Les sources du droit : Le légicentrisme: legicentrisme
Le terme légicentrisme désigne l’exaltation de la loi qui prospère dans les premières années de la Révolution et qui, dans la tradition juridique française, ne s’est affaiblie que tardivement au XXe siècle. Mais ce légicentrisme plonge ses racines dans l’Ancien Régime, spécialement dans le conquête progressive (et jamais achevée) des sources du droit par le roi pour que tout le droit soit dans la loi. A cet égard, l’attitude du roi vis à-vis des coutumes est extrêmement instructive.
1. La souveraineté du roi
Il est décidé dans une ordonnance de 1454 (dite « de Montils-lès- Tours ») de mettre par écrit les coutumes du royaume. Cela confère l’avantage de connaître de manière incontestable les règles et d’éviter de devoir « prouver » la coutume lorsqu’elle est incertaine. Cette rédaction des coutumes qui a lieu surtout au XVIe siècle se fait en recueillant les avis des intéressés et, lorsque l’on est d’accord sur un texte, le roi « scelle » c’est-à-dire promulgue la coutume rédigée.
Ce faisant, la coutume n’a plus de coutumier que le contenu, parce que la forme du texte (un texte émanant de la volonté royale) est une loi, un acte de volonté du roi, que ce dernier peut en logique, car en politique il n’en a guère les moyens modifier ou abroger.
Le point important est ici qu’une loi est d’abord un acte de volonté, un acte qui a un auteur identifié, lequel entend conduire une politique en créant ou en abrogeant des règles de droit. Le droit n’est donc plus dans une immuable justice, il est dans la volonté momentanée du titulaire de la souveraineté.
La loi moderne se caractérise non par le fait qu’elle est juste ou satisfait l’intérêt général (son contenu), mais par le fait qu’elle est un ordre, un commandement unilatéral et incontestable du souverain (son auteur). La loi devient également instable au sens où elle peut être modifiée à tout moment par son auteur sous réserve du parallélisme des formes. Elle est aussi la norme principale et suprême, une norme à laquelle tous sont soumis (les juges, les administrateurs, les sujets ou citoyens), sauf son auteur. Cet enseignement que l’on doit à Bodin est hérité par les Révolutionnaires.
2. La souveraineté de la nation
Pour un juriste, la Révolution ne date pas du 14 juillet 1789 (prise de la Bastille) mais du 17 juin, lorsque l’assemblée du tiers état s’autoproclame, à l’initiative de l’abbé Sieyès, « Assemblée nationale », concrétisant ainsi le transfert de la souveraineté. Désormais, ce n’est plus le roi qui est souverain mais la nation, ce n’est plus le roi qui est l’auteur de la plus importante des normes juridiques, la loi, mais la nation incarnée dans cette « Assemblée nationale ». Le pouvoir souverain peut légiférer sur tout, sans aucune limite : il est donc strictement impensable que la validité de la loi (par exemple sa conformité avec la Déclaration des droits de l’homme) puisse être décidée par un juge.
La tâche principale du souverain est en réalité assez limitée. Elle consiste à adopter la Constitution, une constitution dans laquelle seront réparties les différentes fonctions de l’État entre différents organes.
- Première fonction, légiférer : c’est la fonction noble, supérieure, confiée à une autorité élue, le Parlement.
- Deuxième fonction, exécuter la loi : fonction subalterne de simple exécutant (lequel dispose quand même pour ce faire de l’Administration), qui peut être un roi comme en 1791, un organe collégial comme en 1795 (cinq « directeurs »), ou un président de la République comme en 1848.
- Troisième fonction, juger : autre fonction subalterne qui consiste à appliquer la loi au cas concret sans jamais pouvoir l’interpréter.
Dans cette conception, tout l’effort du pouvoir souverain (ou constituant, les deux étant synonymes) consistera à faire en sorte que la loi soit la meilleure possible. A cette fin, il faut d’une part un bon recrutement du législateur (c’est la question du droit de suffrage, des modes de scrutin, etc.) et une participation d’un contre-pouvoir qui puisse modérer les ambitions du pouvoir législatif (c’est le droit de veto royal dans la Constitution de 1791).
Cette Constitution est en réalité une loi qui a pour caractéristique de porter sur le pouvoir politique, une loi qui consiste à distribuer des compétences à d’autres organes. Lorsque la Constitution est adoptée, le souverain, c’est-à- dire le constituant, est plongé dans une léthargie qui ne cesse que lorsqu’il faut modifier la constitution ou l’abroger.
Pendant ce sommeil, l’État fonctionne en vertu de la Constitution. La loi est abandonnée aux variations des politiques et de la légitimité démocratique de ceux qui les défendent. Le droit est subordonné aux fluctuations des majorités et des rapports de force. Majorités et rapports de force qui sont parfaitement légitimes en démocratie, puisqu’ils sont la traduction de la volonté du peuple, lequel ne peut pas mal faire ni se tromper car, si l’on suit Jean-Jacques Rousseau, le peuple ne peut pas vouloir se nuire à lui-même.
Il n’empêche que les drames de la Seconde Guerre mondiale, spécialement la Shoah, ont fait prendre conscience que le peuple pouvait s’égarer, que les représentants du peuple pouvaient adopter des lois liberticides et vouloir que soient commis les crimes les plus atroces.
Le modèle volontariste, fondé sur le primat du politique sur le droit, est fermement remis en cause au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Va s’imposer l’idée qu’une loi qui serait voulue par telle majorité, mais qui porterait atteinte à des droits fonda-mentaux de l’être humain, ne doit pas pouvoir entrer en vigueur, et que c’est à un juge qu’il convient de confier la possibilité de censurer la loi.