Les principes de droit
Sens du mot
Le mot principe a plusieurs sens dans l’ordre juridique, les uns et les autres se rattachant plus ou moins étroitement à une idée de généralité. Il est souvent recouru à cette notion, de sorte que, pour éviter les confusions, il n’est pas rare que le substantif soit accompagné de l’adjectif fondamental.
En droit constitutionnel, la notion de principe fondamental est doublement importante. Elle l’est tout d’abord quant à la situation des lois par rapport à la Constitution. L’on a vu que le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois au Préambule de la Constitution de 1958, lequel renvoie à celui de la Constitution de 1946. Or, dans ce dernier texte, le peuple français a réaffirmé solennellement « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». La notion de principe fondamental est donc, à ce titre, importante dans le fonctionnement de nos institutions (v. supra, n° 155) .
La notion de principe fondamental est encore utilisée en droit constitutionnel au sujet de la distinction des domaines respectifs de la loi et du règlement, l’article 34 de la Constitution de 1958 déterminant, à l’aide de cette notion, certains domaines relevant du pouvoir législatif (v. supra, n° 200). C’est dans un autre sens que les principes sont ici envisagés.
Les principes généraux
C’est à une époque relativement tardive que les auteurs ont, le plus souvent, appelé l’attention sur l’existence de principes généraux du droit. D’une branche du droit à l’autre, selon que le terrain juridique était plus ou moins recouvert de textes, leur importance varie.
La voie a été ouverte surtout à travers le droit public. Ainsi, en droit international public, on a pu observer que l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice fait figurer « les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées » parmi les sources du droit applicable par la Cour. Il en avait été de même, avant la dernière guerre mondiale, de la Cour permanente de justice internationale, ce qui avait notamment suscité la réflexion au-delà du seul droit public. Au nombre de ces principes généraux respectés ou non, c’est une autre affaire -, on cite la permanence des engagements conclus par les Etats, quelles que soient les vicissitudes de leurs gouvernements.
Dans l’ordre interne, l’importance des principes généraux s’est d’abord affirmée en droit public , surtout lorsque le Conseil d’Etat s’est fondé sur des « principes généraux du droit applicables même en l’absence d’un texte ». C’est ainsi qu’il a reconnu une existence propre au principe du respect des droits de la défense .
En droit européen
II a favorisé une éclosion de principes ou principes généraux, ou principes fondamentaux propres à coiffer les ordres nationaux et à démantibuler nombre de systèmes, pour la plus grande joie des amateurs d’incertitudes juridiques, contraires, de par leur essence même, à la sécurité juridique et à la prévisibilité du droit : en droit européen des droits de l’homme (v. supra, n° 176), en droit communautaire. Exemples : principes de bonne administration, de confiance mutuelle, de coopération loyale 6, de l’effectivité, de
l’effet immédiat et de la non-rétroactivité de la règle juridique (v. infra, nos 439 s.), de précaution1, de proportionnalité2, de subsidiarité, de la sécurité de la règle juridique (v. infra, n° 398).
En droit privé
L’apparition et le développement des principes généraux en droit public pouvaient s’expliquer par diverses raisons tenant notamment à l’absence de codification, au rôle nécessairement créateur de la jurisprudence, à des préoccupations d’ordre général- propres au droit public.
Bien que ces considérations aient été, pour l’essentiel, étrangères au droit privé, l’existence de principes généraux y a aussi été admise, même lorsque des textes (rappr. l’art. 1584, al. 3, c. civ., relatif aux principes généraux des conventions) n’y faisaient pas référence 3. Le plus célèbre est probablement celui sur lequel la Cour de cassation, consacrant la théorie de l’enrichissement sans cause, a fondé l’action de in rem verso « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui » et n’a été « réglementé par aucun texte de nos lois… ». Ultérieurement, surtout depuis une quinzaine d’années, la Cour de cassation a fondé assez souvent ses décisions sur des principes généraux ou sur des principes, en dehors de tout texte formulant ceux-ci. La doctrine en a fait la constatation au sujet des diverses branches du droit privé, qu’il s’agisse notamment de droit civil, de droit commercial, de procédure civile, de droit international privé. En adoptant cette attitude, moins attentive à des assises textuelles que
- V. not. Chantai. Cans, Le principe de précaution, nouvel élément du contrôle de légalité, Rev. fr. dr. adm. 1999, 750 s. ; Corinne Lepage, Que faut-il entendre par principe de précaution ?, Gaz. Pal. 1999,1, doctr. 7 s. ; J.-P. Desideri, La précaution en droit privé, D. 2000, chron. 238 s.
- Rappr., Existe-t-il un principe de proportionnalité’ en droit privé ?, Colloque Paris V, 20 mars 1998, Petites Affiches, n° 117, 30 sept. 1998; Sophie Le Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, thèse Paris I, éd. 2000.
- J. Boulanger, Principes généraux du droit et droit positif, Mélanges Ripert, 1950, t. I, p. 51 s.; G. Ripert, Les forces créatrices du droit, 1955, nos 123 s.; G. Lyon-Caen, Du rôle des principes généraux du droit civil en droit du travail (première approche), RTD civ. 1974, p. 229 s.; P. Morvan, Le principe de droit privé, thèse Panthéon-Assas (Paris 11), éd. 1999; Marielle de Béchillon, La notion de principe général en droit privé, éd. PU Aix-Marseille, 1998.
par le passé, la Cour de cassation marque bien la nécessité de ne pas confondre le droit avec les lois. De la sorte, il peut lui être plus facile de mener une entreprise nécessaire — et constamment recommencée de rationalisation du droit.
Les principes généraux ou les principes ainsi dégagés sont très divers. En la forme, il en est qui s’expriment par des maximes ou des adages, souvent transmis en termes latins. Les uns ont été relayés par des textes (ex. art. 2279, al. 1er, c. civ. : « En fait de meubles, la possession vaut titre ») ; d’autres ont subsisté sans ce support (ex. : accesso- rium sequitur principale : l’accessoire suit le principal) ; mais il se peut aussi que le principe général existe tel quel sans le secours d’une maxime ou d’un adage.
Quant au fond, ils peuvent correspondre à des aspirations variées. Tandis que certains tendent à assurer une certaine cohésion de l’ordre juridique (ex. : error communis facit jus : l’erreur commune crée le droit), d’autres se rattachent à des valeurs de morale et d’équité.
Portée des principes
Elle peut être indiquée à un double titre. On observera tout d’abord que, suivant les arrêts, la Cour de cassation emploie l’expression de principe général ou simplement le mot principe, lorsque le degré de généralité de la règle est moindre .
Tout comme au sujet de la coutume, on peut s’interroger sur la place des principes par rapport aux sources du droit, ce qui laisse place à une grande perplexité tenant à la nature des principes ici étudiés4. On utilisera pour la surmonter les catégories employées au sujet de la coutume dans ses rapports avec la loi5. Il arrive tout d’abord que des principes opèrent secundum legem : ils coexistent avec des textes de loi ou sont induits de ceux-ci, ce qui se manifeste dans le visa des arrêts. Mais il se peut que le principe soit exprimé, consacré praeter legem, en l’absence de texte. En outre, il arrive que soit retenu un principe contra legem : alors qu’aux termes de l’article 732 du code civil, « la loi ne considère ni la nature ni l’origine des biens pour en régler la succession », la Cour de cassation a estimé qu’une cour d’appel avait pu décider que certains biens, considérés comme des souvenirs de famille, échappaient aux règles habituelles de la dévolution successorale et du partage.
Ces observations renvoient à des questions encore plus essentielles, relatives à la nature des principes généraux. Dès lors qu’un pourvoi peut être fondé sur la seule violation d’un principe, et ce indépendamment de tout texte, voire contrairement à une disposition existante et non abrogée, on peut être conduit à penser que le principe doit être assimilé à une norme juridique existante sans pouvoir être ramené à une opinion doctrinale ou à une disposition de la loi. A vrai dire, pour en être vraiment assuré, il conviendrait que la jurisprudence ait, à diverses reprises, consacré sans équivoque des principes contra legem.
S’il en était vraiment ainsi, encore faudrait-il se demander si cette force permettant de contredire la loi n’appartient pas plutôt au juge. N’est-il pas arrivé à la jurisprudence d’aller à l’encontre de la loi? Ce rapprochement peut porter à nier l’existence, en tant que tels, fût-ce à l’état latent, de principes généraux. Aussi longtemps que des décisions ne les auraient pas appliqués, ils ne seraient qu’en suspension et ils ne deviendraient partie intégrante du droit que, positivement, par le truchement des décisions des juges. On ne peut manquer de rapprocher cette analyse réductrice de celle par laquelle d’aucuns voulurent autrefois réduire la coutume à la jurisprudence (supra, n° 207). On répondra, ici encore, à l’objection en soulignant que les phénomènes juridiques ne se réduisent pas outre les lois et règlements à leurs manifestations contentieuses.