Les modes non juridictionnels
Distinction
Lorsqu’il est décidé de recourir à des sanctions, les démarches varient dans la mesure où les autorités publiques, appelées à faire respecter les règles, et les sujets de droit, conduits à lutter pour la défense de leurs droits, conjuguent leurs efforts à partir de situations différentes.
Encore convient-il de distinguer deux façons d’éviter ou de fuir le recours à des juridictions : l’une, qui est, à quelques réserves près, illicite; les autres, qui ne sont admises, voire encouragées, que dans certaines conditions ou d’une certaine manière.
Le mode illicite. L’interdiction de se faire justice à soi- même
On pourrait concevoir que, lorsqu’il est porté atteinte aux prérogatives d’un individu, celui-ci puisse se faire justice à lui-même, les pouvoirs publics se désintéressant alors des obligations qui lient les particuliers les uns à l’égard des autres; dès lors, le créancier par exemple un prêteur d’argent en serait réduit, pour se payer, à s’emparer de biens appartenant au débiteur. Dans un pays ayant atteint un certain degré de civilisation, un tel procédé est inadmissible; il contient en lui un germe puissant d’anarchie évidemment contraire aux finalités du droit.
C’est pourquoi un principe a prévalu : nul ne peut se faire justice à soi-même. De cette maxime résultent deux conséquences : a) si, lorsqu’il veut obtenir satisfaction (ex. : restitution de la chose prêtée, paiement d’une somme d’argent), le titulaire du droit se heurte à une résistance, il lui faut, pour la vaincre, obtenir en justice une décision de condamnation et, à cette fin, exercer une action en justice; b) si, après avoir obtenu en justice une condamnation, le titulaire du droit n’en obtient pas l’exécution spontanée, il ne peut l’exécuter lui-même par la force ; au contraire, il ne peut alors que suivre, dans les formes judiciaires et avec l’aide d’un huissier de justice ou d’un commissaire de police, la démarche qui conduit à l’exécution forcée des jugements (saisies, expulsion, …).
On ne manquera pourtant pas de rappeler, dans un ordre d’idées voisin, que l’Administration peut se conférer à elle-même un titre exécutoire et qu’elle est investie du privilège d’exécution d’office (supra, n° 605).
Les modes licites de règlement non juridictionnel
On peut, à ce propos, évoquer brièvement la transaction, qui est un mode contractuel de solution des différends. « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » (art. 2044, al. 1er, c. civ.). La parenté existant avec les modes juridictionnels de solution des conflits se manifeste spécialement au sujet des effets du contrat, puisque « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort» (art. 2052, al. 1er, c. civ.). On observera qu’en droit public, spécialement en droit fiscal, une place importante est faite à la transaction, dans des conditions particulières. On s’en tiendra à la conciliation et à la médiation.
La conciliation et la médiation extrajudiciaires
II peut exister des liens ou des interférences entre transaction et conciliation, en ce que, dans un sens large, l’on peut considérer que la conciliation est un accord par lequel deux personnes en litige mettent fin à celui-ci. De manière plus spécifique et opérationnelle, la notion de conciliation sert à désigner tant l’accord entre parties obtenu au cours d’une procédure grâce à l’intervention d’un tiers, généralement d’un juge, que la démarche par laquelle ce tiers s’emploie à réconcilier les adversaires. De la sorte, le différend prend généralement fin sans vainqueur ni vaincu. En droit international public, ce caractère inappréciable explique le fait qu’il s’agisse d’un mode privilégié de règlement des différends entre les Etats; on y a volontiers, dans cette perspective, recours à la procédure de « bons offices ». En droit public interne, par exemple dans le domaine des marchés de travaux publics, la conciliation est dotée d’une fonction qui n’est pas négligeable.
En matière civile, un décret du 20 mars 1978 modifié par des décrets du 18 mai 1981, du 25 février 1993 et du 13 décembre 1996 a, de manière plus générale, institué des conciliateurs de justice ayant pour mission de faciliter, en dehors de toute procédure judiciaire, le règlement amiable des différends portant sur des droits dont les intéressés ont la libre disposition. On a voulu, de la sorte, non sans réminiscence du rôle des anciens juges de paix, supprimés lors de la réforme judiciaire de 1958, favoriser le développement des solutions amiables. Sans être magistrat, le conciliateur de justice exerce une mission officielle ; c’est pourquoi il est désigné par ordonnance du premier président de la cour d’appel, sur proposition du procureur général, pour un mandat d’une année, reconduit ensuite pour une période renouvelable de deux ans. Sa mission consiste à concilier les parties et, à cet effet, à les entendre, voire à entendre des témoins. S’il échoue dans sa tentative, son rôle prend fin. La pratique a montré que la réforme ainsi opérée se heurtait à de sérieux obstacles.
La médiation ressemble à la conciliation en ce qu’elle tend à apporter une solution à un différend autre qu’un jugement. De la sorte, il semble qu’il n’y ait pas de différence de nature entre les deux démarches. Il n’en demeure pas moins que la fonction d’un médiateur est plus active que celle d’un conciliateur, car il lui incombe de rechercher les éléments d’un accord qu’il propose aux parties, sans pouvoir pourtant le leur imposer.
Là encore, la médiation s’est notablement développée dans les relations internationales. Mais elle a exercé et exerce encore un rôle qui n’est pas négligeable en droit du travail. D’autres secteurs ont été sensibles à l’opportunité de la médiation, par exemple en matière pénale ou en droit des affaires. Ajoutons dans l’ordre administratif, l’institution du médiateur de la République (L. 3 janv. 1973), sur le modèle de l’Ombudsman suédois.
La conciliation et la médiation judiciaires
De manière générale, « il entre dans la mission du juge de concilier les parties » (art. 21 NCPC), ce à quoi il est naturel qu’il s’emploie au seuil ou au cours de la procédure. Figurant parmi les dispositions liminaires du nouveau code de procédure civile (1975), cette exigence s’est traditionnellement manifestée en matière de divorce. La recherche de la conciliation y remplit un rôle plus important qu’ailleurs.
La loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative comporte des dispositions sur la conciliation et la médiation judiciaires (art. 21 à 26). « Le juge peut, après avoir obtenu l’accord des parties » ce qui n’est tout de même pas de nature à faciliter la démarche « désigner une tierce personne remplissant les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat pour procéder : 1° Soit aux tentatives préalables de conciliation prescrites par la loi, sauf en matière de divorce et de séparation de corps ; 2° Soit à une médiation, en tout état de la procédure et y compris en référé, pour tenter de parvenir à un accord entre les parties » (art. 21, al. 1er; sur la provision et les frais, v. les art. 21, al. 2, et 22). « La durée de la mission de conciliation ou de médiation est initialement fixée par le juge sans qu’elle puisse excéder un délai fixé par décret en Conseil d’Etat» (art. 23, al. 1er). Le juge peut toutefois renouveler la mission ou y mettre fin (art. 23, al. 2). « Le conciliateur et le médiateur sont tenus à l’obligation du secret à l’égard des tiers » (art. 24, al. 1er). «Les constatations du conciliateur ou du médiateur et les déclarations qu’ils recueillent ne peuvent être évoquées devant le juge saisi qu’avec l’accord des parties. Elles ne peuvent être utilisées dans une autre instance» (al. 2). «Toutefois, le conciliateur ou le médiateur informe le juge de ce que les parties sont ou non parvenues à un accord » (al. 3). Un décret du 22 juillet 1996 a complété, sur le terrain de la procédure, ces dispositions (v. les art. 131-1 à 131-15 NCPC, au sujet de la médiation, et 831 à 835, au sujet de la conciliation).