Les principes du droit communautaire
A. Les principes économiques
1. Du marché commun au marché intérieur
La Communauté européenne n’est pas une simple zone de libre-échange, tendant seulement à la suppression des droits de douane et des contingentements (effective depuis le 1ei juillet 1968). En effet, elle constitue également, depuis le 1er juillet 1968, une union douanière qui concerne l’ensemble des échanges de marchandises et suppose l’adoption d’un tarif douanier commun (TDC), encore appelé tarif extérieur commun (TEC), applicable aux importations en provenance de pays tiers.
Ce marché commun, visant à « l’élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d’un véritable marché intérieur » (CJCE, 5 mai 1982, Schul), a donc progressivement cédé la place au marché intérieur, à partir du 1er janvier 1993. Ce « marché unique » (ou « grand marché intérieur »), dont la réalisation avait été prévue dès 1957 par le traité de Rome (art. 3), et dont l’achèvement a été rendu possible par l’Acte unique européen en 1986, est défini comme « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité » (art. 14). Quelque 1410 directives auront été nécessaires pour rendre effectives ces quatre libertés !
Les quatre libertés renvoient au caractère fondamentalement libéral des traités communautaires
La libre circulation des marchandises supposait à l’origine l’existence d’un seul territoire douanier à la place des territoires des Etats membres et de ceux des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) associés à la Communauté ; à l’intérieur de ce territoire, les mar-chandises pourraient circuler en toute liberté, et à l’extérieur, elles seraient protégées contre la concurrence des produits en provenance des pays tiers (« préférence communautaire »).
Lors de l’entrée en vigueur du traité (Ie1 janvier 1958), les Etats s’étaient d’abord engagés à ne pas instituer de nouveaux droits et ne pas augmenter les droits existants (clause de « stand still ») avant de les faire progressivement disparaître.
• La libre circulation des personnes, qui constitue également un principe fondamental du droit communautaire (CJCE, 9 décembre 1965, Hessische Knappschaft), ne concernait à l’origine que les travailleurs, au sens économique du terme, avant d’être étendue par Maastricht à « tout citoyen de l’Union » (art. 18 CE).
Ce droit, qui implique l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, permet à tout ressortissant européen de se rendre et de séjourner dans l’Etat membre de son choix, sans avoir à justifier d’un quelconque titre de séjour.
Elle lui donne également le droit d’y accéder à un emploi, qu’il s’agisse d’une activité salariée ou non salariée (liberté d’établissement), et lui offre même la possibilité d’y accueillir sa famille. Cette liberté s’est toutefois avérée relativement difficile à mettre en œuvre du fait du manque de concordance entre les législations nationales et la législation communautaire, et des conditions requises pour accéder à certains emplois (qualifications, diplômes…), ainsi que de la barrière des langues.
C’est pourquoi un certain nombre de directives ont été adoptées à partir de 1975 en vue de faciliter l’accès à certaines professions essentiellement dans le domaine de la santé (médecins, infirmiers, dentistes, vétérinaires, sages-femmes, pharmaciens) et dans le domaine juridique (avocats, experts-comptables, agents immobiliers). Seules des réserves « d’ordre public » (salubrité, sécurité, santé publique) ou liées à l’exercice d’emplois publics sont susceptibles de limiter cette liberté.
Elle a été complétée par les accords de Schengen (14 juin 1985 et 19 juin 1990) visant à permettre à tous les ressortissants des pays signataires de franchir librement les frontières intérieures, tout en renforçant les contrôles à l’extérieur.
La libre circulation des services définis comme des « prestations fournies normalement contre rémunération » dans les domaines industriel, commercial, artisanal et des professions libérales (art. 50 CE) suppose que le destinataire et le prestataire du service ne se trouvent pas dans le même Etat, et s’oppose à toute forme de discrimination exercée à l’encontre de ce dernier en raison de sa nationalité ou de son installation dans un Etat autre que celui où est exécutée la prestation (CJCE, 15 mars 1994, Commission c/Espagne).
Contrairement à la liberté d’établissement, qui découle de la libre circulation des personnes et permet à tout ressortissant communautaire de s’établir de manière permanente (« installation durable ») dans un autre Etat membre en vue d’y exercer une activité non salariée (profession libérale ou gestion d’entreprise), la libre prestation de services a un caractère purement temporaire et donne lieu à une rémunération. Il est d’ailleurs parfois difficile de la distinguer de la libre circulation des capitaux (ordres de Bourse ou opérations en compte courant).
La libre circulation des capitaux et des paiements, qui interdit à compter du Ie1 janvier 1990 (directive 88/361 du Conseil du 24 juin 1988) toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paie¬ments, non seulement entre États membres, mais également avec les pays tiers, a été la plus difficile à mettre en œuvre, tant elle a long-temps pu dépendre des fluctuations des monnaies européennes.
B. Les principes juridiques
« Les caractéristiques essentielles du droit communautaire […] sont, en particulier, sa primauté par rapport au droit des Etats membres, ainsi que l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes » (CJCE, avis du 14 décembre 1991).
1. La primauté du droit communautaire
Ce « principe fondamental de l’ordre juridique communautaire » (CJCE, 10 octobre 1973,Variola) n’avait pas été prévu par les traités : il est l’œuvre de la jurisprudence.
La Cour de justice des Communautés européennes a d’abord estimé que le droit communautaire devait systématiquement s’imposer vis-à-vis de l’ensemble des normes de droit interne (réglementaires, législatives ou constitutionnelles), qu’elles lui soient antérieures ou postérieures : en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d’attributions propres, de la personnalité et de la capacité juridique, les États « ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains […]
et ne peuvent faire prévaloir contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité une mesure unilatérale ultérieure » ; elle en conclut que « le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa spécificité originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base de la Communauté elle-même »
(CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ENEL). Elle a ensuite considéré que « le juge national, chargé d’appliquer dans le cadre de sa compétence les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans attendre qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel »
(CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal). Le «Traité établissant une Constitution pour l’Europe » avait été le premier texte à affirmer la primauté du droit communautaire sur celui des Etats membres (art. 1-6).
Associée à l’effet direct, la primauté permet au juge national de résoudre les conflits entre une norme interne et une norme communautaire (CJCE, 13 juillet 1972, Commission c/Italie).
2. L’effet direct du droit communautaire
L’effet direct du droit communautaire tient à sa capacité à créer directement des droits et des obligations dans le patrimoine juridique des particuliers, qui pourront alors s’en prévaloir devant les juridictions nationales, tant à l’encontre d’un Etat membre (effet direct vertical) que d’un particulier (effet direct horizontal).
« L’effet direct, c’est le droit pour toute personne de demander à son juge de lui appliquer les règles de droit communautaire, et c’est l’obli¬gation pour le juge de faire usage de ces textes quelle que soit la législation du pays dont il relève » (R. Lecourt, L’Europe des juges, Bruylant, 1976, p. 248).
L’effet direct découle de Y applicabilité directe, qui veut que la norme qui en bénéficie soit immédiatement applicable dans l’ordre juridique interne des Etats membres, sans qu’il leur soit nécessaire de prendre des mesures nationales de réception ni de transformation (monisme).
Seul le règlement avait été considéré par le traité comme étant « directement applicable dans tout État membre » (art. 249, al. 2 CE), aussi bien à l’encontre d’un Etat que d’un particulier (CJCE, 14 décembre 1971).
La Cour, en se fondant sur « l’esprit, l’économie et les termes du traité de Rome », a estimé que les dispositions des traités « claires et précises » et « inconditionnelles » devaient également être considérées comme étant d’effet direct, dans la mesure où le « traité constitue plus qu’un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre États contractants » et où le droit communautaire, qui « au-delà des gouvernements vise les peuples », crée des « charges dans le chef des particuliers » et « est aussi destiné à engendrer des droits dans leur patrimoine juridique » (CjCE,5 février 1963,Van Gend en Loos).
Certains articles des traités pourront être d’application directe complète (verticale et horizontale) et d’autres d’application directe limitée (verticale).
La Cour a ensuite progressivement étendu l’application de ces critères aux dispositions des directives, claires et précises et inconditionnelles, qui pourront également se voir reconnaître un effet direct (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn), mais seulement limité (CJCE, 26 fé¬vrier 1986, Marshall), une fois expiré le délai prévu pour leur transpo¬sition (CJCE, 6 mai 1980, Commission c/Belgique).