Les sanctions administratives, pénales et civiles
Les sanctions administratives
Généralités
On désigne volontiers, par l’expression de sanctions administratives, un certain nombre de sanctions qui relèvent du droit public. Les unes s’apparentent aux techniques du droit privé, par exemple les nullités, les astreintes ou les dommages intérêts. Les autres sont plus originales et tiennent à la persistance, dans notre système juridique à tort ou à raison, de prérogatives reconnues à l’Administration et lui permettant, plus facilement qu’aux particuliers, de faire prévaloir ses décisions.
L’Administration peut se conférer à elle-même un titre exécutoire, alors que le particulier, s’il veut se procurer un titre exécutoire, doit s’adresser à la justice afin d’obtenir un jugement de condamnation permettant l’exécution. Le droit, ainsi reconnu à l’Administration, de prendre des décisions exécutoires n’existe que si la loi le prévoit; mais celle-ci le fait largement, notamment en matière de réquisitions ou de recouvrement des créances de l’Etat et des personnes morales administratives.
L’Administration est investie du privilège d’exécution d’office, qui lui permet de mettre la force publique en mouvement pour contraindre les récalcitrants. Elle peut briser la résistance que les particuliers opposent à l’exécution des actes administratifs, dans la mesure où cette résistance n’est pas légale. Le droit commun, en ce domaine, semble être l’application au particulier récalcitrant de sanctions pour inexécution; mais l’Administration peut, exceptionnellement, employer la force pour l’exécution de ses actes lorsque la loi le lui permet, lorsqu’il n’existe pas d’autre voie de droit permettant de sanctionner et de contraindre ou lorsqu’il y a urgence ou nécessité caractérisée.
L’exécution forcée irrégulière constituerait de la part de l’Administration une voie de fait, tout au moins si elle portait atteinte à la propriété ou à une liberté publique.
Les sanctions pénales
Généralités
Les sanctions attachées par le droit pénal à la violation de certaines règles de droit ou à l’atteinte à certaines prérogatives sont essentiellement les peines. Dans la mesure où la répression pénale est fondée sur l’idée de responsabilité, elles constituent la sanction caractéristique de l’infraction. Elles atteignent le délinquant dans sa personne (ex. : réclusion, détention), ses biens (ex. : amende) ou son honneur (ex. : interdiction des droits civiques, civils et politiques).
L’application de ces sanctions est dominée par des principes fondamentaux : celui de la Iégalité des peines, qui est une garantie essentielle des droits individuels contre l’arbitraire, le juge ne pouvant prononcer d’autres peines que celles dont la nature et la durée ou quantité sont prévues par la loi selon la règle nullum crimen, nulla poena sine lege; celui de la personnalité’ des peines, les peines ne devant frapper, en principe, que l’auteur même du fait incriminé.
Les infractions réprimées par la loi pénale sont diverses : crimes et délits contre les personnes (meurtre, empoisonnement, homicide involontaire, violences, menaces, agressions sexuelles, trafic de stupéfiants, enlèvement et séquestration, etc.), contre les biens (vol, extorsion, chantage, escroquerie, abus de confiance, etc.), contre la Nation, l’Etat et la paix publique (trahison, espionnage, terrorisme, sabotage, concussion, corruption, rébellion, usurpation de titres, fausse monnaie, etc.).
Leur nature et leur gravité sont à la base de la classification fondamentale des infractions :
les crimes sont les infractions punies des peines les plus graves : réclusion criminelle ou détention criminelle à perpétuité, de trente ans au plus, de vingt ans au plus, de quinze ans au plus, réclusion criminelle ou détention criminelle à temps de dix ans au moins, ainsi qu’éventuellement de peines d’amende et de peines complémentaires (art. 131-1 et 131-2, c. pén.) ;
les délits sont punis d’emprisonnement dont la durée, variable, ne peut excéder dix ans, d’amende, de jour-amende, de travail d’intérêt général, de peines privatives ou restrictives de droits (suspension de permis de conduire, confiscation, interdiction de détention ou de port d’arme, etc.), ainsi qu’éventuellement de peines complémentaires (art. 131-3 à 131-11, c. pén.) ;
les contraventions sont punies d’amendes et de peines privatives ou restrictives de droits (suspension du permis de conduire, confiscation, etc.) (art. 131-12 à 131-18, c. pén.).
Les sanctions civiles
Distinction
La violation d’une règle ou l’atteinte à un droit subjectif donne lieu aussi à l’application éventuelle de sanctions qui relèvent du domaine du droit privé.
Là encore, le terme de sanction comporte divers sens. S’agissant plus précisément de droits subjectifs rattachés, par leur naissance, à un acte juridique, il arrive que l’acte juridique dont se prévaut un individu soit irrégulier; et les sanctions de cette irrégularité (nullités, inexistence, inopposabilité, etc., v. supra, nos 301 s.) tendent à satisfaire, à la source pourrait-on dire, le respect des prérogatives de chacun. A proprement parler, il ne s’agit pas alors de sanctions du droit ou des droits, mais de sanctions des actes juridiques.
Une autre précision de vocabulaire commande les développements qui suivent : l’expression de sanctions civiles recouvre tout à la fois les moyens de contrainte, par lesquels l’on s’efforce d’obtenir le respect des droits, et les modes de réparation ou de punition, utilisés lorsque ces droits n’ont pas été respectés.
Les moyens de contrainte
Ils tendent, directement ou indirectement, à assurer le respect des obligations imposées aux particuliers, par 1’« exécution en nature » de ce qu’ils doivent. Ce sont les sanctions les plus appropriées, puisqu’ils portent à procurer au sujet actif du droit l’avantage même auquel il peut prétendre en vertu de son droit et, dans une perspective plus générale, à assurer l’exact respect de la règle.
Les moyens directs
Ils peuvent tendre seulement à empêcher ne serait-ce que de manière provisoire la réalisation d’un événement : c’est ainsi que, par une opposition à mariage, certaines personnes font connaître à l’officier de l’état civil qu’en raison d’un motif indiqué par la loi, elles entendent mettre obstacle à ce qu’il soit procédé à un mariage.
Plus fréquemment, les moyens de contrainte comportent une dose supérieure de coercition. Mais le libéralisme de notre société limite le recours à la force dans des conditions qui varient selon les obligations dont il s’agit d’assurer l’exécution.
Lorsque l’obligation a pour objet de l’argent, la sanction consiste en une condamnation prononcée contre le débiteur d’avoir à payer cette somme. A défaut d’un paiement volontaire par celui-ci, le créancier pourra saisir tel ou tel bien de son débiteur et se payer sur le prix obtenu dans la vente aux enchères, l’aménagement des diverses procédures considérées relevant du droit des voies d’exécution. Encore convient-il d’observer que, par cette expression, on vise essentiellement les voies individuelles d’exécution. Or il existe aussi un droit des voies collectives d’exécution, traditionnellement réservé au traitement de la situation des commerçants insolvables, mais qui s’est progressivement étendu, sous des formes diverses, aux personnes morales de droit privé non commerçantes (L. 13 juil. 1967, puis L. 25 janv. 1985), aux artisans (L. 25 janv. 1985), aux agriculteurs (art. L. 351-1 s., c. rur.), aux particuliers et aux familles surendettés (L. 31 déc. 1989).
Le recours aux saisies ne se conçoit pas pour les droits et obligations dont l’objet ne porte pas sur de l’argent : l’exécution « en nature » ne pourra être obtenue qu’à l’aide de la force publique. Ainsi le propriétaire d’une maison demandera le concours de la force publique pour expulser un locataire qui se maintiendrait indûment dans les lieux loués; l’acquéreur d’une maison, ne pouvant en obtenir la délivrance, aura recours à la force publique pour expulser le vendeur. Le titulaire d’une servitude de ne pas construire fera détruire la construction érigée au mépris de la servitude. L’acquéreur d’un fonds de commerce protégé par une clause de non rétablissement souscrite par le vendeur fera fermer le fonds ouvert en violation de la clause, etc.
Notre tradition juridique exclut toutefois le recours à la force publique lorsqu’il s’agit d’exercer une contrainte sur la personne même pour l’obliger à accomplir ou à ne pas accomplir un acte : nemo praecise cogi ad factum, en d’autres termes nul ne peut être contraint du moins en droit privé de faire ce qu’il ne veut pas faire (v. supra, n° 321). Ainsi on ne conçoit pas l’intervention de la force publique pour contraindre un architecte à élaborer les plans d’une maison qu’il a promis de construire, un peintre à faire le tableau qui lui a été commandé.
Les moyens indirects
II existe divers moyens indirects de contrainte ou d’intimidation qui peuvent inciter les sujets de droit au respect de leurs obligations. Il arrive que ces procédés comportent une coloration pénale. Aussi bien le législateur avait imaginé, dans cet ordre d’idées, la contrainte par corps, qui consiste dans l’emprisonnement du débiteur, la menace de cette sanction étant de nature à l’inciter à exécuter; mais la loi du 22 juillet 1867 a, en matière civile et commerciale, mais non en matière pénale, voire fiscale, supprimé cette mesure, jugée trop attentatoire à la liberté individuelle.
Parmi les moyens indirects de contrainte pris en compte par le système juridique, on signalera le droit de rétention et l’astreinte.
Le droit de rétention est le droit en vertu duquel le détenteur d’une chose appartenant à autrui est autorisé à la retenir jusqu’au paiement de ce qui lui est dû par le propriétaire de cette chose.
L’astreinte est le procédé consistant à faire condamner le débiteur à payer au créancier une somme d’argent (exemple : 10 francs, 100 francs par jour), tant qu’il refusera d’exécuter son obligation. Arbitraire en ce sens que le juge est libre, en principe, d’en fixer le taux à sa guise, l’astreinte est comminatoire c’est une menace destinée à intimider le débiteur par la crainte d’une condamnation d’autant plus élevée qu’il aura tardé à exécuter et indéterminée, car on ne sait pas à l’avance si le débiteur devra finalement payer une somme au créancier, ni quel sera le montant de cette somme. Mais il y a des degrés dans cette indétermination : si l’astreinte est définitive, l’indétermination tient à une inconnue : le temps que durera la résistance du débiteur; si l’astreinte est provisoire, il y a une autre inconnue : la décision que les circonstances bonne ou mauvaise volonté du débiteur, etc. pourront inspirer au juge lorsque celui-ci procédera à la liquidation de l’astreinte.
Les modes de réparation ou de punition
Si l’atteinte aux prérogatives d’autrui n’a pu être évitée ou même, de manière plus générale, si la violation de la règle est réalisée, le droit s’emploie à réparer, voire à punir.
La réparation en nature, tendant au rétablissement exact de la situation précédemment troublée, constitue de toute évidence la démarche la plus satisfaisante. Il arrive que l’on puisse y parvenir. Parfois, on s’en approche sans assurer pourtant une véritable adéquation : ainsi, la publicité du jugement condamnant l’auteur d’une diffamation tend à détruire les effets de la malveillance. A vrai dire, l’on glisse alors du domaine de la réparation en nature à celui plus étendu de la réparation par équivalent. Le plus souvent la réparation, effectuée en valeur, consiste dans l’octroi de dommages et intérêts (ou dom- mages-intérêts), c’est-à-dire d’une somme d’argent destinée à réparer un dommage matériel (exemples : dégradation ou destruction d’une chose, atteinte à la clientèle, frais occasionnés par une blessure …) ou moral (exemple : « préjudice d’affection » en cas de mort d’un proche). L’argent, il est vrai, compense bien des choses.
Les peines sont les sanctions des infractions réprimées par les lois pénales (supra, n° 606). Dans les autres branches du droit, spécialement en droit civil, la sanction ne doit procurer au titulaire d’un droit que ce qui lui est strictement dû, soit en nature, soit par équivalent; la sanction ne doit pas enrichir le créancier, celui qui est lésé dans son droit, pas plus qu’elle ne doit punir le débiteur, plus généralement celui qui a enfreint une règle, en l’obligeant à verser une somme supérieure au préjudice causé ou en lui retirant le bénéfice de certains avantages.
Il arrive cependant, exceptionnellement, que certaines sanctions en droit civil revêtent un aspect répressif : ce sont des peines privées. Ainsi, en matière successorale, la sanction du recel de succession, qui est, pour le receleur, la perte, au profit des cohéritiers, de tout droit sur les objets recelés, apparaît comme une peine privée (art. 792).