Conditions des actes juridiques : Sanctions
Définition
Le terme de sanction est fréquemment employé en droit. Dans un sens plus sociologique que juridique, il renvoie à l’analyse du caractère effectif des exigences du droit. V. infra, nos 403 s.
Plus globalement, son emploi se relie à sa signification technique, généralement indifférente à la diversité des branches du droit : la sanction est la conséquence que le droit attache au non-respect de ses exigences. Il s’agit donc ici de savoir ce qui se passe lorsque les conditions de l’acte juridique ne sont pas satisfaites.
Nullité et autres sanctions
La nullité semble être de prime abord la sanction naturelle lorsque les conditions requises pour la validité d’un acte juridique ne sont pas réunies : aucun des effets juridiques que l’auteur ou les auteurs de l’acte avaient l’intention de provoquer en le passant ne se produit; l’acte est anéanti. Cet anéantissement radical peut être conforme à une certaine logique. Mais, du point de vue des particuliers, il peut être excessif par rapport au vice affectant l’acte et tromper de la sorte leurs légitimes prévisions ; et, du point de vue général, dans l’ordre notamment de l’économique et du social, il est souvent peu satisfaisant que les opérations accomplies soient anéanties trop facilement. Tant il est vrai que les activités productrices y compris celle qui consiste dans la production d’actes juridiques sont des composantes essentielles, nourricières même, du tissu économique et social. Rien d’étonnant donc si l’on observe à notre époque une certaine tendance au refoulement des nullités.
Nullité et inexistence
A vrai dire, il est une sanction plus profonde encore que la nullité. Qui dit nullité dit cause d’annulation possible, donc d’anéantissement de quelque acte ou de quelque élément d’acte qui existe tant qu’il n’a pas été anéanti, annulé, même rétroactivement.
Quand on fait état d’inexistence, on imagine un acte ou plutôt ce qui se dit tel atteint d’un vice si essentiel que l’idée même de nullité serait inappropriée. L’on devrait dire alors que la situation est tellement viciée qu’il n’y a même plus d’acte à anéantir; il n’y a plus d’acte du tout; il y a inexistence.
Semblable opinion a été soutenue par des auteurs au sujet d’actes profondément inaptes à l’existence juridique, inviables en quelque sorte à leurs yeux : mariage contracté entre deux personnes de même sexe, contrat passé par un dément, enchère portée par un particulier dans une adjudication judiciaire sans recours à un auxiliaire de justice.
A la distinction des nullités et de l’inexistence seraient attachées des conséquences ; tout intéressé pourrait se prévaloir de l’inexistence d’un acte, sans qu’il soit besoin d’intenter une action en justice pour faire prononcer son inefficacité; l’opération serait définitivement et irrémédiablement inefficace, ni la confirmation des intéressés, ni la prescription ne pouvant la consolider après coup.
Force est de reconnaître qu’en droit privé, la théorie de l’inexistence n’a guère été accueillie, d’autant plus que, si profond que puisse être le vice affectant un acte juridique ou ce qui en présente l’apparence, dès qu’une contestation surgit à son sujet, il demeure nécessaire d’avoir recours à la justice pour qu’elle soit tranchée.
Observons toutefois que le recours à la notion d’inexistence a pu présenter quelque utilité dans les domaines où les nullités ne sont admises que de manière parcimonieuse parce que, en la matière, on retient ou on a retenu une règle suivant laquelle il n’y aurait « pas de nullité sans texte », par exemple en matière de nullité d’actes de procédure. Même en ce domaine, la notion d’inexistence n’est guère accueillie.
L’inexistence des actes administratifs
L’on observe qu’il n’existe pas de différences fondamentales quant à la théorie des nullités entre le droit privé et le droit public, celui-ci n’ignorant pas, notamment, la distinction des nullités absolues et des nullités relatives . Mais, en droit public, une place est reconnue à l’inexistence des actes administratifs, ce qui permet notamment de priver d’effet certains actes grossièrement irréguliers, bien que soient écoulés les délais des recours contentieux. Force est de constater que la jurisprudence a aussi utilisé la notion d’inexistence des actes administratifs pour priver d’effet certaines dispositions d’ordre procédural jugées trop rigoureuses .
Nullité, résolution, inopposabilité
Du fait d’un élément d’ordre temporel ou d’ordre personnel, ratione temporis ou ratione personae, la nullité se distingue de la résolution ou de l’inopposabilité.
Il y a nullité lorsqu’un vice affecte un acte juridique à son origine, spécialement un contrat. Si l’acte est valable lors de sa formation, il se peut que certains faits postérieurs à celle-ci, par exemple l’inexécution de ses obligations par l’un des contractants le défaut de paiement du prix par un acquéreur … entraînent l’inefficacité du contrat : l’action en résolution sanctionnera une telle inexécution. La résolution fait disparaître le contrat non seulement pour l’avenir, mais encore rétroactivement, les prestations effectuées en vertu du contrat devant être restituées. Mais une telle restitution est incompatible avec la nature de certains contrats, les contrats successifs, tels le louage, le contrat de travail (supra, n° 280) : on ne peut effacer certains faits, par exemple le fait que le locataire a joui des lieux loués pendant un certain temps, que le salarié a travaillé pour son employeur. Alors, la résiliation remplace la résolution : il y a extinction des obligations des parties, mais sans rétroactivité. On distinguera encore la caducité de la résolution (ou de la résiliation) : on doit alors supposer qu’un événement postérieur à la formation du contrat et généralement indépendant de la volonté des parties (par exemple la suppression de la fixation administrative de prix auquel se réfère un contrat d’approvisionnement) supprime un élément essentiel à la prise ou à la poursuite d’effet de l’acte juridique .
Alors qu’un acte annulé ne produit effet à l’égard de personne, il arrive qu’un acte, tout en étant valable, soit inopposable à certaines personnes qui pourront agir comme s’il n’existait pas ; mais il conserve tous ses effets dans les rapports entre d’autres intéressés. L’inopposabilité sanctionne notamment le défaut d’accomplissement des formalités de publicité : l’acte non publié, par exemple une vente d’immeuble, est valable et produit ses effets dans les rapports des parties; mais la vente est inopposable à un acquéreur postérieur du même immeuble qui aurait, lui, accompli les formalités de publicité. De même est inopposable aux tiers un acte qui n’a pas acquis date certaine (art. 1328 c. civ.).
Régime des nullités. Action en nullité et exception de nullité
II existe de multiples régimes des nullités qui varient suivant les différentes branches du droit, ainsi que fréquemment, dans chaque branche, suivant les matières. Il existe, en procédure, un régime des nullités des actes de procédure (art. 112 s., NCPC) et des jugements (art. 458 s., NCPC). En droit civil, il y a un régime de nullités propre aux conditions du mariage (art. 180 s., c. civ.). En matière de sociétés, notamment sous l’influence d’un courant issu du droit communautaire, des solutions originales ont été retenues, destinées à refouler des annulations peu satisfaisantes du point de vue économique (art. 1844-10 s., c. civ. ; L. 24 juil. 1966, art. 360 s.).
De manière générale, la nullité d’un acte juridique peut être invoquée par le demandeur intentant une action en nullité. Elle peut aussi être invoquée par un défendeur à un procès, soulevant l’exception de nullité. Ainsi un créancier actionne son débiteur en paiement de son obligation ; et le débiteur se défend en faisant valoir que le contrat est nul pour vice du consentement.
Si le jugement annule l’acte, celui-ci est anéanti pour l’avenir, de sorte qu’on ne pourra pas en déduire d’effets nouveaux. Et il est anéanti rétroactivement pour le passé : les effets déjà réalisés doivent être supprimés et les parties doivent être, en principe, replacées dans le statu quo ante, de sorte que les prestations fournies en vertu de l’acte annulé doivent être restituées.
Régularisation
Le désir grandissant, en certaines matières, de favoriser la consolidation des actes irréguliers, plutôt que de les anéantir, explique l’intérêt porté, surtout à notre époque, à la régularisation des actes juridiques. Le procédé, il est vrai, ne date pas d’hier. Ainsi, l’article 1599 du code civil disposant que «la vente de la chose d’autrui est nulle », est-il admis que la vente est régularisée lorsque le vendeur acquiert la propriété de la chose vendue pour quelque cause que ce soit. L’évolution du droit des sociétés est aussi marquée par l’essor du mécanisme de la régularisation (art. 1839, 1844-11 s., c. civ.; L. 24 juil. 1966 sur les sociétés commerciales, art. 6, 365 s.).
Spontané, voire provoqué, ce mécanisme n’implique pas nécessairement l’existence d’une cause de nullité, de sorte qu’il apparaît, selon les cas, comme un moyen de prévenir une annulation ou comme un substitut de la nullité. La régularisation de l’acte consiste dans l’effacement objectif du vice; il en résulte que, par le jeu d’une équivalence des résultats , elle peut remplacer une exacte réparation du vice, disons une réitération rigoureusement régulière de l’acte. A l’inverse, la confirmation d’un acte nul (v. infra, n° 308) manifeste subjectivement le renouvellement du consentement dans des conditions de nature à en assurer la validité et l’efficacité.
Nullités absolues et nullités relatives
Suivant une distinction classique, traditionnellement dégagée et pratiquée en droit privé, on distingue les nullités relatives et les nullités absolues, cette distinction reposant sur le degré d’importance de l’irrégularité et entraînant des différences corrélatives quant au régime de l’annulation.
Distinction
Les nullités relatives supposent que fait défaut une condition de validité exigée en vue de protéger les intérêts d’une ou plusieurs personnes déterminées. Par exemple, si le consentement d’une partie est entaché d’erreur sur la substance de la chose, la nullité existe dans l’intérêt de cette partie, et d’elle seule; si un incapable d’exercice a passé un acte sans le concours des formalités destinées à l’habiliter, c’est encore dans son intérêt que la loi déclare annulable l’acte accompli.
Les nullités absolues sanctionnent la violation de conditions plus impérieuses tenant à la protection d’intérêts généraux. Ainsi en est-il lorsque l’objet de l’obligation est hors du commerce ou lorsque l’obligation est dépourvue de cause. Est encore sanctionnée par la nullité absolue la violation des formes solennelles. Pourtant, certaines formes solennelles sont avant tout inspirées par la protection d’un intérêt particulier. Autant dire que la distinction des domaines des deux sortes de nullité ne coïncide pas pleinement avec celle de l’intérêt particulier et de l’intérêt général, à vrai dire souvent entremêlés.
Régime
Trois différences existent entre les régimes des deux sortes de nullité.
- La nullité relative ne peut être invoquée que par la ou les personnes que la loi a voulu protéger et ses représentants légaux ou successeurs; la nullité absolue peut être invoquée par tout intéressé.
- La nullité relative peut se couvrir par la confirmation ; la personne que la loi voulait protéger peut, lorsque le vice a disparu (par exemple lorsqu’elle a reconnu l’erreur dont elle a été victime ou lorsqu’elle est devenue capable), confirmer l’acte, c’est-à-dire lui conférer la validité qui lui manquait en renonçant à invoquer la nullité. Au contraire, les nullités absolues qui peuvent être invoquées par tous les intéressés ne peuvent disparaître du fait du comportement de tel ou tel d’entre eux.
- La nullité relative doit être invoquée assez rapidement; sinon l’action en nullité se prescrit en principe au bout de cinq ans (art. 1309 c. civ.). Au contraire, l’action en nullité absolue se prescrit au bout de trente ans, délai de prescription de droit commun, qui concerne toutes les actions en justice tant réelles que personnelles (art. 2262 c. civ.).
Il existe cependant, quant à la prescription, une règle commune à toutes les nullités, absolues ou relatives : la prescription n’éteint que l’action en nullité et non l’exception de nullité. Si un acte nul n’a pas été exécuté, le défendeur à l’action en exécution pourra toujours invoquer la nullité pour se défendre. Cette règle est formulée dans l’adage latin : quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum.