La pensée française
La pensée se détache difficilement, en France, au xixe siècle, des analyses des écrivains ou des théories des politologues. Des attitudes et des opinions expliquent, à cette époque, nombre d’approches de l’idée de droit, de quelque courant qu’il s’agisse : conservateur, voire nationaliste chrétien , socialiste, dans un sens plutôt large de ce mot. Cette dernière tendance est notamment marquée en France par Saint-Simon (1760-1825) , dont la pensée tend à reconstruire la société en faisant du gouvernement l’émanation de la classe industrielle, en mettant fin à l’exploitation de l’homme par l’homme et en fondant une morale nouvelle destinée à remplacer la religion chrétienne . Hostile au droit et plus généralement aux autorités, que ce soit celle de l’Eglise ou celle de I’Etat, P.-J. Proudhon (1809-1865) préconise un ordre nouveau fondé sur l’autogestion et la fédération; son combat contre la propriété privée cesse lorsqu’elle devient familiale.
Durant la même époque, non sans relations avec les idées précédemment évoquées, une nouvelle science naissait en France. Sans doute pouvait on trouver plus tôt (Montaigne, Montesquieu) ou ailleurs des précédents. C’est pourtant à Auguste Comte (1789-1853) que l’on doit essentiellement l’éveil de la sociologie , ou science des sociétés. En formulant la loi des trois états (théologique,métaphysique, scientifique ou positif) par lesquels passerait nécessairement la connaissance humaine dans chaque branche du savoir, Auguste Comte considérait que la société industrielle de l’Europe de son temps était le signe de l’aboutissement d’un progrès permettant de dégager, dans un système politique hiérarchique et élitiste, les lois sociologiques servant de fondement au droit. Plus précisément, Auguste Comte estimait notamment que la propriété privée n’est qu’une fonction sociale, que le mariage doit être indissoluble et que chacun doit être libre de disposer de ses biens à cause de mort.
La démarche sociologique fut ultérieurement approfondie par Durkheim (1858-1917), dont l’influence a notamment favorisé l’essor de la sociologie juridique, de manière plus ou moins directe . De sa réflexion méthodologique, tendant à traiter les faits sociaux comme des choses, devait résulter, face aux phénomènes juridiques, une attitude objective à laquelle les juristes n’avaient pas été habitués. A la tendance ainsi dégagée restèrent fidèles les durkheimiens . Et, même si d’autres courants sociologiques ont pu, en France ou à l’étranger , remettre en cause nombre de postulats de la conception durkheimienne, celle-ci a marqué le développement de la sociologie juridique appliquée. Du côté des juristes, le positivisme juridique c’est à dire la conception selon laquelle il n’y a de droit que le droit positif, tel qu’il existe à un moment et dans un territoire donnés rejoignit parfois le courant sociologique en revêtant la forme du positi¬visme sociologique (et non pas étatique), la règle de droit se dégageant assez directement de l’analyse des faits sociaux.
Les brèves remarques qui précèdent ne devraient pas cependant don¬ner à penser qu’en France, la philosophie du droit n’a été, pendant toute cette période, marquée que par des tendances socialistes, sociologiques ou sociologisantes. Il a existé aussi un courant fidèle au posi¬tivisme étatiste et portant à considérer que le droit ne peut exister en dehors de l’Etat, qu’il s’identifie avec lui, ce qui n’impliquait pas de la part des tenants de ces thèses spécialement Carré de Malberg (1861- 1935) l’absence d’influences morales ou religieuses. En outre, des courants idéalistes ont conduit à penser que la description et l’analyse des faits sociaux ne permettent pas de dégager de manière suffisante le fondement du droit, mais sans que l’idéal servant à orienter celui ci demeure extérieur. Ainsi se manifeste la persistance d’une tendance fidèle, à travers des formes variées, à l’idée de droit naturel. On a vu se développer aussi un courant idéaliste moins attaché à cette idée mais ne reniant pas pour cela la référence à des valeurs, parfois moins soucieux du rationnel, voire plus sensible au rôle de l’intuition . Ces diverses théories se définissent toutes plus ou moins, qu’elles le veuillent ou non, par rapport au jusnaturalisme.
Est-il besoin d’ajouter, au terme de cette évocation, qu’il est vain d’espérer ici être exhaustif, car, consciemment ou non, le juriste, le philosophe, le jurissociologue, l’écrivain expriment une philosophie du droit?
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