Droit et justice
La puissance du droit et son respect par les sujets de droit, ou encore son prestige , dépendent assez largement des relations suffisamment étroites qu’il entretient avec la justice .Un courant de pensée fort ancien définit d’ailleurs le droit comme la science du « juste ». Jus est ars boni et aequi affirmait le juriste romain Celse . Cette parenté profonde entre la justice et le droit s’accompagne d’hésitations, liées aux deux éléments de cette relation.
D’une part, la justice peut être entendue de manières fort diverses. C’est surtout à partir d’une distinction essentielle, approfondie par Aristote (infra, n° 133), que se manifestent les divergences. Pour qui s’attache à la justice commutative, il convient, par une appréciation objective des produits et des services échangés entre les hommes, d’assurer autant qu’il est possible une égalité mathématique. Pour qui s’attache à la justice distributive, il s’agit d’opérer, autant qu’il est pos¬sible, entre les hommes la meilleure répartition des richesses. Or celle-ci peut être conçue de diverses manières, soit comme une égalité théorique et absolue, soit comme une égalité subjective et relative (ex. : à chacun selon son travail, à chacun selon ses besoins). Dans la mesure où la justice guide et inspire le droit , l’incli¬nation vers tel ou tel type de justice n’est évidemment pas sans incidence.
D’autre part, les attitudes du droit face à la justice sont diverses. On peut en distinguer trois :
La première est empreinte d’indifférence, en ce sens qu’il existe nombre de règles juridiques d’ordre technique, qui ne s’apprécient pas en relation avec la justice (ex. : les règles de rédaction des actes de l’état civil ou celles qui régissent la publicité foncière).
La deuxième atteste au contraire l’existence de relations étroites. Aussi bien n’est-il pas rare qu’exprimant et prolongeant un besoin de justice, le droit apporte aux préceptes de la morale les compléments et les précisions rendus nécessaires par la vie en société. Ainsi est-il moralement répréhensible de vendre à un prix excessif, voire d’acheter à vil prix; mais, si l’on se contentait de ces formules, trop de contrats de vente seraient exposés à des contestations ; voilà pourquoi le droit précise, par exemple, les conditions dans lesquelles un contrat de vente peut être attaqué.
La troisième est en revanche le signe d’un conflit entre le droit et la justice, se manifestant chaque fois que le combat en faveur de celle-ci est contrarié par la nécessité, inhérente au droit, de faire régner, non seulement la justice, mais aussi l’ordre, la sécurité et la paix. Ainsi, lorsqu’une vente est passée à un prix trop bas, la justice milite soit en faveur de la nullité de la vente, soit dans le sens du paiement d’un sup-plément de prix; mais, le plus souvent, un écart entre le prix et la valeur de la chose d’une part, le désir d’assurer la sécurité des transactions, d’autre part, ont conduit à fixer des conditions et des seuils au- dessous desquels le droit refuse de servir les intérêts de la justice . En ce sens, on peut estimer qu’il est moins nuancé, plus rudimentaire.