Les titulaires des droits subjectifs : Les personnes physiques: les titulaires des droits subjectifs
De l’être humain à l’être social
En s’attachant à l’être humain, le droit objectif considère cet être physique en tant qu’il est aussi un être social, une personne juridique : c’est cette considération, génératrice d’attachement, de rattachement, qui assure, consacre ou consolide l’insertion de l’être humain dans la société globale.
L’existence des personnes physiques
Présentation
De prime abord, en l’état de notre civilisation d’Occident, le problème paraît simple. D’emblée pourtant, la remarque appelle deux observations, l’une d’ordre négatif, l’autre d’ordre positif.
Négativement, seuls des êtres humains envisagés individuellement sont dotés de la personnalité juridique. C’est pourquoi les animaux, quels qu’ils soient, y compris les animaux de compagnie, en sont dépourvus, ce qui évidemment n’exclut pas que le traitement juridique des animaux appelle des règles ou des solutions spécifiques. Force est pourtant de constater qu’il existe un courant observé surtout dans les périodes de décadence qui tend à traiter l’animal quelque peu, voire beaucoup, à l’instar des personnes physiques.
Positivement, tous les êtres humains ont droit à la personnalité juridique, ce qui vaut condamnation de l’esclavage, aboli en France en 1848. Les déclarations et pactes internationaux sont formels : « Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique » (Décl. univers, des droits de l’homme de 1948, art. 6) ; « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes» (art. 4); «Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude » (Conv. europ. des droits de l’homme, de 1950, ratifiée par la France en 1974, art. 4-1) ; « Chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique » (Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, art. 16) …
Les composantes de la personne physique
Pour qu’existe cette personne physique française ou étrangère dotée de la personnalité juridique, il faut un corps humain; et il faut que ce corps soit en vie.
Le corps humain
Sa nécessaire protection juridique
Le corps est, en droit, plus que le support de la personne ; il en est une composante même, bien que, longtemps, sous l’influence d’une philosophie rationaliste ou spi- ritualiste, il ait été plus ou moins évacué, à ce sujet, des préoccupations du droit. Parce qu’il est cependant une composante de la personne, il appelle tout naturellement une protection particulière, non seulement contre les atteintes provenant des autres, mais contre les atteintes de la personne elle-même.
Sa protection contre les autres
L’un des premiers devoirs de la collectivité est d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Des personnes ? Cela est bien exprimé à l’article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». La sûreté, ce mot vise notamment la sécurité des personnes, dont la protection est assurée par le droit pénal, lequel sanctionne les coups et blessures, l’homicide, le meurtre, l’assassinat, ce qui n’exclut d’ailleurs pas l’existence de sanctions civiles, notamment l’octroi aux victimes de dommages intérêts. On répare autant qu’il est possible les dommages corporels.
Les exemples qui précèdent ont trait à des actes illicites, manifestant à des degrés variables l’existence de violences qui suscitent normalement la réprobation du corps social. Mais la protection assurée au corps humain contre les atteintes des tiers est de plus vaste ampleur. De la tradition individualiste et libérale française, s’est dégagé en effet, non sans racine historique plus lointaine, le principe de l’inviolabilité du corps humain, suivant lequel hormis
l’incidence de l’intérêt général nul ne peut être obligé de faire ce qu’il ne veut pas faire (nemo praecise cogi ad factum). Une illustration de cette règle figure à l’article 1142 du code civil : «Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur » ; à défaut de pouvoir contraindre celui-ci manu militari, son créancier devra donc se contenter d’une indemnité en argent.
Du fait tant des progrès de la science que du développement des sociétés modernes, l’existence d’atteintes, directes ou indirectes, plus nombreuses que par le passé, à l’inviolabilité du corps humain s’est manifestée, non sans que l’on s’efforce d’assurer en ce domaine un équilibre aussi satisfaisant que possible entre un principe bien reconnu et la légitimité d’un certain nombre d’atteintes.
Au demeurant, l’intérêt général avait déjà manifesté son emprise en divers secteurs de la vie sociale, par exemple en matière de conscription. Puis, à des fins de santé publique, et non sans résistances, on a développé, contre certaines maladies, la vaccination obligatoire. A des fins de sécurité routière, on a aussi imposé l’alcootest ou le port de la ceinture de sécurité, à l’avant puis aussi à l’arrière des véhicules.
Encore convient-il d’observer que, lorsque ce n’est plus l’intérêt général, mais l’intérêt particulier qui est en cause et invoqué à l’encontre du principe de l’inviolabilité du corps humain, ce principe ne connaît pas normalement d’exception directe. Une personne ne peut être contrainte à son corps défendant. Mais, indirectement, notamment du fait que l’on peut juridiquement déduire de son comportement des conséquences qui lui sont défavorables, cette menace constitue une pression sur son comportement physique. Si, par exemple, un juge ordonne, en matière civile, une comparution d’une partie au procès et si celle-ci refuse de se rendre à cette convocation, le juge peut en «tirer toute conséquence de droit» (art. 198 NCPC), ce qui est de nature à inciter l’intéressé à obtempérer.
Sa protection contre elle-même
L’examen de cette question est souvent lié à l’interrogation suivante : quel est le droit d’une personne sur son corps ? Dans le passé, semblable interrogation a été formulée au sujet du suicide. Pour l’admettre, on a soutenu que la personne humaine était propriétaire de son corps ; pour le condamner, on a fait valoir qu’elle ne l’était pas. De sorte qu’assez naturellement, la fréquente admission du suicide, à notre époque, a acclimaté l’idée du droit pour chacun de disposer de son corps, de le détruire, manifestation extrême de la propriété. Pourtant, si le suicide n’est pas interdit, ce n’est pas parce que la personne humaine a un droit sur son corps, semblable à celui d’un propriétaire pouvant détruire sa maison; c’est parce que son acte est l’expression ultime et irremplaçable de la liberté individuelle. Le droit ne s’accorde pas à l’idée d’une relation de la personne physique à elle-même. La personne n’est pas propriétaire de son corps, puisque son corps, c’est elle.
Quant aux actes juridiques par lesquels une personne disposerait de son vivant de tout ou partie de son corps, l’on a pu traditionnellement considérer qu’ils échappaient normalement à l’emprise du contrat, comme étant hors du commerce (art. 1128 c. civ.). Le législateur est cependant intervenu au sujet de certaines situations : legs des yeux, prélèvement d’organes, recherches biomédicales en termes d’expérimentation. De manière plus générale, la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, a entraîné l’insertion, dans le code civil, de nouveaux articles 16 à 16-9 destinés à assurer la primauté de la personne, la protection de la dignité de celle-ci, l’inviolabilité et l’intégrité du corps humain (v. aussi la loi n° 94-654 du 29 juil. 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal).
La vie humaine
Distinction
L’être humain n’est considéré comme une personne physique, au sens juridique de l’expression, que s’il est en vie, ce qui suscite des questions relatives tant au début et à la fin de la personnalité qu’au sujet de l’incertitude pouvant affecter l’existence même d’une personne qui a vécu, mais dont on ne sait si elle vit encore.
L’apparition de la personnalité juridique
Pour être doté de la personnalité juridique, il faut d’abord naître vivant; le mort-né, c’est- à-dire celui qui était déjà mort dans le sein de sa mère ou qui est mort pendant l’accouchement n’a jamais vécu d’une vie propre ; il n’a pas la personnalité juridique et il est considéré comme ne l’ayant jamais eue. Il ne suffit d’ailleurs pas que l’homme naisse vivant; il n’a de personnalité qu’à la condition de naître viable, c’est-à-dire avec tous les
organes nécessaires et suffisamment constitués pour lui permettre de vivre (v. art. 311-4, 725, 906, c. civ.)
Une précision est ici nécessaire. La vie de l’homme commence avec sa conception, mais tant qu’il n’est pas né, il n’a pas une vie indépendante de celle de sa mère. Aussi, en vertu d’une tradition qui remonte au droit romain, admet-on que la personnalité ne commence qu’à la naissance. Toutefois, si l’intérêt de l’enfant le postule, celui-ci peut acquérir des droits dès le moment de sa conception, pourvu qu’il naisse vivant et viable. C’est ce qu’exprime l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur : l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt. Cette règle n’est écrite nulle part dans nos lois, mais le code civil en fait application en matière de filiation (art. 311, al. 2), ainsi que de succession (art. 725) ou de donation (art. 906), ce qui permet à un enfant posthume d’hériter ou de bénéficier d’une donation. Et la jurisprudence a généralisé la règle en en faisant usage dans d’autres hypothèses, par exemple en permettant de reconnaître un enfant naturel avant sa naissance.
L’évolution des mœurs et les progrès scientifiques ont renouvelé le débat, ce qui a appelé une attention accrue sur le sort des embryons et des fœtus. La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) dispose que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (art. 3). Puis il est écrit, dans la Convention européenne des droits de l’homme, que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi» (art. 2-1). Et, en 1966, semblables affirmations sont réitérées dans le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie » (art. 6-1).
Puisque toute personne a droit à la vie, il faut bien savoir, en termes de droit, à partir de quel moment cette personne existe. L’article 1erde la loi du 17 janvier 1975, sur l’interruption volontaire de grossesse, dispose que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie », étant précisé qu’« il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité … ». Dans l’intention de ceux qui ont voulu cette disposition, il s’agissait de faire remonter le moment de l’apparition de la personnalité juridique de la naissance jusqu’à la fécondation, ce qui n’était pas sans conséquence sur le sort des embryons humains. Reste que la lettre du texte, qui n’emploie pas l’expression de personne humaine, mais celle d’être humain, laissait pour le moins planer un doute. Force est de considérer que celui-ci a disparu depuis qu’un nouvel article 16 du code civil, dû à la loi n° 94- 653 du 29 juillet 1994, dispose notamment que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », étant désormais observé que le législateur, dont l’intention a été spécialement relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994, a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie n’était pas applicable aux embryons fécondés in vitro
La disparition de la personnalité juridique
La personnalité juridique, supposant la vie, cesse avec la mort, ce qui n’empêche ni la protection de la mémoire des morts, des cadavres et des sépultures, ni le fait que la volonté d’une personne puisse produire des conséquences après sa mort, par l’effet d’un testament. Curieusement probablement sinon seulement parce qu’il s’agissait d’une célébrité de la chanson une grande émotion s’est élevée au sujet de la dépouille d’Yves Montand, exhumée aux fins d’une recherche génétique ordonnée dans le cadre d’une recherche posthume de paternité naturelle. Mais si l’article 16-11 du code civil, issu des lois sur la bioéthique, subordonne la preuve biologique au consentement de l’intéressé quitte à ce que les juges tirent toutes conséquences d’une abstention ou d’un refus, semblable disposition ne concerne que les vivants et non pas les défunts. Aussi bien avait-il été admis par la jurisprudence, à des fins d’opérer un prélèvement sanguin. Pourquoi en irait-il différemment au sujet des empreintes génétiques? (V. infra, n° 522).
Le problème de la constatation de la mort, conditionnant l’établissement d’un acte de décès, s’est compliqué de nos jours, en raison de l’évolution de la science médicale qui permet, d’une part, de mieux saisir le processus biologique de la mort celle-ci n’apparaissant plus comme un événement unique, instantané, intéressant toutes les fonctions vitales à la fois, d’autre part, de prolonger certaines situations où un sujet est maintenu entre la vie et la mort, on dit aussi en coma dépassé ou prolongé.
L’incertitude sur l’existence d’une personne physique
Dans le langage usuel, l’absence est le fait de ne pas être présent en un lieu dans lequel on pouvait ou on devait se trouver à un moment donné . Ainsi, on dit qu’une personne est absente quand elle est sortie de chez elle ou qu’elle est en voyage. En matière juridique, ce qui caractérise l’absence d’une personne physique, ce n’est plus seulement la non- présence à son domicile ou à sa résidence, c’est le fait qu’on ne sache pas ce qu’elle est devenue, plus précisément qu’on ne sache pas si elle est vivante ou si elle est morte.
D’un côté, des mesures de conservation, de gestion, mais aussi de répartition des biens de l’absent peuvent être nécessaires. De l’autre, il faut préserver ses intérêts. D’où la distinction de deux périodes, opérée aux articles 112 et suivants du code civil : a) une période de présomption d’absence celle-ci étant constatée par le juge des tutelles envisagée en fonction de l’idée que l’existence de l’absent est présumée, que son retour est même probable ; b) une période consécutive à une déclaration d’absence prononcée par le tribunal de grande instance, dix ans normalement après la constatation de la présomption d’absence, le jugement déclaratif d’absence étant assimilé à un acte de décès et emportant normalement, après sa transcription à l’état civil, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus .