Le contrôle juridictionnel de l'administration
Arbitraire, immunité, déni de justice autant de mots, autant de reproches, que ne pouvait suffire à priver d’effet l’existence du Conseil d’Etat ou des conseils de préfecture.
Certes, la Constitution du 22 frimaire an VIII ( a institué un Conseil d’Etat : comme l’expression l’indique, il s’agissait d’une institution appelée à conseiller les autorités gouvernementales, dans la prise des décisions qu’implique l’administration active, y compris au sujet des litiges dont les ministres pouvaient être saisis.
C’est là que l’on perçoit bien une confusion initiale des pouvoirs d’administration et de juridiction. Des conflits naissant nécessairement dans les rapports entre l’administration et les intéressés, l’on reconnut naturellement à l’administré la possibilité d’exercer un recours administratif au supérieur hiérarchique, ce qui, de degré en degré, permit de remonter au chef de l’Etat ou au Conseil des ministres. Ainsi est née la théorie du ministre-juge, ce qui, s’agissant des actes de l’Administration, aboutissait à la confusion des fonctions d’administrateur et de juge. Et le Conseil d’Etat ne fut initialement investi que du pouvoir de donner son avis au ministre sur la décision que celui-ci pouvait être appelé à prendre en cas de recours d’un admi¬nistré. Le Conseil d’Etat n’était que donneur d’avis. C’est le ministre qui jugeait.
Au niveau départemental, un système analogue avait été institué auprès des préfets : la loi du 28 pluviôse an VIII avait créé des conseils de préfecture. Si leur rôle était modeste, on les considéra pourtant, dès leur origine et malgré leur appellation, comme de véritables juridic¬tions, investies de ce que l’on a appelé la justice déléguée, entendons déléguée par le Souverain.
Des considérations d’ordre politique, juridique et même sociologique ont expliqué un processus de juridictionalisation : l’évolution a consisté à abandonner le système du ministrejuge, à reconnaître clairement l’existence des juridictions administratives, à consacrer et à consolider l’ordre de ces juridictions.
Le mouvement qui a abouti à ces résultats s’explique notamment par le fait qu’une administration qui se développe tend souvent, pour assurer des garanties aux administrés, à se « juridictionaliser ». Et il en va ainsi spécialement des organes collégiaux appelés à assister l’administration. Ainsi en a-t-il été du Conseil d’Etat qui s’est, en matière de conflits avec l’Administration, organisé en juridiction, tant et si bien que le ministre entérinait le plus souvent les conseils qui lui étaient donnés. Et la loi du 24 mai 1872 a consacré cette évolution . La suite de l’histoire a permis de poursuivre la construction de l’édifice judiciaire de l’ordre administratif.
Progressivement, ce que Dareste appelait au siècle dernier, la « justice administrative » devait susciter des préoccupations ou des critiques quant à sa nature, à son développement, voire à ses crises, qu’il s’agisse de son engorgement, de ses relations renouvelées avec l’administration, des querelles de compétence, souvent irritantes, inhérentes à la dualité des ordres juridictionnels , du rôle des parties au procès (au contentieux) et de leurs conseils .
Ultérieurement, le Conseil constitutionnel a, le 23 janvier 1987, décidé que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des “principes fondamentaux reconnus par les lois de la République” celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » .
On examinera les juridictions de l’ordre administratif en faisant état successivement du Conseil d’Etat et des juridictions administratives de droit commun.