Les présomptions du fait de l’homme: Présomption du fait de l'homme
Lorsque la preuve directe du fait, initialement objet de preuve, se révèle difficile, hors de la portée du demandeur à l’allégation, qu’il reste donc « inconnu », le juge peut cependant admettre que cette preuve soit indirectement rapportée. Comme il a été écrit à propos de la preuve du fait négatif (supra, n°490), il peut admettre que soit rapportée la preuve de faits qui ne sont pas l’objet direct de la preuve, mais qui ont une portée probatoire : ils sont ainsi « connus ». Si le juge admet l’existence d’un lien logique entre ces faits « connus » et ce fait « inconnu », il pourra alors déduire de la preuve directe des faits connus la preuve indirecte du fait inconnu. L’article 1349 vise le lien logique de la conséquence : « les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Mais ce n’est là qu’un exemple et l’on doit admettre d’autres liens, comme la causalité, l’incompatibilité, l’identité.
Exemple classique : pour reconstituer la vitesse à laquelle roulait la voiture, on mesure les traces qu’ont laissées les pneus sur la route. On prouve ainsi directement des faits (traces de pneus) qui ne sont pas l’objet de la preuve (vitesse), mais en établissant un lien de causalité (la trace de pneus est la conséquence d’une certaine vitesse), on déduit de la preuve fournie la preuve indirecte de la vitesse. La présomption est alors un véritable raisonnement probatoire, dont l’importance pratique est extrême. Elle consiste en un déplacement d’objet de preuve : voulant prouver la vitesse, on prouve utilement les traces de pneus.
Cependant, la présomption introduit, par ce déplacement ingénieux et indispensable de l’objet de preuve, une incertitude. En effet, le caractère indirect de ce mécanisme, qui modifie audacieusement l’objet de la preuve, peut être hasardeux. En cela, la présomption n’est pas d’une autre nature que les preuves directes : la preuve absolument directe est une illusion et l’on sait que la réalité, objet de tout effort de preuve, est toujours cernée mais jamais atteinte. L’incertitude de la présomption est simplement plus forte, en degré, que celle de la preuve directe. Cela entraîne deux conséquences.
En premier lieu, dans un remarquable article 1353, le code civil précise que les présomptions « sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat », paroles tout à la fois de confiance et de mise en garde. Corrélativement, il est indiqué au même article, que le juge « ne doit admettre que des précomptions graves, précises et concordantes ». Certes le juge qui admet une présomption n’est pas obligé de mentionner expressément dans sa décision qu’il prend appui sur un tel faisceau d’indices. Et ce n’est pas aller au-delà de la lettre et de l’esprit du texte que d’autoriser le juge à former sa conviction sur un fait unique, si celui-ci lui paraît de nature à établir la preuve nécessaire.
En second lieu, parce que la présomption est un raisonnement probatoire, qui opère un déplacement de l’objet de la preuve, il doit toujours être possible de rapporter la preuve contraire. En effet, par nature, la preuve n’est que la démonstration de la vérité, tant que la preuve de l’inexactitude n’a pas été rapportée (supra, nos478 et 481). Donc, une présomption du fait de l’homme est dite simple, c’est-à-dire susceptible de preuve contraire. Le défendeur à l’allégation pourra, soit, si cela est possible, apporter la preuve contraire du fait qui est l’objet direct de la preuve (un témoin attestant que la vitesse de la voiture n’était pas excessive), soit apporter la preuve contraire des faits indirects vers lesquels s’est déplacé l’objet de la preuve (les traces sur la route provenant d’une autre voiture que la sienne), soit encore briser la démonstration du lien logique établi entre le fait connu et le fait inconnu (les traces de pneus de la voiture sont dues à un défaut des pneus et non à une vitesse excessive). De nombreuses présomptions légales s’analysent selon ce même modèle du raisonnement probatoire.