Les procédures
Présentation
Dérivant du mot latin procedere, c’est-à-dire avancer, le mot de procédure convient précisément, dans un sens strict, pour désigner les démarches, jalonnées d’actes au sens matériel ou au sens formel : negotium, instrumentum qui caractérisent les itinéraires judiciaires. Même dans cette acception en termes de cheminement, le mot procédure peut servir à désigner des comportements par rapport aux administrations fiscales ou autres et non par rapport aux juridictions. On s’en tiendra pourtant, dans le présent cadre, aux schémas des principales procédures, après avoir exposé quelques principes directeurs.
Principes directeurs
Procès et triade
Triade? Voici un terme volontiers considéré comme étant d’ordre philosophique, mais qui peut être aussi fort utile en droit. La triade est définie comme un assemblage de trois personnes, de trois unités, de trois divinités. Retenons le mot dans le contexte d’un procès simple : un demandeur, un défendeur, un juge. Entre eux se noue une relation spécifique qui relève à la fois des rôles qu’ils sont appelés à jouer et des modes d’expression qu’ils utilisent pour faire avancer la procédure. Sur les principes du droit de la preuve, v. supra, nos 481 s.
Les rôles
L’instance
On entend ici le mot rôle non pas dans le sens technique qu’il a lorsqu’on l’emploie pour désigner un registre (la « mise au rôle »), mais dans son sens courant, ordinaire, tenant au comportement des divers protagonistes.
Cela étant dit, on observe que l’instance comprend toute une série d’actes ou d’opérations accomplis selon certaines formes, soit par les parties, soit par leurs auxiliaires, soit par le juge lui-même. Il convient alors de signaler que les diverses procédures se caractérisent en fonction de leur plus ou moins grande fidélité à deux principes directeurs : le principe de contradiction et le principe dispositif.
Le principe de contradiction
Qu’il s’agisse du fait ou du droit, il convient de respecter les droits de la défense ou, dit-on encore, le principe de contradiction. Destiné à protéger les parties contre les manœuvres de l’adversaire et contre la partialité ou la négligence du juge, s’imposant à celui-ci et à celles-là, le principe de contradiction, qui domine la plupart des contentieux, après s’être surtout affirmé en matière pénale, tend à assurer l’équilibre du procès dans le respect de la loyauté.
« Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée » (art. 14 NCPC). De cette formule, on ne peut déduire que toute instance doive être nécessairement contradictoire. Il se peut tout d’abord qu’une partie, appelée à l’instance, ne comparaisse pas, c’est- à-dire fasse défaut, ce qui n’empêche pas le juge de juger (jugement par défaut, jugement « réputé contradictoire ») ; il se peut aussi qu’une décision soit prise par le juge à la suite d’une démarche unilatérale d’un plaideur et sans que l’autre soit prévenu. Mais, de toute façon, « lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu’une mesure soit ordonnée à l’insu d’une partie, celle-ci dispose d’un recours approprié contre la décision qui lui fait grief » (art. 17).
Le principe de contradiction gouverne le comportement des divers protagonistes, parties et juge, dans cette relation triangulaire que constitue le procès. « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense» (art. 15). «Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement» (art. 16, al. 1er et 2).
Bien qu’il ne soit inscrit, en droit interne, que dans le nouveau code de procédure civile et que l’aménagement des remèdes utilisés en cas de défaut d’une partie au procès varie d’un type de procédure à un autre, le principe de contradiction est un principe de portée générale, d’autant plus qu’il trouve appui à l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, largement entendu (supra, n° 176; v. au sujet des autorités administratives indépendantes, supra, n°244). On peut en rapprocher un principe de loyauté’, qui tend à s’imposer aussi en matière procédurale.
Le principe dispositif
II se manifeste depuis quelques décennies un rapprochement entre les divers types procéduraux, ce qui va de pair avec l’importance grandissante du principe dispositif. L’évolution de la procédure civile en porte témoignage.
L’aménagement des relations judiciaires, entre l’un et l’autre plaideur, ainsi qu’entre les plaideurs et leur juge, a longtemps été inspiré par l’idée selon laquelle le procès civil concerne avant tout des affaires privées, qu’il convient de laisser les parties au procès conduire à leur guise l’instance (quant à son rythme et quant à sa matière) et que le juge doit donc être un arbitre passif, devant juger selon ce qui a été allégué et prouvé par les parties, sans pouvoir y substituer ce qu’il sait lui-même, qu’il s’agisse des éléments de fait ou des règles de droit. Pour exprimer ces diverses solutions, l’on a souvent affirmé dans le passé le principe de neutralité’ du juge civil et le caractère accusatoire de la procédure civile. Il s’agissait d’une conception nettement individualiste, axée sur la matière du contentieux.
Pourtant, le cadre et les solutions de ce contentieux relèvent de l’activité du service public de la justice. Et, de nos jours, le recul d’un certain libéralisme judiciaire a mieux révélé que la procédure civile est en grande partie matière de droit public, puisqu’il s’agit, le plus souvent, d’un recours des particuliers au juge, chargé de dire le droit en vue de satisfaire des finalités d’ordre, de progrès et de justice (supra, n°93). L’évolution de la procédure civile a donc conduit, surtout depuis une vingtaine d’années, à accroître le rôle du juge dans le procès civil et à abandonner le plus souvent la référence au principe de neutralité, c’est-à-dire, plutôt, de passivité du juge (supra, nos481 s.).
Est-ce à dire qu’en cette matière, l’on a supprimé le caractère accusatoire de la procédure au profit du caractère inquisitoire et rapproché de la sorte le contentieux civil du contentieux administratif, voire du contentieux pénal ? Il serait d’autant plus inopportun, voire inexact, de l’affirmer, que le sens de ces mots (accusatoire, inquisitoire) varie souvent selon les auteurs et qu’en droit processuel, peut-être plus encore qu’ailleurs, le droit se révèle davantage par ses nuances que par ses contrastes.
En matière civile
Dans le procès civil, c’est aux parties qu’incombe la conduite de l’instance, ce qui n’exclut pas l’existence de contraintes, ainsi que l’office régulateur exercé par le juge : « les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis» (art. 2 NCPC). Elles lui donnent l’impulsion, mais le juge en règle le rythme : il « veille au bon déroulement de l’instance; il a le pouvoir d’impartir des délais et d’ordonner les mesures nécessaires » (art. 3). Régulateur des causes au sein du tribunal de grande instance, le juge de la mise en état est, à lire les textes, loin d’y être neutre ou passif.
« L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant » (art. 4 NCPC). Tel est le cadre délimitant la matière à juger : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé » (art. 5 NCPC). Le principe dispositif ainsi appelé parce qu’on laisse aux parties le pouvoir de délimiter la matière à juger, d’en disposer les oblige à alléguer (art. 6) et à prouver (art. 9) les faits propres à assurer le succès de leurs prétentions. Quant au juge, dont la mission consiste à appliquer le droit au fait, ses pouvoirs varient selon qu’il s’agit des éléments de fait ou des éléments de droit. S’agissant des faits, il ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat (art. 7, al. 1er), mais, sous cette importante réserve, il a, en ce qui concerne leur preuve, le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles (art. 10). Quant au droit, la marge de liberté du juge est plus étendue : pouvant inviter les parties à fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige (art. 13) et tenu de trancher celui-ci conformément aux règles de droit qui lui sont applicables (art. 12, al. 1er), le juge peut relever d’office les moyens de pur droit (d’ordre public ou non), quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties ; et il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée (art. 12, al. 2 et 3).
Le schéma logique traditionnel n’en a pas moins subi, à notre époque, nombre d’assauts nés d’ailleurs de l’encombrement des rôles des juridictions. Naturellement fatalement? la réaction s’est portée sur l’articulation du fait et du droit. Latéralement, mais quand même nécessairement, les exigences du travail judiciaire ont obligé à s’interroger sur la promesse implicite du juge au plaideur : dabo tibi jus. D’où les fluctuations justifiées ou non suscitées par l’office du juge (faculté ou obligation) quant à l’application du droit étranger. D’où aussi, face aux écritures des plaideurs, l’exigence d’une formulation, devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel, des moyens en fait et en droit sur lesquels chaque prétention est fondée.
En matière pénale ou administrative
En matière pénale, qu’il s’agisse de l’action publique ou de l’action civile portée par la victime devant la juridiction répressive, de la phase d’instruction ou de la phase de jugement, l’office du juge est plus étendu, car c’est à lui qu’incombe la conduite de l’instance. Toutefois, au cours de l’audience des plaidoiries, toutes les preuves doivent être soumises au juge et contradictoirement débattues; et, de toute façon, le principe dispositif s’applique à l’action civile.
On observera, en outre, qu’en matière pénale, la possibilité d’arrêter volontairement le cours de l’instance a longtemps été beaucoup plus réduite qu’en matière civile en ce qui concerne l’action publique. Cette position a été notablement atténuée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 « renforçant l’efficacité de la procédure pénale », relativement aux alternatives, aux poursuites et à la composition pénale inspirées du droit des Etats-Unis (plea bargaining). Dans le procès civil, l’issue du procès n’échappe pas nécessairement à la volonté des parties, car celles-ci « ont la liberté d’y mettre fin » (désistement d’instance, acquiescement à la demande, péremption d’instance…), «avant qu’elle ne s’éteigne par l’effet du jugement ou en vertu de la loi » (art. 1er NCPC).
En matière administrative, la procédure est, sur le dernier point envisagé, plus proche de la procédure civile : on admet en effet dans le contentieux administratif, à certaines conditions, la validité du désistement, de l’acquiescement ou de la transaction. Mais, à d’autres égards, le procès administratif est moins fidèle au principe dispositif dans la mesure où le juge joue un rôle prédominant en matière de preuve. Reste que, dans le contentieux administratif, le principe dispositif, bien que non écrit, n’est pas ignoré : normalement, le juge est obligé de s’en tenir aux faits dont les parties font état, mais il dispose probablement d’une plus grande liberté que le juge civil quant à la détermination du droit.
Les modes d’expression
Distinction
L’aménagement des règles régissant les modes d’expression dans le procès dépend principalement des réponses données aux questions suivantes : s’exprime-t-on par écrit ou oralement, en public ou en secret ?
Procédure écrite ou procédure orale
La procédure pénale est essentiellement orale, bien que les résultats de l’instruction soient consignés par écrit. A l’inverse, la procédure administrative est écrite; tous les actes de l’instance (requête introductive, mémoires ampliatifs, mémoires en réponse ou en réplique) donnent lieu à des rédactions et le juge statue sur les éléments figurant au dossier. Le débat oral n’est cependant pas nécessairement exclu, les parties pouvant demander à présenter ou faire présenter des explications orales à l’audience pour développer leur argumentation.
Une solution mixte caractérise le procès civil : surtout dans sa phase initiale ou sa phase de mise en état, la procédure y est généralement écrite assignation ou requête, conclusions ou mémoires… ce qui permet de préciser nettement l’argumentation, ainsi que la matière soumise au juge, et d’éviter les surprises; mais l’importance de l’oral y demeure grande, surtout lors du débat par plaidoiries devant le juge, ce qui est ordinairement justifié par le souci de donner à celui-ci une meilleure connaissance de l’affaire. Et l’évolution de la procédure civile française tend moins à réduire l’importance de l’un ou de l’autre élément qu’à substituer, le cas échéant, tel type d’écrit à tel autre il y a en ce sens un développement de la procédure par mémoire (ex. : en matière de divorce demandé par un époux et accepté par l’autre, art. 1129 s., NCPC) ou telle manifestation orale à telle autre: des efforts sont déployés afin de substituer un dialogue fructueux avec le juge à deux monologues prononcés devant lui.
Publicité ou secret
Au-delà des caractères qui leur sont propres, même à ce sujet, les diverses procédures apportent, dans leurs grandes lignes, à cette question une réponse reposant sur une distinction entre l’instruction ou la mise en état de l’affaire, d’une part, l’audience qui précède l’issue de l’instance, d’autre part. Ainsi oppose-t-on, en matière pénale, le principe du secret de l’instruction à la publicité de la procédure de jugement. Et si, dans le contentieux administratif, l’instruction est secrète, l’audience y est, en principe, publique.
Le procès civil repose sur une distinction comparable. Alors que l’on peut considérer que la phase d’instruction ou de mise en état est secrète, en ce sens que des tiers ne peuvent assister aux audiences préparatoires, ni avoir communication des pièces, « les débats sont publics sauf les cas où la loi exige qu’ils aient lieu en chambre du conseil» (art. 433, al. 1er, NCPC). Le principe et les limites de la publicité du procès civil sont d’ailleurs exprimés dans la loi : « Les débats sont publics» (L. 5 juil. 1972, art. 11-1, al. 1er, réd. L. 9 juil. 1975). Toutefois, ils ont lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire hors de la présence du public, dans les matières gracieuses ainsi que dans celles des matières relatives à l’état et à la capacité des personnes qui sont déterminées par la loi (ex. : art. 248 et 298 c. civ., en matière de divorce ou de séparation de corps) ou par décret (L. 5 juil. 1972, art. 11-1, al. 2, réd. L. 9 juil. 1975). « Le juge peut en outre décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en chambre du conseil s’il doit résulter de leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée, ou si toutes les parties le demandent, ou s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice » (L. 5 juil. 1972, art. 11-1, al. 3).