Les règlements administratifs
La Constitution de 1958 attribue le pouvoir réglementaire au Président de la République et au Premier ministre. L’exercice de ce pouvoir s’effectue par voie de décrets. Les décrets sont individuels lorsqu’ils concernent une ou plusieurs personnes nominativement désignées (nomination d’un fonctionnaire, par exemple) ; ils sont réglementaires lorsqu’ils formulent des dispositions générales. En la forme, on distingue trois sortes de décrets : a) les décrets simples, signés en principe par le Premier ministre et, exceptionnellement, par le Président de la République, avec le contreseing d’un ou plusieurs ministres ; b) les décrets en Conseil des ministres, signés par le Président de la République, après délibération en Conseil des ministres, avec le contreseing de tous les ministres; c) les décrets en Conseil d’Etat, pris après avis du Conseil d’Etat .
Les ministres, dans le cadre de leurs attributions ministérielles, les préfets, dans le cadre du département, les maires, dans celui de la commune, peuvent aussi prendre des arrêtés réglementaires.
Ajoutons, aux limites du domaine réglementaire, marquant bien une coopération du public et du privé dans la genèse des modèles de comportement, les normes centralisées et coordonnées en France, par l’Association française de normalisation (AFNOR). Il s’agit de règles destinées aux « partenaires économiques, scientifiques, techniques et sociaux ». Leur homologation par le directeur général de l’AFNOR, sur délégation du conseil d’administration, présente, en raison des effets qui y sont attachés, un caractère réglementaire.
Règlements pour l’exécution des lois
Les actes du pouvoir exécutif, en ce qu’ils tendent à assurer l’exécution des lois, se distinguent de celles-ci : ils ne tirent pas, en effet, leur valeur de la seule autorité qui les a édictés; ils doivent s’appuyer sur une loi antérieure dont ils se présentent comme des mesures d’exécution. Il se peut que la loi elle-même prévoie que le gouvernement prendra un décret pour compléter ses propres dispositions ; mais le Gouvernement peut prendre et prend souvent un décret pour régler les détails d’exécution d’une loi, car il entre dans sa mission d’assurer l’exécution des lois (Const. 1958, art. 21).
Les règlements pris pour l’exécution des lois sont subordonnés à celles-ci et ne peuvent comporter de dispositions qui leur soient contraires.
Deux démarches procédurales permettent d’assurer la primauté de la loi :
1) Le recours en annulation, qui a pour effet de faire disparaître l’acte réglementaire illégal. Ce recours ne peut être porté que devant une juridiction administrative; les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent en aucun cas connaître d’un tel recours.
2) L’exception d’illégalité, qui tend simplement à faire écarter, à l’occasion d’un litige particulier, l’application du règlement illégal. Lorsqu’une telle exception est invoquée, les tribunaux de l’ordre judiciaire doivent, en principe, surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative saisie par les parties ait apprécié la validité du règlement. Toutefois, les tribunaux judiciaires sont parfois compétents pour connaître de cette exception : il en est ainsi de façon générale en matière pénale; en matière civile, il en est ainsi seulement lorsqu’il s’agit d’actes réglementaires portant atteinte à la liberté individuelle, à l’inviolabilité du domicile ou au respect du droit de propriété.
Règlements autonomes
Présentation
Distinct de celui que recouvrent les règlements pris pour l’exécution des lois, il existe un vaste domaine dans lequel le pouvoir réglementaire s’exerce à titre propre, disons autrement que de manière subordonnée à la loi.
La Constitution de 1958 détermine, dans ses articles 34 et 37, les domaines respectifs de la loi et du règlement. Déjà, sous la IVe République, le législateur avait fait passer certaines matières dans le domaine réglementaire. Mais l’on a voulu, sous la Ve République, faire figurer dans la Constitution elle-même les règles de délimitation. De son article 34 résulte une énumération limitative des matières législatives réservées en principe à la loi parlementaire; toutes autres matières ont un caractère réglementaire et relèvent en conséquence du domaine des règlements autonomes. En ce sens, on a pu considérer, surtout au lendemain de l’avènement de la Ve République, que le domaine réglementaire était devenu la règle, le domaine législatif l’exception .
On envisagera successivement la distinction et la protection des domaines.
La distinction des domaines
A la lecture de l’article 34 de la Constitution, on observe l’existence de deux axes de partage, le domaine de la loi étant déterminé de deux manières.
La loi fixe les règles concernant un certain nombre de matières. Ces matières relèvent donc intégralement du domaine législatif: la loi seule les réglemente. Les décrets du pouvoir exécutif ne peuvent intervenir ici qu’en s’appuyant sur un texte de loi dont il s’agit d’assurer l’exécution. Parmi ces matières, on relève : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ; la détermination des crimes et délits (mais non des contraventions), ainsi que des peines qui leur sont applicables; la procédure pénale (mais non la procédure civile); l’amnistie; la création de nouveaux ordres de juridictions et le statut des magistrats …
Pour d’autres matières énumérées à l’article 34, la loi ne détermine que les principes fondamentaux; parmi elles, figurent le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, le droit du travail, le droit syndical et la sécurité sociale. Il s’agit là essentiellement du domaine économique et social. Dans ces matières, la loi Issue du Parlement doit se borner à formuler les principes fondamentaux. Et, à condition de respecter ces principes, le Gouvernement doit avoir les mains libres pour diriger l’économie et la politique sociale; par voie de décrets pris
Lorsqu’il s’est agi de savoir ce qui est principe fondamental et ce qui ne l’est pas, des problèmes sont apparus, que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont eu à résoudre. En dépit des dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution, aux termes duquel les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, des divergences d’interprétation peuvent se produire entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat en ce qui concerne l’interprétation des articles 34 et 37. Cela ne s’est produit que de manière exceptionnelle. Dans la pratique, la jurisprudence a eu du mal à s’en tenir à la distinction des règles et des principes fondamentaux.
Malgré la supériorité intrinsèque de la loi, il apparaît donc, à la lecture des textes, que le législateur « ordinaire » n’est plus le Parlement, mais bien le pouvoir réglementaire. Pourtant, par suite notamment d’une conception extensive de la notion de « principes fondamentaux », l’interprétation tend à faire relever de la loi nombre de règles et de principes relatifs aux matières énumérées à l’article 34.
L’énumération des matières législatives contenue dans l’article 34 est limitative comme l’est, en principe, toute énumération figurant dans un texte juridique. Aussi bien l’article 37, alinéa 1er, de la Constitution dispose : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». L’observation du régime de protection des domaines respectifs de la loi et du règlement oblige cependant à atténuer cette première analyse.
La protection des domaines
On envisagera successivement la protection du domaine législatif contre les empiétements du pouvoir réglementaire et la protection du domaine réglementaire contre les empiétements du pouvoir législatif.
On observera au préalable que, dans le cadre des règlements auto nomes, le pouvoir réglementaire n’est pas affranchi de toute contrainte. Le fait qu’il échappe alors à une subordination au pouvoir législatif n’empêche pas que les règlements autonomes soient des actes administratifs soumis à ce titre à un contrôle de légalité par le Conseil d’Etat Sans être subordonnés à la loi, dans les limites résultant des articles 34 et 37 de la Constitution, les règlements autonomes n’en sont pas moins soumis au droit. Il en résulte qu’ils sont subordonnés « aux règles constitutionnelles et à tout ce qui se trouve à l’étage de la loi, ce qui est pratiquement très important en ce qui concerne les principes généraux du droit non écrits ».
Encore convient-il que le pouvoir réglementaire n’empiète pas sur le domaine législatif. Là où le Parlement est seul habilité à intervenir, la loi doit toujours être considérée comme supérieure au règlement dans la hiérarchie des règles de droit. Dès lors, un acte réglementaire contredisant une loi ou régissant une matière réservée à celle-ci pourrait être annulé par le Conseil d’Etat sur un recours pour excès de pouvoir ou à la suite d’une exception d’illégalité (v. supra, n° 198). En revanche, le Conseil constitutionnel, devant lequel ne sont pas déférés les actes administratifs, ne pourrait avoir à sanctionner l’empiétement. Et le Parlement ne pourrait réagir qu’en adoptant une proposition de loi contredisant le règlement irrégulier, ce qui supposerait que le gouvernement n’use pas des diverses armes constitutionnelles dont il dispose pour empêcher le vote d’une loi qui le dérange ou le désavoue.
En sens inverse, contre des empiétements du pouvoir législatif, il existe des garde-fous. Au cours même de la procédure législative, le Gouvernement peut opposer l’irrecevabilité d’un texte dont l’objet relèverait du domaine du règlement (Const., art. 41). Mais qu’advient-il en l’absence d’opposition du Gouvernement? Pendant un certain temps, on avait pu penser qu’à condition d’être saisi de la question, le Conseil constitutionnel pourrait déclarer la loi en cause. t ni traire à la Constitution. Mais, adoptant une position différente par une décision en date du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel a considéré, compte tenu des articles 37, alinéa 2, et 41 de la Constitution, que celle-ci « n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une .Imposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé de la loi, reconnaître à l’autorité réglementaire un domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en œuvre des procédures spécifiques des articles 37, alinéa 2, et 41. le pouvoir d’en assurer la protection contre d’éventuels empiétements de la loi ». Par rapport aux inspirations des articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution, on observe ici une sorte de revanche du Parlement et une atténuation notable de l’idée suivant laquelle celui-ci ne serait plus qu’un législateur d’exception.