Les lois
Les lois organiques
Depuis la Constitution de 1958, il y a lieu de mentionner les lois organiques qui forment une catégorie juridique bien définie : elles ont pour objet de fixer les modalités d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics. La Constitution (art. 6, 13, 24, 25, 27, 34, 47, 57, 63, 64, 65, 68, 71) énumère limitativement les» matières dans lesquelles peuvent intervenir de telles lois. Celles-ci sont adoptées selon une procédure particulière fixée par les articles 46 et 61, alinéa 1er, de la Constitution. Les lois organiques ont une force juridique supérieure à celle des lois ordinaires. Une loi ordinaire qui ne serait pas conforme à une loi organique serait jugée contraire à la Constitution. Sur les « lois du pays », en Nouvelle-Calédonie, depuis la loi du 19 mars 1999, v. infra, n°435.
Les lois ordinaires
D’après la tradition constitutionnelle républicaine française, la souveraineté nationale est exercée par les représentants du peuple, élus au Parlement, c’est-à-dire par le pouvoir législatif. En vertu des lois constitutionnelles de 1875 (IIIe République), les lois devaient être votées par la Chambre des députés et le Sénat.
D’après la Constitution du 27 octobre 1946 (IVe République), l’Assemblée nationale votait seule la loi (art. 13). Le projet ou la proposition de loi devait cependant faire l’objet d’un examen par le Conseil de la République; mais, en cas de désaccord, l’Assemblée nationale avait le dernier mot (art. 20, mod. par L. 7 déc. 1954).
Selon l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (Ve République), la loi est votée par le Parlement: en principe, l’Assemblée nationale et le Sénat doivent se mettre d’accord pour l’adoption d’un texte identique; si l’accord n’est pas possible, même à la suite de la réunion d’une commission mixte composée d’un nombre égal de membres de chacune des deux assemblées, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement (art. 45). L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et, sous certaines réserves, aux membres du Parlement (art. 39 et 40).
A côté des lois « parlementaires », la Constitution de 1958 a prévu des lois «référendaires». De l’article 11 de la Constitution, tel qu’il résulte de la réforme constitutionnelle opérée par la loi du 4 août 1995, il résulte que « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la constitution, aurait des
Les différentes sortes de lois ordinaires
La Constitution de 1958 ne reconnaît que trois catégories de lois hiérarchisées : les lois constitutionnelles, les lois organiques et les lois « ordinaires ». Parmi celles-ci, distinctes des lois habituelles, certaines lois présentent des caractères originaux : ce sont les lois de finances, les lois de programme, les lois d’orientation et les lois-cadres.
Les lois de finances prévoient et autorisent, pour chaque année civile, l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat (Const., art. 34, 39, -10 et 47).
D’une manière plus souple, est envisagée, à l’article 34 de la Constitution, la possibilité de lois de programme qui « déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’Etat». On peut cependant ‘interroger sur la portée juridique exacte de telles lois, puisqu’elles « … ne peuvent permettre d’engager l’Etat à l’égard des tiers que dans les limites des autorisations de programmes contenues dans la loi de fiances de l’année » (art. 2, 5e al., Ord. 2 janv. 1959 portant loi organique relative aux lois de finances). On a donc pu dire qu’il s’agit d’un engagement de l’Etat envers lui-même, mais non envers les tiers.
Les lois d’orientation ne font l’objet d’aucune disposition de la constitution. L’expression a été utilisée pour la première fois, sous la République, par le législateur avec le vote de la loi d’orientation agricole du 5 août 1960. Ultérieurement, un certain nombre de lois d’orientation ont été votées, parmi lesquelles : la loi d’orientation fonciére du 30 décembre 1967, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968, la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat du 27 décembre 1973, la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 … Ces lois sont destinées à servir de fondement à une nouvelle politique dans un secteur socio- économique. Elles se caractérisent par un aspect prévisionnel marqué et contiennent tout à la fois des règles de droit positif directement
Force est bien de constater un développement inquiétant des lois « fourre-tout », plus précisément de lois portant diverses dispositions, notamment d’ordre social (DDOS) ou d’ordre fiscal (DDOF). L’on se déclare en tout lieu attentif à cette dérive, non sans ajouter, ce qui est loin d’être encourageant, que « la commodité de cette pratique interdit de la proscrire complètement ».
Issues de la réforme opérée par la loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 « instituant les lois de financement de la sécurité sociale », ces lois « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » (Const. art. 34, al. 7). Ces nouvelles lois diffèrent des lois de finances en ce qu’elles n’autorisent pas perception et engagement de dépenses, des lois d’orientation car elles fixent des normes et ne se bornent pas à orienter ou à ratifier, des lois portant diverses dispositions d’ordre social puisque le Gouvernement ne saurait faire adopter de manière urgente, au moyen de ces lois de financement, n’importe quelle mesure d’ordre social.
Décrets ayant valeur législative.Les précédents
La compétence exclusive du Parlement dans l’élaboration des lois contredisant ou modifiant des lois antérieures ou ne se fondant pas sur des textes législatifs dérivait du principe de la séparation des pouvoirs mis en honneur à la fin du xvme siècle. Elle était pour les citoyens une garantie considérable contre l’arbitraire du Gouvernement, qui n’est pas issu directement du peuple. Mais ce système entravait souvent l’action gouvernementale pendant les périodes de crise. En maintes circonstances, on a donc vu la compétence parlementaire battue en brèche par le Gouvernement.
Des circonstances de crise ont, dans le passé, incité le chef du pouvoir exécutif à prendre des ordonnances ou des décrets ayant force de loi : cela s’est produit en 1848, en 1851, en 1870, sous l’occupation de IV40 à 1944 de la part du Gouvernement de Vichy, de 1943 à 1945 de la part du Gouvernement provisoire de la République. En dehors même de telles périodes, il est arrivé, sous l’empire des lois constitutionnelles de 1875, que le Parlement, en vue de hâter des réformes dont il comprenait l’urgence, mais qu’il se sentait impuissant à réaliser, délègue ses pouvoirs au Gouvernement. Ainsi, toute une série de lois sont venues, en 1926, en 1934, en 1935, en 1938 et 1939, donner .ni Gouvernement le droit de prendre, en certaines matières visées par la loi de délégation, des décrets ayant force de loi et pouvant modifier ou compléter les lois antérieures. Ces décrets, dits décrets-lois, étaient subordonnés à la loi en ce qu’ils devaient être soumis dans un certain délai à la ratification du Parlement, mais en attendant ils entraient immédiatement en vigueur. Leur nombre a été fort important.
Une telle procédure heurtait, incontestablement, le texte aussi bien que l’esprit de la Constitution de 1875, qui attribuait formellement aux Chambres l’exercice du pouvoir législatif : celui-ci était une fonction que le Parlement devait exercer et dont il ne pouvait disposer.
Cette critique incita la Constitution de 1946 à interdire la pratique des décrets-lois, en disposant, dans son article 13: «L’Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit ». Mais cette défense demeura lettre morte. Des délégations du pouvoir législatif lurent opérées de manière détournée, spécialement par le procédé de l’extension du pouvoir réglementaire : la loi du 17 août 1948, modifiée par celle du 11 novembre 1953, attribua le caractère réglementaire à certaines matières (organisation des services publics, des établissements nationalisés et des groupements professionnels, valeurs mobilières, contrôle des prix, notamment) et décida qu’elles pourraient être réglées par des décrets susceptibles eux-mêmes de modifier des lois antérieures. Le Conseil d’Etat, dans un avis du 6 février 1953 avait lui-même distingué les matières législatives « par nature » et celles relevant du pouvoir exécutif. Les pratiques suivies de la sorte avaient créé une situation ambiguë. Théoriquement, le principe de la supériorité de la loi sur le règlement était maintenu. Dans la pratique, il était très souvent battu en brèche, puisque de nombreuses lois pouvaient ainsi être modifiées par décret.
La Ve République : les ordonnances
La Constitution de 1958 est caractérisée par un développement des tendances précédentes. D’une part, elle a soustrait à la compétence du Parlement un certain nombre de matières ainsi abandonnées au pouvoir exécutif, au point qu’en un sens, les matières relevant du Parlement représentent l’exception (v. infra, n° 200). Elle a, en outre, renforcé l’action gouvernementale en matière législative, par diverses mesures. Lesquelles ?
1° A titre provisoire, pendant les quatre mois qui ont suivi la promulgation de la Constitution, soit jusqu’au 4 février 1959, son article 92 a donné au Gouvernement le droit de prendre en toutes matières, par ordonnances ayant valeur de loi, les mesures jugées par lui nécessaires, soit pour la mise en place des institutions, soit pour la vie de la nation, la protection des citoyens ou la sauvegarde des libertés. Ces ordonnances ont valeur de loi, bien qu’elles n’aient pas été soumises à la ratification parlementaire; elles ne sont pas susceptibles de recours. Le Gouvernement a largement utilisé ses pouvoirs intérimaires.
2° A titre permanent, la Constitution de 1958 a prévu un certain nombre de cas dans lesquels le Gouvernement ou le Président de la République peuvent prendre des mesures législatives.
a) En vertu de l’article 38, le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances (en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’Etat), pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Ces ordonnances doivent être soumises à la ratification du Parlement, mais elles entrent en vigueur dès leur publication ; elles deviennent toutefois caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation (sur la codification par voie d’ordonnance en application de l’article 38, v. infra, n° 377).
Pendant le délai ouvert au Gouvernement pour légiférer par ordonnances, celles-ci, bien que portant sur des matières législatives, demeurent des actes réglementaires susceptibles d’être attaqués pour excès de pouvoir si elles débordent la loi d’habilitation. A l’expiration du délai pour lequel le pouvoir de prendre des ordonnances a été accordé au Gouvernement, celles-ci se trouvent dans une situation i h rieuse. En effet, tant qu’une ratification expresse ou implicite du Parlement n’est pas intervenue, elles restent soumises au régime juridique des actes réglementaires et peuvent donc faire l’objet d’une annulation pour excès de pouvoir. Mais, d’un autre côté, elles ne peuvent plus être modifiées que par une loi (art. 38, al. 3).
La question s’est posée de savoir si les ordonnances prises en vertu de l’article 16 sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat a estimé qu’elles demeurent soumises à son contrôle, dans la mesure où elles ne sortent pas du domaine assigné normalement au pouvoir exécutif par l’article 37; si, au contraire, elles traitent de questions relevant de la compétence du Parlement, elles échappent à son contrôle.
b) L’utilisation de l’article 11 de la Constitution, permettant de faire voter certaines lois par voie de référendum (supra, n° 193), a favorisé aussi l’extension des pouvoirs du Gouvernement.