La spécialisation des juridictions
Les juridictions civiles
On entend par juridictions civiles les tribunaux chargés de régler les différends entre les personnes privées que sont par exemple les particuliers et les entreprises industrielles et commerciales. L’organisation de la justice à leur égard repose sur l’idée que les litiges nés de leurs relations sociales économiques, familiales ou professionnelles ne l’élèvent pas d’un seul type de tribunaux : un conflit de voisinage n’est pas tranché par les mêmes juges qu’un licenciement contesté ou que la conformité à la commande de la livraison d’un navire de commerce.
- Les tribunaux de grande instance. Dans l’architecture des principales juridictions en charge de ces litiges, le spectre d’intervention le plus large est celui des tribunaux de grande instance : ils peuvent être saisis de tous les litiges qui ne sont pas expressément attribués à d’autres juridictions. Cette compétence de principe explique qu’ils soient qualifiés de juridictions de « droit commun », ce qui conduit à porter devant les juges (de métier) qui en font partie des affaires extrêmement variées, allant par exemple du contentieux de la famille à la plupart des contestations liées à la construction immobilière, ou encore à la responsabilité civile et aux assurances. Il existe au moins un tribunal de grande instance par département.
- Les tribunaux d’instance ont longtemps joué le rôle déjugés des peti¬tes affaires civiles ; ces juridictions prenant toujours leurs décisions « à juge unique » (provenant du tribunal de grande instance), étaient en effet dédiées au règlement des litiges de valeur modeste, concernant par exemple les locataires et les propriétaires de locaux d’habitation, ou les consommateurs opposés à des professionnels, les relations entre voisins et de nombreux litiges particuliers de la vie quotidienne. Successeurs des anciennes justices de paix, les tribunaux d’instance, dont chacun a le plus souvent une assise géographique pluri cantonale, ont cédé une partie appréciable de leur domaine d’intervention aux juridictions de proximité.
- Les juridictions de proximité. Ces nouvelles juridictions, créées en 2002, avaient effectivement vocation, en matière civile, à traiter des affaires les plus modestes parmi celles qui relevaient jusque-là de la compétence des juges d’instance. En fait, elles n’ont pas véritablement introduit une nouvelle forme de justice, contrairement aux intentions affichées par leurs promoteurs. Seule leur composition est originale puisque le juge unique qui compose cette juridiction n’est pas un professionnel de la justice, mais un citoyen appelé, après vérification de ses capacités, à exercer temporairement des fonctions juridictionnelles. En revanche, ses missions et le processus de son intervention ne sont pas fondamentalement différents de ceux d’un tribunal ordinaire, ce qui explique la tendance à accroître leurs attributions.
D’autres juridictions sont dites « spécialisées » pour souligner le fait que leur secteur de compétence, quoique parfois assez large, être plus nettement circonscrit :
Les tribunaux de commerce. Ces juridictions aux origines historiques fort lointaines, présentent la particularité d’être toujours composées de commerçants ou dirigeants d’entreprises élus par leurs pairs, et non de magistrats de métier. Cette composition explique et, selon les professionnels de l’industrie et du commerce, justifie leurs attributions. Non seulement les tribunaux de commerce tranchent les litiges de la vie des affaires, mais ils interviennent dans le règlement des difficultés des entreprises artisanales et commerciales, soit pour tenter de les prévenir ou d’éviter qu’elles ne dégénèrent, soit pour en tirer les conséquences en organisant leur redressement ou leur liquidation.
Les conseils de prud’hommes, à raison d’un au moins par département, règlent les litiges individuels du travail salarié. Leur composition paritaire, une de leur caractéristique les plus essentielles, veut qu’ils ne prennent aucune décision sans être constitués d’un nombre égal de salariés et d’employeurs parmi ceux que leurs pairs des différentes branches d’activité ont élus pour accomplir cette mission. La loi leur impose de rechercher avec les parties en conflit une solution de conciliation et de ne trancher que si celle-ci se révèle impossible. La parité étant par définition susceptible d’empêcher les juges prud’homaux de se départager, la loi prévoit, en cas de blocage, de faire appel à un juge du tribunal d’instance pour qu’il se joigne à eux et qu’une décision puisse alors s’imposer, ne serait-ce qu’arithmétiquement.
Parmi les autres juridictions, nettement plus spécialisées, on peut encore citer les tribunaux paritaires des baux ruraux chargés de traiter les conflits opposant les propriétaires et les « preneurs » de biens ruraux, ainsi que les juridictions de sécurité sociale.
Les juridictions pénales
Leur rôle principal consiste, dit-on le plus souvent, à sanctionner les auteurs de comportements nuisibles à la société. Ces comportements, pénalement répréhensibles, sont cependant d’une gravité extrêmement variable, allant des stationnements interdits aux crimes les plus odieux ; ils peuvent aussi provoquer des préjudices individuels. Il n’en reste pas moins que le propre de la justice pénale est prioritairement de porter un jugement sur l’auteur d’un acte et de prendre, s’il en est déclaré coupable, des mesures le concernant à des fins d’amendement ou de punition.
Leur organisation. Quoique variable, on vient de le dire, la gravité de la sanction pénale explique l’organisation particulière des juridictions susceptibles de la prononcer. Pour les affaires les plus difficiles, c’est un juge particulier, le juge d’instruction, qui décidera si, en fonction des « charges », il y a lieu ou non de renvoyer l’intéressé devant un tribunal ou une cour. Le « non-lieu » le met à l’abri de toute sanction ; mais son renvoi devant la juridiction dite « de jugement » n’impliquera sa condamnation que si sa culpabilité est établie de manière définitive par cette juridiction.
Les différentes juridictions. Ces juridictions, ayant le pouvoir de prononcer les sanctions appropriées, varient principalement en fonction de la gravité des infractions poursuivies. Le tribunal de police (le pendant, en matière pénale, du tribunal d’instance) connaît des infractions les moins graves, les contraventions, qui ne nécessitent évidemment pas l’intervention préalable du juge d’instruction. Il partage cette compétence avec la juridiction de proximité, déjà signalée, qui dispose également d’attributions pénales. Le tribunal correctionnel, configuration pénale du tribunal de grande instance, juge des « délits », expression technique désignant ici les infractions plus graves (vols, escroqueries, homicides par imprudence, par exemple) appelant parfois une instruction spéciale en bonne et due forme.
Le tribunal de police et le tribunal correctionnel sont en général composés de magistrats de métiers qui interviennent toujours à juge unique dans le premier cas, la règle de la collégialité (trois magistrats) s’appliquant, avec d’assez nombreux aménagements et exceptions, devant la juridiction correctionnelle.
La cour d’assises (départementale) est la juridiction répressive la plus médiatisée, car elle connaît, avec une solennité remarquable, des crimes, au sens précis du terme, c’est-à-dire des infractions ayant le retentissement social le plus lourd. Sa composition associe des citoyens tirés au sort et des magistrats de métier.
A côté de ces juridictions pénales habituelles, des tribunaux spécia¬lisés sont parfois institués en raison de l’âge des délinquants (juridic¬tions pour mineurs) ou de leurs fonctions (militaires, responsables politiques notamment).
Les juridictions administratives
Le contentieux administratif. Pour des raisons historiques remontant à la théorie de la séparation des pouvoirs prise en compte par la Révolution française, les conflits impliquant l’Administration sont traités en France par des juridictions particulières. L’activité des collectivités publiques peut en effet léser les citoyens lorsqu’elle leur cause des dommages, par exemple lors de travaux publics défectueux ou quand une autorisation ou une nomination est refusée ou décidée à tort. Les agents publics eux-mêmes peuvent se plaindre de décisions concernant leur carrière. L’ensemble de ces difficultés forme le « contentieux administratif ». En règle générale, il est d’abord soumis aux tribunaux administratifs siégeant dans chaque région administrative. Il arrive cependant que le Conseil d’État, juridiction supérieure souvent saisie de recours contre les décisions des juridictions administratives inférieures (voir infra), connaisse directement de décrets ou de mesures émanant d’autorités administratives centrales et singulièrement du gouvernement.
Les juridictions d’attribution. Il faut signaler que de nombreuses « juridictions d’attribution » ont une compétence dans des secteurs particuliers de l’activité administrative. C’est le cas notamment de juridictions financières statuant sur les comptes des collectivités publiques, et sur les fautes éventuelles des agents publics en charge de les établir ou de les contrôler (Cour des comptes, chambres régionales des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière).
Entrent également dans cette catégorie composite des juridictions disciplinaires ou professionnelles (conseils des ordres professionnels, conseils de discipline dans l’enseignement public), et de nombreuses commissions qui ont finalement acquis le statut d’organes habilités à prendre de véritables décisions de justice.
Le Conseil constitutionnel
La place du Conseil constitutionnel dans l’ordre juridictionnel français ne peut ici qu’être évoquée. Il s’agit incontestablement d’une juridiction ; mais sa fonction est très particulière puisqu’elle consiste à juger, par des décisions sans appel, de la conformité à la Constitution des lois votées par le Parlement. En l’état actuel du droit, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi directement par les citoyens.
Les juridictions européennes
La place des juridictions européennes doit être soulignée même sommairement, car elles influencent assez directement et concrètement l’accès au droit et à la justice des citoyens européens.
• La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) (avec le Tribunal de première instance qui lui a été adjoint en 1988) est l’organe juridictionnel chargé d’assurer le respect des traités et leur interprétation uniforme dans l’ensemble de l’Union. Sa mission est essentielle pour l’intégration européenne : elle doit en effet garantir que le droit communautaire, fondamental en matière économique et sociale, est interprété de la même manière par les juges de tous les Etats membres, condition nécessaire du respect de la libre circulation des personnes, des services et des marchandises.
• La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a pour mission d’assurer le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée dans le cadre du Conseil de l’Europe, plus large que celui de l’Union européenne. Cette juridiction, qui siège à Strasbourg, peut être saisie directement par les citoyens des Etats signataires afin de sanctionner les manquements de ces Etats à leurs engagements. La Cour européenne joue de ce fait un rôle important pour la mise en place, dans chacun des Etats concernés, d’institutions assurant l’accès à la justice et au droit ; elle précise notamment avec force les conditions nécessaires au déroulement de procès équitables devant les juridictions (voir infra), influençant ainsi très directement les droits nationaux.
B. La hiérarchie des juridictions
L’architecture juridictionnelle repose aussi sur l’idée que les décisions de justice prises dans un premier temps doivent pouvoir être contestées afin de redresser leurs éventuelles erreurs ou insuffisances.
Les juristes français y voient une garantie de bonne justice et considèrent habituellement que les justiciables ont en principe droit à un « double degré de juridiction ». Le principe comporte des exceptions (certaines décisions sont prises une fois pour toutes « en premier et dernier ressort ») et des inconvénients, si les plaideurs se croient autorises, voire encouragés à prolonger les procédures sans raison sérieuse Cette conception est d’ailleurs loin d’être universelle : de nombreux systèmes de droit préfèrent offrir le maximum de garanties aux justiciables dès la première instance procédurale, considérant qu’une affaire bien jugée à ce stade n’a pas lieu, normalement, d’être portée devant une juridiction supérieure. L’installation de juridictions de recours a de toute façon un coût pour les justiciables et les contribuables, coût qui n’est pas plus négligé par les pouvoirs publics responsables de l’agencement des tribunaux que par les plaideurs qui envisagent de faire rejuger leur affaire.
Les cours d’appel. La voie de recours la plus caractéristique est l’appel. Au sens précis du terme, c’est le procédé qui permet de faire rejuger complètement une affaire à la demande d’un plaideur insatisfait. Dans la tradition française, cette possibilité est largement ouverte. Les juridictions instituées pour intervenir à ce stade portent en général l’appellation de cours d’appel. C’est le cas pour les affaires pénales (y compris pour les ordonnances du juge d’instruction) civiles et administratives. Leur champ d’intervention territorial est assez étendu et correspond presque toujours à plusieurs départements.
La Cour de cassation et le Conseil d’État. D’autres juridictions sont censées intervenir beaucoup plus exceptionnellement. C’est le cas de la Cour de cassation (en matière civile et pénale) et du Conseil d’État (en matière administrative), juridictions composées des magistrats les plus élevés dans la hiérarchie judiciaire. Ces hautes juridictions, uniques, ne sont généralement pas habilitées à rejuger les affaires dans leur ensemble, mais plus précisément à examiner, dès lors qu’un « recours en cassation » a été formé, la conformité au droit de la décision attaquée, sans revenir sur les circonstances de fait du litige. Souvent d’ailleurs, si le recours est admis, l’affaire sera « renvoyée » devant une juridiction de même nature que celle ayant rendu le jugement « cassé », pour qu’elle soit définitivement réglée dans tous ses aspects. En dépit de cette mission bien précise, de la longueur et du coût de ces procédures, leur nombre est si considérable qu’on a parfois parlé d’encombrement tant de la Cour de cassation que du Conseil d’État.