Les droits extra-patrimoniaux
Présentation
Pour comprendre l’existence de ces droits, fort importants, qui sont attachés à la personne, et de très forte manière, sans se situer dans le cadre du patrimoine lui-même pourtant émanation de la personne dans la conception française classique, il faut retenir tout d’abord l’idée que ces droits ne sont pas conçus ou perçus comme ayant une valeur pécuniaire, du moins si on les envisage en eux-mêmes et quant à leur objet direct. On envisage, par exemple de la sorte le droit de se faire reconnaître comme l’enfant naturel d’une personne, les droits des parents sur la personne et les biens de leur enfant (attributs de l’autorité parentale), le droit d’un auteur d’une œuvre littéraire de décider si son œuvre sera ou non publiée. On appelle ces droits extra-patrimoniaux, par opposition aux droits patrimoniaux dont l’objet direct est d’assurer la protection d’un intérêt pécuniaire et qui ont, en eux-mêmes, une valeur pécuniaire.
Domaine des droits extra-patrimoniaux
Ils sont de provenances très diverses et trouvent leurs sources aussi bien en droit public qu’en droit privé, en droit international qu’en droit national. Inévitablement, la réflexion se situe souvent dans cette zone plus ou moins incertaine où s’effectue le départ difficile entre libertés publiques et droits subjectifs (supra, n° 256), si tant est qu’il soit toujours nécessaire.
Sont des droits extra-patrimoniaux, les droits politiques manifestant la participation aux organes déterminant la puissance publique dans l’Etat : par exemple l’électorat, l’éligibilité aux assemblées politiques. L’article 7 du code civil dispose qu’« ils s’acquièrent et se conservent
conformément aux lois constitutionnelles et électorales ». Leur considération amène à distinguer, parmi les personnes, celles qui ont et celles qui n’ont pas la qualité de citoyen.
Sont des droits extra-patrimoniaux, les droits publics, civils ou civiques, proclamés et consacrés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, le Pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques, et qui résultent de la seule qualité d’homme : le droit à la vie, à la liberté, à l’honneur, à la nationalité, à la liberté de conscience et de parole, à la protection de la vie privée, etc. Ces droits sont parfois dits publics, car ils s’exercent avant tout dans les rapports entre les individus et les agents de l’Etat; ils protègent contre les empiétements de l’Etat les libertés indispensables. Mais ils s’exercent aussi dans les rapports des particuliers entre eux. Chacun doit respecter la vie, la liberté, l’honneur, la personnalité des autres.
Sont des droits extra-patrimoniaux, les droits de famille (ex. : le droit d’autorité parentale). Dans tous les régimes juridiques, on reconnaît le groupement familial destiné à donner satisfaction aux besoins sexuels, à pourvoir à la procréation et à l’éducation des enfants et à assurer la vie en commun des époux ou des personnes unies par les liens du sang. L’organisation juridique de la famille, ce mode d’intégration de l’individu à la société globale, se traduit par la reconnaissance de droits de famille, par exemple les droits des époux, ceux attachés à la filiation, c’est-à-dire au lien juridique qui unit les père et mère à leurs enfants et par extension à leurs descendants, ceux tenant d’une manière plus générale à la parenté, laquelle est le lien juridique unissant des personnes qui, par filiation, descendent les unes des autres (parenté en ligne directe) ou descendent d’un auteur commun (parenté en ligne collatérale).
Sont des droits extra-patrimoniaux, les droits de la personnalité, qui à maints égards manifestent plus directement, en la personne de leurs titulaires, la répercussion de nombre de droits extra-patrimoniaux déjà plus ou moins évoqués à travers certaines catégories. C’est ainsi que le respect de l’identité de chacun va de pair avec la reconnaissance d’un droit au nom considéré comme un droit de la personnalité plus que comme un droit de propriété. Dans une perspective voisine, se situe le droit à l’inviolabilité du domicile en tant que droit de la personnalité Et il convient d’en dire autant du droit de chacun à sa propre image, ainsi qu’au respect de sa vie privée. Le droit à l’honneur est aussi, parmi beaucoup d’autres, un droit de la personnalité, donc un droit extra-patrimonial.
Régime des droits extra-patrimoniaux
A la différence des droits patrimoniaux, les droits extra-patrimoniaux sont incessibles, intransmissibles aux héritiers et aux légataires du titulaire, insaisissables par ses créanciers et imprescriptibles, qu’il s’agisse de prescription acquisitive ou de prescription extinctive.
Ces différences sont importantes. Il convient cependant de signaler des nuances, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre catégorie de droits.
Certains caractères attachés normalement aux droits extra-patrimoniaux ne sont pas nécessairement inconnus du côté des droits patrimoniaux. Ainsi existe-t-il des cas dans lesquels, un bien étant affecté par une clause d’inaliénabilité (ex. : art. 900-1 c. civ.), le titulaire du droit de propriété sur ce bien ne pourra pas céder ce droit. Ainsi certains droits patrimoniaux, présentant un caractère viager (ex. : un droit d’usufruit sur une maison), ne seront pas transmis aux héritiers et légataires.
A l’inverse, on ne saurait considérer que les droits extrapatrimoniaux sont nécessairement dépourvus de conséquences pécuniaires : l’établissement d’une filiation entraîne des effets d’ordre successoral; à l’autorité parentale, sont attachées des prérogatives d’ordre pécuniaire, spécialement le droit de jouissance légale, c’est-à-dire le droit de percevoir les revenus des biens des enfants jusqu’à ce que ceux-ci aient atteint l’âge de seize ans accomplis (art. 383 s., c. civ.); quand une personne a été atteinte dans son honneur par une diffamation, elle peut éventuellement obtenir des dommages-intérêts, qui constituent une sanction pécuniaire; quant au droit d’une personne soit au secret de sa vie privée, soit à son image, qui constituent des droits de la personnalité, ils n’empêchent pas leurs titulaires d’en monnayer la divulgation, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’en agissant de la sorte, ils se dépouillent de leur droit, car ils se bornent à l’exploiter. Des remarques semblables pourraient être formulées au sujet du droit au nom patronymique ; mais à cet égard, du fait de la possibilité d’user de celui-ci comme un nom commercial ou une dénomination sociale, se manifeste une tendance accentuée dans le sens d’une certaine patrimonialisation.
Il arrive aussi que coexistent, dans le cadre d’une même protection globale, un droit patrimonial et un droit extra-patrimonial. Telle est, du moins dans le système français, la conception dualiste du droit d’auteur, qui se traduit à la fois par la possibilité, pour l’auteur, de céder le droit d’édition de son œuvre, qui est un droit pécuniaire, patrimonial, et par la possibilité de faire respecter son œuvre contre le plagiat, contre une traduction infidèle,… et de ne pas la divulguer, voire de la détruire, ce qui constitue le droit moral de l’auteur, qui est un droit extra-patrimonial ; le droit pécuniaire et le droit moral de l’auteur sont distincts mais il existe entre eux une étroite dépendance.