La primauté du traité ou de l'accord international sur lu loi interne
L’absence de contrôle du Conseil constitutionnel
Celui-ci contrôle-t-il la conformité d’une loi aux traités ou accords internationaux liant la France? A travers le respect de la Constitution, qu’il lui incombe d’assurer, fait-il respecter ces engagements par le législateur ?
La question a été posée lors de la réforme opérée par la loi Veil, du 17 janvier 1975, sur l’interruption volontaire de la grossesse. A l’appui d’un recours devant le Conseil constitutionnel, il avait été notamment soutenu que le texte contesté était contraire à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en 1974 et dont l’article 2 dispose notamment que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ».
Or, pour rejeter ce recours, par sa décision du 15 janvier 1975 le Conseil constitutionnel a notamment considéré que, si les disposi¬tions de l’article 55 de la Constitution « confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévu à l’article 61 de celle-ci ».
Ainsi, le Conseil constitutionnel ne s’est pas reconnu le pouvoir de contrôler la conformité des lois aux traités. Il a considéré, « en effet, que les décisions prises en application de l’article 61 de la Constitution revêtent un caractère absolu et définitif, ainsi qu’il résulte de l’article 62 qui fait obstacle à la promulgation et à la mise en application de toute disposition déclarée inconstitutionnelle ; qu’au contraire, la supériorité des traités sur les lois, dont le principe est posé à l’article 5 5 précité, présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d’une part, à ce qu’elle est limitée au champ d’application du traité et, d’autre part, à ce qu’elle est subordonnée à une condition de réciproLa position adoptée par le Conseil constitutionnel se comprend aisément. Elle évite d’étendre de manière exagérée le domaine du bloc de constitutionnalité soumis au contrôle du Conseil constitutionnel en y incluant l’ensemble des traités ou accords internationaux ratifiés ou approuvés, quels qu’en soient le contenu et la portée.cité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des Etats signataires du traité et le moment où doit s’apprécier le respect de cette condition » .
La position adoptée par le Conseil constitutionnel se comprend aisément. Elle évite d’étendre de manière exagérée le domaine du bloc de constitutionnalité soumis au contrôle du Conseil constitutionnel en y incluant l’ensemble des traités ou accords internationaux ratifiés ou approuvés, quels qu’en soient le contenu et la portée.
Le contrôle par le juge
La primauté des traités ou des accords internationaux sur les lois n’est donc pas contrôlée par le Conseil constitutionnel. A plus forte raison, penserait-on, de prime abord, nier semblable pouvoir aux tribunaux de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif.
D’emblée, il faut observer que le problème n’a guère, dans le passé, suscité de difficulté sérieuse lorsqu’il s’agit de la conformité entre mi traité ou un accord international et une loi antérieure. On a considéré, par application de la maxime lex posterior priori derogat, que le traite postérieur l’emporte sur la loi antérieure soit parce qu’il a pour effet de l’abroger expressément ou implicitement, soit parce qu’il rend celle-ci inapplicable Toujours est-il que la primauté du traité sur l.i loi, alors inhérente à la précession des normes et aux maximes d’intcr prétation (infra, n°469), a été consacrée sans sérieuse difficulté.
On ne saurait raisonner de la même manière lorsqu’il s’agit d’unr loi postérieure à un traité ou à un accord international. Sans doute n’est-il pas exclu que le problème de leur coexistence puisse se présen ter en termes de coordination des normes considérées. Et il est alors très logique et très satisfaisant de s’en tenir à ce que l’on appelle encore la « doctrine Matter » et à interpréter la loi nouvelle comme une loi réservant l’application des traités antérieurs . On en déduit que, s’il est nécessaire de tenir compte d’un concours entre un traité et une loi, celle-ci s’applique lorsqu’elle n’est pas en opposition avec le traité.
Reste que le problème essentiel, d’une autre nature, se pose en cas de contrariété entre les dispositions du traité ou de l’accord et une loi postérieure. Et il s’agit de savoir si le juge est habilité à écarter l’application d’une loi si elle est contraire à un traité ou à un accord international antérieur. Le juge ne peut plus alors éluder la question en raisonnant exclusivement en termes de coordination des normes ; il lui faut raisonner, dans le cas qui lui est soumis, en termes de hiérarchie des normes, en appréciant la validité de l’une (la loi) par rapport à l’existence de l’autre (le traité ou l’accord international).
Reconnaître semblable pouvoir au juge, à l’occasion d’un procès déterminé, c’est lui permettre de se prononcer sur la validité d’une loi, ce dont ne se cachent pas les partisans de cette thèse . Et l’on a préci¬sément avancé, à l’appui de cette opinion, que l’article 55 de la Constitution « comporte nécessairement, par lui-même, une habilita¬tion donnée implicitement aux juges à l’effet de contrôler la confor¬mité des lois aux traités » .
Cette interprétation des plus divinatoires de l’article 55 de la constitutionnel, lequel sait faire preuve d’audace, ne s’est pas reconnu A lui-même; et il ne suffit pas, pour écarter l’argument, d’objecter que le Conseil constitutionnel se prononce de manière abstraite sur la constitutionnalité d’une loi, tandis qu’un tribunal ne se prononcerait Que par voie d’exception, au sujet d’un cas concret; sa décision, relayée ni sommet de chaque ordre de juridiction, est dotée d’un retentissement équivalent.
A vrai dire, là n’est pas nécessairement l’objection essentielle, trop Mimparative. Car il suffirait que le Conseil constitutionnel entende plus largement ses pouvoirs pour qu’elle disparaisse. Plus perturbateur le fait qu’en reconnaissant au juge le pouvoir d’écarter l’application d’une loi au motif qu’elle est contraire à un traité ou à un accord International, on soumet le législatif au contrôle du judiciaire, contrairement à notre tradition de séparation des autorités administrative et judiciaire, issue de la loi des 16-24 août 1790, d’où résulte l’interdiction pour les juges de faire obstacle à l’application des lois .
Rien d’étonnant si, à cette occasion, on s’est exprimé sans hésitation en affirmant que « la loi n’est certainement plus, aujourd’hui, la norme “sacrée” qu’elle était traditionnellement aux yeux des juges. La profonde remise en cause de sa suprématie sous la Ve République, dont la mise en place effective d’un contrôle de constitutionnalité n’est d’ailleurs évidemment pas le moindre facteur, ne peut en effet rester conséquence du point de vue des juridictions ordinaires chargées tic l’appliquer ». A quoi il est facile d’objecter que la remise en cause de la suprématie de la loi par la Constitution de la Ve République était destinée à accroître les pouvoirs de l’exécutif et non ceux du judiciaire. Quant aux extensions du pouvoir judiciaire, elles n’ont relevé les unes et les autres, dans la perspective considérée, que de l’auto justification.
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