Droit judiciaire et droit processuel : Les gens de justice
La machine judiciaire ne fonctionne pas comme un service public ordinaire. Naturellement, un certain nombre d’agents publics exercent au sein des tribunaux des tâches administratives traditionnelles. Mais les missions éminentes de la justice sont confiées à des autorités, les magistrats, qui bénéficient d’un statut particulier au sein de la fonction publique. En outre, et pour les mêmes raisons, les professions libérales associées au fonctionnement des tribunaux relèvent de règles particulières sur le plan déontologique qui tiennent compte de ce contexte particulier.
A. Les magistrats
Les décisions de justice sont prises par des autorités dont la caractéristique essentielle est l’indépendance et la neutralité à l’égard des intérêts débattus devant eux. Cette exigence est pour les magistrats de métier garantie par un statut : la Constitution le prévoit pour les magistrats des juridictions civiles et pénales, et ceux des juridictions administratives ordinaires sont dans une situation comparable. A la différence des autres agents publics, ils ne peuvent recevoir ni ordres ni directives, pas plus d’autres magistrats que d’autres autorités publiques ou privées. Concrètement, il s’agit surtout de les mettre à l’abri de pressions que pourraient exercer des membres du personnel politique impliqués par des procès susceptibles d’aboutir à une sanction pénale ou à une décision leur étant défavorable, toutes choses fâcheuses aux yeux de leurs électeurs. Le statut particulier de la magistrature tend précisément à éviter que les procédures de recrutement, d’avancement de leur carte, du de sanctions disciplinaires soient l’occasion de pressions ou de représailles. Cette protection est inscrite dans les textes et les principes puis fort longtemps ; mais l’indépendance réelle des magistrats s’exprime désormais sans retenue, singulièrement vis-à-vis des élus parfois portés à croire que l’onction du suffrage universel immunise contre des poursuites judiciaires.
I es magistrats du siège. Les magistrats concernés au premier chef sont les magistrats de métier dits du « siège », référence un peu désuète, il est vrai, à leur position assise lorsqu’ils entendent la cause des justiciables et prononcent leurs décisions. Juges d’instruction, conseillers à la cour d’appel, juges des enfants, juges d’instance, etc., décident toujours au nom de la juridiction qu’ils incarnent, donc du peuple français, même quand ils statuent « à juge unique », c’est-à-dire en dehors de toute collégialité.
I es magistrats occasionnels. La situation d’autres magistrats appelle précisions et nuances. L’indépendance des magistrats occasionnels, citoyens élus ou tirés au sort, ne tient pas à un statut mais précisément à leur élection ou au sort qui les a choisis, sans qu’ils aient à craindre pour une carrière qui se déroule ailleurs que dans le inonde de la justice.
I es magistrats du parquet. D’autres magistrats de métier sont dans une situation sujette à débat : ayant reçu la même formation que leurs collègues du siège, les procureurs, ou magistrats du ministère public (dits encore « du parquet »), représentent la société auprès des tribunaux. La société ? On peut considérer qu’il s’agit purement et simplement du gouvernement et plus précisément du ministre de la justice, le garde des Sceaux, étant précisé que le procureur n’émet qu’un avis et que la juridiction (le « siège ») est parfaitement libre de ne pas suivre ses « réquisitions ». Il est incontestable que les « parquetiers » peuvent recevoir des instructions de leur ministre sur la conduite à tenir vis-à-vis de certaines catégories d’infractions (délinquance routière par exemple). Mais de nombreux magistrats du parquet revendiquent une indépendance de principe dans la représentation des intérêts de la société auprès des tribunaux. Il est vrai qu’ils en disposent déjà de fait dans l’immense majorité des cas ; le pouvoir politique n’est en effet tenté d’influencer le cours particulier de la justice qu’à l’occasion des affaires dites « sensibles », mais très peu nombreuses.
B. Les auxiliaires de justice
L’expression englobe toute une série de professionnels en contact à la fois avec les tribunaux et avec les justiciables. Leur rôle dans l’accès des citoyens au droit et à la justice est donc essentiel. Il s’agit d’abord d’auxiliaires de la juridiction, à l’instar des greffiers chargés de conserver et d’authentifier les actes du juge puis de les tenir à disposition des intéressés. Il s’agit ensuite et surtout de professionnels du droit et de la justice au service des plaideurs. Leur qualité d’auxiliaires de justice, inhérente à leur déontologie professionnelle, signifie concrètement qu’ils ne peuvent se considérer comme étant seulement et exclusivement au service de leur client sans prendre également en compte l’intérêt plus général de la justice.
• Les avocats. Ce sont les plus représentatifs de cette catégorie ; ils défendent et représentent leurs clients dans des configurations de plus en plus diversifiées. La plaidoirie pénale devant la Cour d’assises pour faire admettre l’innocence d’un accusé ou tenter d’adoucir la peine qu’il encourt demeure une réalité bien connue du grand public, mais plus importante cependant sur le plan symbolique que quantitatif. Les avocats d’aujourd’hui développent en effet bien d’autres activités : dans les affaires civiles, leurs « conclusions » (écrits présentant la cause de leur client) et le dossier qu’ils constituent et remettent au tribunal comptent souvent bien davantage que leurs brèves observations orales à l’audience, et parfois même s’y substituent complètement ; l’activité de conseil juridique et fiscal des entreprises, clientèle recherchée, occupe d’autre part une fraction du barreau en amont de tout procès, et précisément pour essayer d’en éloigner le risque.
A la variété de ces fonctions correspond une diversification de l’organisation professionnelle : juridiquement, les avocats sont regroupés en « barreaux » (autant que de tribunaux de grande instance) ; mais la spécialisation et la nécessaire rentabilité des cabinets conduisent au renouvellement des structures d’activité, l’exercice individuel et généraliste de la profession tendant à s’effacer devant des regroupements sous forme d’associations et de sociétés civiles professionnelles qui permettent la spécialisation. L’internationalisation et les relations avec d’autres professionnels au contact des entreprises constituent les défis contemporains de la profession.
Les huissiers de justice. Leur mission comporte d’abord des attributions qui leur sont exclusivement réservées au titre de leur « monopole ». C’est le cas de l’information officielle (les « significations ») des plaideurs relative à certains actes et jugements les concernant ; c’est aussi la mission d’exécution des décisions de justice que la loi leur confie afin que le recouvrement des condamnations soit conduit dans des conditions conjuguant l’efficacité pour le bénéficiaire du jugement et la dignité pour le débiteur. En dehors de ces activités strictement encadrées, notamment sur le plan de leur rétribution, les huissiers de justice offrent, en tant que professionnels libéraux, des services appréciés par les particuliers et les entreprises publiques et privées : les « constats » qu’ils dressent permettent d’établir des éléments de preuve fiables, ce qui peut simplifier, voire éviter des procès ; le recouvrement amiable des créances, en dehors des procédures judiciaires, représente également une part importante de leur activité.
Limage de l’huissier de justice, professionnel inflexible et insensible, doit être sérieusement nuancée. Ils sont effectivement en charge de la sécurité et de l’effectivité de la justice, mais, hommes île terrain au contact direct des intéressés, ils s’efforcent également d’utiliser les différents aspects de l’efficacité en jouant sur toutes les facettes de la contrainte : incitation, dissuasion, temporisation voire conciliation, l’exécution « forcée » par voie de saisies, d’expropriations et de ventes aux enchères n’étant pas systématiquement recherchée.
On se contentera de mentionner ici d’autres professionnels de justice aux fonctions beaucoup plus circonscrites.
• Les avoués près des cours d’appel, par exemple, sont les mandataires obligatoires des parties à un procès civil porté devant une cour d’appel ; les avocats aux Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (« avocats aux conseils » dans le langage des praticiens) sont des intermédiaires nécessaires pour les parties qui souhaitent saisir ces hautes juridictions.
• Les experts apparaissent comme des auxiliaires occasionnels de la justice : ils interviennent, à la demande de toute juridiction souhaitant avoir des explications techniques sur des éléments de fait dont dépend la solution d’un litige : origines et conséquences d’une malfaçon dans la construction d’un immeuble, état psychologique de l’auteur d’un délit ou d’un crime, examen balistique, examen génétique pour déterminer ou exclure une paternité, etc.