La preuve littérale : L’écrit sur support papier
Actes authentiques et actes sous seing privé: Définitions
Dans la conception traditionnelle qui coexiste bien entendu avec la conception consacrée en l’an 2000 les actes rédigés pour faire preuve se subdivisent en actes authentiques et actes sous seing privé. L’acte authentique ou public est celui qui est reçu par un officier public ayant le droit d’instrumenter tant en considération du lieu que de la nature de l’acte, et suivant les formalités requises (art. 1317). Ces officiers publics sont, d’abord, les notaires, officiers ministériels chargés, d’une façon générale, d’une part, de rédiger les actes auxquels les parties veulent ou doivent conférer le caractère de l’authenticité, et, d’autre part, d’en assurer la conservation en gardant par-devers eux les originaux (infra, n° 565). Puis il y a les officiers publics qui, pour certains actes seulement rentrant dans leur ministère, ont qualité pour dresser un acte authentique : tels sont les officiers de l’état civil, les huissiers de justice et, à l’étranger, les consuls.
L’acte privé ou sous seing privé est celui qui a été rédigé par des particuliers, soit par les parties elles-mêmes, soit par un mandataire, tel qu’un agent d’affaires. Cet acte, comme son nom l’indique, tire toute sa valeur de la signature des parties intéressées dont il est revêtu (infra, n° 532).
Entre ces deux catégories d’actes, les différences abondent. C’est ainsi que les actes authentiques sont très souvent dotés de la force exécutoire (rappr. infra, n° 637), permettant au bénéficiaire, du fait de la formule exécutoire dont la grosse, première copie de l’acte appelée copie exécutoire depuis le décret du 15 décembre 1999 (art. 6), est revêtue et par laquelle ordre est donné, au nom du Peuple français, aux agents de la force publique de procéder à l’exécution requise, de recourir à une exécution forcée, sans qu’une intervention judiciaire soit nécessaire. Les actes privés sont dépourvus d’une telle force : le créancier devra s’adresser à la justice s’il désire notamment faire procéder à une saisie. La sécurité et l’efficacité de l’acte authentique par rapport à l’acte sous seing privé conservent au premier, malgré son coût et les formalités requises, tout son intérêt.
Au regard de la théorie de la preuve, les actes authentiques et les actes sous seing privé diffèrent encore quant à leur rédaction et quant à leur force probante. C’est par rapport à eux que l’on peut apprécier la portée d’autres écrits.
L’acte authentique
Tantôt obligatoire, tantôt choisi par les intéressés, il présente des traits particuliers quant à la rédaction, quant à la signature et quant à sa force probante.
La rédaction
Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’un écrit soit authentique :L’écrit doit être dressé par un officier public (supra, n° 529).
L’officier public doit être compétent. On distingue la compétence d’attribution et la compétence territoriale. La compétence est d’abord d’attribution. La loi précise les fonctions de chaque catégorie d’officiers publics : il faut que l’acte à rédiger soit l’un de ceux que la loi lui donne mission de recevoir. Ainsi les notaires ont une compétence très étendue : la loi, d’une façon générale, reconnaît aux notaires le monopole de recevoir les actes et conventions qui intéressent les particuliers (Ord. 2 nov. 1945, art. 1er); ils confèrent l’authenticité non seulement aux actes pour lesquels la forme notariée est obligatoire, mais aussi, en fait, à nombre d’actes pour lesquels la forme privée est admise par la loi, par exemple les actes constitutifs de société. En pratique, beaucoup de contrats importants sont, par sécurité, reçus par eux. La compétence des autres officiers publics, en revanche, est limitée à des opérations déterminées : ainsi les officiers de l’état civil n’ont, en principe, compétence que pour dresser les actes de l’état civil. La loi fixe également la compétence territoriale des officiers publics. Ainsi un maire ne peut dresser des actes de l’état civil hors de sa commune. La compétence territoriale des notaires est nationale.
La rédaction des actes authentiques est assujettie à des formalités exigées en vue d’augmenter les garanties de régularité et de véracité qu’ils présentent. Ainsi l’acte doit être rédigé en français dans un seul contexte, sans blanc ni interligne. Les modifications, renvois, surcharges, interlignes, additions et ratures doivent être l’objet de paraphes, être comptés en fin de l’acte et sont minutieusement réglementés (sur la nécessaire signature du notaire et des parties, v. infra, n° 532).
Lorsque les formalités font défaut ou lorsque l’officier d’état civil est incompétent, l’acte nul en tant qu’acte de l’état civil est valable, selon l’article 1318 du Code civil, en tant qu’acte sous seing privé, s’il au critère de ce dernier, c’est-à-dire s’il a été signé par les parties.
La signature. Règles générales
L’acte authentique semble bien soumis aux règles générales relatives à la signature, telles qu’elles résultent de l’article 1316-4 du code civil (réd. L. 13 mars 2000) qui figure dans un paragraphe 1er intitulé « Dispositions générales » de la section I du chapitre VI du titre III du livre III du code civil. Si l’on peut à vrai dire hésiter c’est parce que la signature est, quant à l’acte authentique, exigée non ad probatione comme exigence de preuve mais comme condition de validité de l’acte authentique, ad validita- tem. Or il a été affirmé et décidé que la loi du 13 mars 2000 ne concernait que la preuve littérale exigée ad probationem (v. infra, n° 577).
L’incertitude subsiste cependant à ce sujet. Et surtout il y a lieu de considérer que l’acte authentique n’est pas rebelle à nombre d’adaptations possibles se situant dans la ligne de la réforme intervenue, à condition de prendre les précautions nécessaires pour que l’essence de l’authenticité soit sauvegardée.
Au demeurant le nouvel article 1316-4 du code civil dispose, dans son alinéa 1er, que « la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte ».
L’identification
Reste à savoir de quelle manière peut se réaliser la signature, plus précisément dans quels cas l’on peut considérer que l’identification de celui qui appose sa signature est réalisée. Au sujet des actes sous seing privé. la jurisprudence avait, dans des décisions relativement anciennes, en l’absence même de définition légale, considéré que la signature pouvait éventuellement prendre la forme d’initiales, mais ne pouvait être remplacée par une croix, ou par des empreintes digitales. Cependant la pratique de la « griffe commerciale » a diminué, dans certaines conditions l’exigence de la signature manuscrite et originale (art. 110 et 117, c. com., réd. L. 16 juin 1966). Et puis la signature, dans sa forme traditionnelle, a aussi été remise en cause à la suite du développement de ce qu’on appelle la monétique, ce mot désignant « les diverses techniques qui assurent l’informatisation des moyens de paiement et les détachent ainsi du support papier ».
Particularités de l’acte authentique
Elles se manifestent en deux sens opposés. D’une part la signature est encore plus essentielle à son sujet que lorsqu’il s’agit d’un acte sous seing privé. On a d’ailleurs évoqué les règles minutieuses de rédaction qui les concernent. Les actes sont signés par les parties, les témoins et le notaire. Il est fait mention, à la fin de l’acte, de la signature des parties, des témoins, du notaire et, s’il y a lieu, du clerc habilité. D’autre part, dans le sens de l’assouplissement, mais parce que justement l’acte est notarié, « quand les parties ne savent ou ne peuvent signer, leur déclaration à cet égard doit être mentionnée à la fin de l’acte » (décr. 26 nov. 1971, art. 11, al. 4), qui n’en est pas moins valable.
Chacune des pages d’un acte notarié doit être paraphée, dès l’instant que l’acte n’est pas entièrement écrit à la main, afin de prévenir les substitutions d’une page à une autre. « Toutefois, si les feuilles de l’acte et, le cas échéant, de ses annexes sont, lors de la signature par les parties, réunies par un procédé empêchant toute substitution ou addition, il n’y a pas lieu de les parapher… » (décr. 26 nov. 1971, art. 9, al. 5, réd. décr. 15 déc. 1999).
La force probante des actes authentiques
Les actes authentiques sont dotés d’une force probante particulière que l’on définit en disant qu’ils font foi jusqu’à inscription de faux. Cela signifie que celui qui en conteste l’exactitude ou la sincérité doit recourir, pour en faire écarter l’autorité, à une procédure exceptionnelle : il doit s’inscrire en faux au greffe du tribunal et engager ainsi une procédure compliquée, régie par les articles 303 et suivants du NCPC, qui expose le demandeur, en cas d’échec, à une amende civile, sans préjudice des dommages et intérêts auxquels il peut être condamné en faveur de son adversaire.
Il faut distinguer cette force probante exceptionnelle selon que son objet est l’origine de l’acte, ou les énonciations qu’il contient.
Quant à l’origine de l’acte
La première question qui se pose quant à la force probante d’un acte est celle de sa sincérité : l’acte, ou tout au moins la signature, émane-t-il de celui-là même de qui on prétend qu’il émane, de l’officier public s’il s’agit d’un acte authentique?
L’acte authentique fait foi par lui-même jusqu’à inscription de faux, en vertu de l’article 1319, alinéa 1er. Cela signifie qu’il est présumé authentique, vrai dans l’origine qu’il indique, par cela seul qu’il se présente avec les apparences extérieures de la régularité. En effet, la notoriété de la signature de l’officier public, l’aspect de l’acte dressé par lui, la gravité des peines qui frappent le faux, tout concourt à penser que l’acte émane bien de son signataire apparent. Il y va aussi de la sécurité juridique, que l’acte authentique a pour première mission de servir. Donc celui qui présente un acte authentique à l’appui de sa prétention a, jusqu’à la difficile preuve du contraire, administré sa preuve. Ce serait à celui qui alléguerait que l’acte est faux en totalité ou en partie à faire la preuve de ce faux, mais à charge de s’engager dans la procédure de l’inscription de faux (supra, n° 535).
Quant au contenu de l’acte
II peut y avoir aussi contestation sur la vérité des faits qu’il relate, sur son contenu substantiel, et non plus sur ses qualités formelles quant à l’origine. A cet égard, une distinction classique est faite entre deux catégories d’énonciations.
Tout ce qui, dans l’acte authentique, se trouve mentionné sous le contrôle de l’officier public, agissant dans le cadre de sa compétence, à propos des faits qu’il a dû et pu vérifier lui-même, fait foi jusqu’à inscription de faux. Tel est le cas notamment de la mention de la comparution de telle personne devant l’officier public, de la teneur des déclarations recueillies, de l’accomplissement de faits tel qu’un paiement réalisé à la vue de l’officier public, de la date de l’acte. Cette autorité caractérise les énonciations ainsi vérifiées aussi bien à l’égard des parties qu’à l’égard des tiers à l’acte.
Au contraire, les énonciations que l’officier public ne fait que relater, mais qui émanent des parties elles-mêmes, sans qu’une vérification ait eu lieu, ne font foi que jusqu’à preuve contraire. Il est normal que leur valeur probante soit alors semblable à celle qu’elles auraient dans un acte sous seing privé, car elles ne sont couvertes que par l’affirmation et la signature des parties, sans que l’officier public en constate personnellement l’exactitude. De telles mentions peuvent ainsi être arguées de simulation, la réalité d’une filiation mise en doute, les indications relatives à la contenance d’un bien contredites, l’exactitude d’un paiement effectué antérieurement et hors de la vue du notaire contestée, etc., sans qu’il soit besoin de recourir à l’inscription de faux, dès l’instant que ces faits n’ont pas été constatés par l’officier public. N’ont, semble-t-il, pas non plus, et d’une façon moins justifiée, de force probante particulière les énonciations que l’officier public fait pourtant lui-même, mais que la loi ne lui donnait pas mission d’émettre, telle la mention qu’un testateur est sain d’esprit.