Les sources du droit : Le droit est-il dans la loi ou dans la justice
La seconde remarque que l’on peut faire à propos des exceptions au principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » est d’ordre plus théorique. Il faut articuler trois règles ou normes.
La première norme est une loi quelconque qui contient une obligation ; la deuxième est un principe, il indique que l’on ne peut pas se prévaloir de son ignorance pour s’y soustraire ; la troisième est une exception à ce principe, qui fixe les conditions dans lesquelles on peut néanmoins s’y soustraire.
Par exemple, l’article 122-3 du code pénal dispose que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte. » En indiquant les conditions précises et restrictives dans lesquelles l’excuse d’ignorance de la loi peut être acceptée, cet article rappelle implicitement le principe selon lequel elle est, en général, inacceptable.
Parmi ces trois normes ou règles, où se situe le droit ? Deux réponses peuvent être apportées : la première renvoie plutôt à l’idée du glaive, la seconde plutôt à l’idée de la balance (étant entendu que le premier est impossible sans la seconde et que la seconde est impuissante sans le premier).
La première réponse consiste à dire que le droit est dans ces normes, indépendamment du cas concret auquel elles doivent être appliquées. Que le droit est d’abord un moyen de l’ordre.
Dura lex sed lex, la loi est dure, mais c’est la loi. La seconde réponse consiste à dire qu’il y a d’un côté des lois, si possible fixes et établies, et d’un autre côté le droit, qui consiste dans leur juste application au cas concret. Le juge va peser, dans un cas concret, si les raisons invoquées par un justiciable pour se soustraire à la règle sont acceptables.
Ainsi, un voyage au moment où la loi a été adoptée, la surdité, la cécité, le défaut d’instruction, la paresse de lire le Journal officiel le matin, etc., sont des excuses jugées aujourd’hui en France irrecevables. Mais une indication erronée donnée par une administration ou par un avocat est acceptable.
A chaque cas nouveau, le juge va se trouver confronté à des individus, à des circonstances, à un contexte, à des précédents, et il devra trancher. Dans cette perspective, le droit est dans le cas, dans l’application à un cas concret des règles générales.
On dit parfois que le droit est ici dans la justice, tant la vertu personnelle de justice du juge (sa « sagesse ») que l’institution judiciaire (les tribunaux). On peut ajouter que si teljuge est confronté à un cas qui a été déjà tranché par un autre juge ou par le même juge à un autre moment, il est vraisemblable qu’il adoptera exactement la même solution. Dans ce cas, la pratique répétée des juges ce que l’on appelle souvent la jurisprudence sera la source d’une nouvelle règle générale, d’une nouvelle norme.
Elle sera une norme jusqu’au moment où les juges penseront qu’il faut changer de solution. Lorsque tel est le cas, on parle de revirement de jurisprudence .on aura observé que, en partant du cas, le juge peut accéder à un certain degré de généralité et être l’auteur, sinon d’une nouvelle loi, d’une nouvelle règle.
En définitive, les réponses à la question de savoir si le droit est plutôt dans la loi ou plutôt dans la justice ne sont pas incompatibles. Elles correspondent surtout à la démarche que l’on adopte : on peut aller du général au particulier, auquel cas on pensera que le droit est plutôt dans la loi ; on peut aller du particulier au général, auquel cas on estimera que le droit est dans la justice.