que sur un fait et non sur une question de droit, car il appartient au juge et non aux parties de dire le droit. La loi ajoute même qu’« il ne peut être déféré que sur un fait personne! à la partie à laquelle on le défère » (art. 1359) et établit en corollaire que le serment ne peut être référé que si le fait est personnel aussi à celui à qui on le réfère (art. 1362). On aura recours à un exemple : « jurez-vous que vous m’avez prêté les 1 000 francs que vous me réclamez ?» ; à quoi le demandeur pourra se contenter de répliquer : « jurez vous-même que vous ne me les avez pas empruntés ». Il y a, dans cette double hypothèse, un fait que l’auteur du serment doit connaître comme lui étant personnellement arrivé.
Il arrive que la personne à qui le serment a été déféré ou référé étant décédée, on ne puisse alors déférer à ses héritiers qu’un serment dit de crédulité (art. 2275), par lequel on leur demande seulement de jurer « qu’ils n’ont pas connaissance du fait en question ».
- Le fait sur lequel le serment porte doit être pertinent et concluant, qualités que doit avoir, d’une façon générale, un fait pour être objet de preuve (supra, n° 489) et que reprend expressément à propos du serment l’article 1357. En effet, il est particulièrement important que le fait soit décisif pour le jugement en cause, dans la mesure où l’effet du serment est précisément de mettre fin au problème de preuve.
- La délation du serment peut, comme une transaction, intervenir en tout état de cause, qu’il n’y ait aucune preuve ou aucun commencement de preuve, ou bien qu’il y en ait (art. 1360).
Lorsque les conditions exigées pour l’admissibilité du serment décisoire sont réunies, le juge est tenu d’y recourir à la demande de l’une des parties alors qu’il ne pourrait l’ordonner d’office, le contrôle du juge ne pouvant porter que sur le caractère pertinent des faits articulés, qu’il apprécie souverainement, et qui disparaît notamment si la demande de serment porte sur des faits confus, ou dont la fausseté est déjà démontrée.
- « La partie qui a déféré ou référé le serment ne peut plus se rétracter lorsque l’adversaire a déclaré qu’il est prêt à faire ce serment » (art. 1364).
Effets du serment décisoire
Ces effets sont particulièrement énergiques puisque la prestation de serment ou le refus de le prêter, qui équivaut alors à un aveu (supra, n° 585), font pleine foi et que le juge ainsi lié doit en tirer les conséquences : le gain du procès pour celui qui a prêté le serment, la perte du procès pour celui qui a refusé de prêter le serment. Le juge ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation en la matière, pas plus que l’adversaire ne peut être admis à démontrer la fausseté du fait affirmé sous serment (art. 1363). Sera ainsi irrecevable, comme en matière de transaction (art. 2052), l’appel interjeté contre le jugement intervenu sur le fondement du serment, sauf à démontrer le dol ou si l’on soutient que le serment a été admis dans un cas où il n’était pas recevable. De la même façon, pour celui qui l’a prêté, le serment est irrévocable.
Le serment supplétoire. Conditions de la délation
Le serment supplétoire est celui que le juge peut déférer d’office quand, n’étant point convaincu par les preuves produites, il veut en corroborer les conclusions ou en compenser l’insuffisance (art. 1366). Cette méthode se justifiait surtout dans un procès civil où le juge, lié par sa neutralité, ne pouvait diligenter les mesures d’instruction nécessaires (supra, n°483). Aujourd’hui, le juge ordonne plutôt une expertise ou une autre mesure d’instruction (supra, n° 481) et la procédure du serment supplétoire, bien rare en pratique, ne sera utilisée qu’à défaut.
Deux conditions symétriques sont nécessaires, aux termes de l’article 1367, pour la délation de ce serment. Il faut, d’une part, que la demande ne soit pas pleinement justifiée car si elle l’était, elle devrait alors être directement accueillie. Mais, à la différence du serment décisoire, le serment supplétoire suppose qu’existent déjà des preuves bien qu’elles ne soient pas assez convaincantes. Le serment supplétoire est ainsi, contrairement au serment décisoire, une pure méthode probatoire pour un juge qui doute. S’il s’agit d’un fait devant être prouvé par écrit, il faudra que la preuve initiale soit un commencement de preuve par écrit; il pourra s’agir d’un simple témoignage ou d’une présomption, si la preuve est libre (supra, n° 517).
Le serment supplétoire sera déféré à celle des parties en laquelle le juge aura le plus de confiance. En général, il est déféré à celle qui produit à l’appui de sa prétention un commencement de preuve par écrit. Il peut s’agir d’ailleurs d’un tiers appelé à l’instance, en déclaration de jugement commun.
Différences avec le serment décisoire
L’autorité du serment supplétoire est loin d’égaler celle du serment décisoire. En effet, ce dernier tire sa force de la convention des parties qui, en application du principe dispositif, fait loi (supra, n° 483). Le serment supplétoire, lui, n’est qu’une mesure d’instruction ordonnée par le juge.
Cela explique ainsi que le juge ait un pouvoir discrétionnaire pour déférer le serment supplétoire; il n’est jamais tenu de le déférer même si les parties le lui demandent, sans qu’il ait à motiver son refus. Le serment déféré d’office par le juge à une partie ne peut être référé par elle à l’autre (art. 1368). Le serment supplétoire peut être déféré même sur un fait non personnel à la partie appelée à jurer, dès lors qu’elle en a été informée. Le serment supplétoire ou le refus de le prêter sont librement appréciés par le juge et de la même façon la partie à qui ferait tort le serment supplétoire prêté par l’adversaire serait en droit d’en démontrer la fausseté.
Le serment estimatoire
L’article 1369 mentionne ce type de serment, dit encore en plaids ou in litem : il vise l’hypothèse dans laquelle le principe de la demande est fondé, mais où le montant de la condamnation à prononcer n’est pas déterminé et où le juge n’a pas lui-même les moyens d’en fixer la valeur exacte. La loi lui permet alors de faire déterminer sous serment le chiffre par le demandeur, sauf à lui fixer un maximum. Très proche du serment supplétoire, il s’en distingue en ce qu’il suppose que la preuve du bien-fondé de la demande, dans son principe, soit déjà entièrement rapportée et en ce qu’il ne peut être déféré qu’au demandeur.