Le droit antérieur à la révolution
Antiquité
Généralités
On ne peut présenter qu’un bref rappel du droit de l’Antiquité : d’abord parce que la place manquerait, ensuite parce que l’analyse en a été faite et renouvelée de remarquable manière.
On se bornera à observer que le lien entre le politique et le juridique a été constant à Athènes et à Rome, quel qu’ait été le régime politique en vigueur : tyrannie, démocratie, oligarchie. Mais l’importance atta¬chée au politique n’a pu évidemment se comprendre sans l’incidence de l’économique : de celle-ci, les historiens ont notamment retenu comment l’expansion romaine a brisé les organisations de type oligarchique et comment, sous l’Antiquité tardive, le dirigisme et la contrainte se sont accentués.
Outre cela, disons que le droit civil de l’Antiquité essentiellement de l’Antiquité romaine sera sans cesse évoqué, à propos des diverses matières .
Ancien droit. Pays de coutumes et pays de droit écrit
Distinction
C’est ainsi que l’on décrit traditionnellement le droit de l’Ancienne France. Description exacte surtout si l’on axe sa présentation sur l’évolution du droit civil. Mais il faut bien voir que le droit l’Ancienne France est aussi un droit de ses institutions publiques. l’ouvrage fondamental de François Olivier-Martin sert à cet égard de irremplaçable à la connaissance de l’évolution du droit français M)US l’Ancienne France, des origines à la Révolution, On y constate omment la monarchie française, sans nier la diversité existant en I rance, a su asseoir le pouvoir royal et faire la France.
Les règles de droit civil dans l’Ancien droit étaient avant tout coutumières. La coutume présentait alors, comme tout droit né des usages, une grande variété; on estime qu’il existait 60 coutumes générales, dont certaines avaient un ressort d’application très étendu, telles les coutumes de Normandie, de Bretagne, de Paris, d’Orléans, et plus de 700 coutumes locales.
En dépit de cette diversité, on pouvait à partir des xne et xmc siècles diviser l’Ancienne France en deux grandes zones. Au nord d’une ligne allant de Genève à l’embouchure de la Charente, il y avait les coutumes proprement dites; elles étaient très diverses, formées des traditions combinées de la Gaule et des conquérants francs ou germains. Les pays situés au sud de cette ligne étaient principalement soumis au droit romain . Pendant longtemps, le seul droit romain connu et appliqué fut celui antérieur à la séparation de la Gaule et de l’Empire, c’est-à-dire le corps de règles constituées par les jurisconsultes clas¬siques du iiie siècle et le Code théodosien de 438.
Lors de la Renaissance du droit romain, c’est-à-dire à partir de la fin du xie siècle, les recueils constituant la codification ordonnée au vie siè¬cle par l’empereur byzantin Justinien (le Digeste, le Code et les Insti- tutes) seront connus et étudiés par l’intermédiaire des Universités, par exemple en France, au xmc siècle, à Orléans, grâce à Jacques de Révi- gny. Aux xne et xme siècles, le droit de Justinien se répandra dans les pays du Sud par l’adhésion des intéressés et avec l’acceptation de l’autorité sociale .
On a pu dire que le Droit romain était la coutume fondamentale des pays de droit écrit; mais leur appellation était néanmoins justifiée en ce que l’essentiel du droit était constitué par des règles écrites d’origine romaine. Les pays de droit écrit possédaient d’ailleurs, en outre, quelques coutumes ayant le pas sur le droit romain, mais elles étaient peu nombreuses et le plus souvent purement locales, parfois d’impor¬tance : Toulouse, Bordeaux, …
Rédaction des coutumes
Toutes ces coutumes présentaient ce double inconvénient d’impliquer une fragmentation d’un droit variant non seulement de province à province, mais encore souvent de ville à ville, et de soumettre la vie juridique à une incertitude fâcheuse tenant à l’imprécision inhérente à la coutume : celle-ci, née de l’usage, avait des contours insuffisamment précis, bien qu’ils se fussent fixés peu à peu sous l’influence de l’interprétation donnée par les cours de justice, notamment par le Parlement de chaque province. On récla¬mait la rédaction des coutumes. Les Etats généraux obtinrent ainsi de Charles VII l’ordonnance de Montils-lès-Tours, de 1453, qui prescrivit la rédaction officielle des coutumes de tous les pays de France. L’œuvre ne fut guère réalisée qu’au xvie siècle à la suite de nouvelles interventions royales .
La rédaction des coutumes constitue un fait capital dans l’histoire des sources du droit. D’une part, le droit coutumier était matérielle¬ment transformé en droit écrit, en « lois » ; certes ce droit ne fut pas figé, et la coutume reprit son travail d’adaptation, mais on s’achemi¬nait inéluctablement vers la technique moderne de la formulation du droit par un acte des pouvoirs publics. D’autre part, la diversité des règles de droit applicables en France se trouvait officiellement confirmée.
Les autres sources du droit, facteurs d’unité
A côté du droit romain et du droit coutumier qui sont à la base de la diversité foncière caractéristique du droit de l’Ancienne France, il y avait d’autres sources de droit marquant, elles, une tendance vers son unification.
1° Le droit canonique ou droit de l’Eglise était constitué principale¬ment par les règles issues des décisions des Conciles et des papes. La religion catholique, qui était reconnue comme religion d’Etat, eut une
ci.inde influence sur les mœurs et par suite sur l’évolution des règles Miulumières; de plus, certaines matières, qui relèvent aujourd’hui du domaine du droit civil, étaient régies par le droit canonique : ainsi en il du mariage; il y eut même une période où le droit canonique rissait les contrats, lorsqu’ils étaient passés sous serment. Dans 11 Dites les matières relevant de la compétence du droit canonique, il y ,iv.lit sur tout le territoire unité du droit; cette unité existait d’ailleurs non seulement en France, mais dans tous les pays catholiques.
Les ordonnances royales que le Roi promulguait en vertu de son pouvoir souverain favorisaient aussi l’unité, en ce qu’elles s’étendaient ,i tout le royaume, à condition toutefois d’être enregistrées par les ParIrmcnts pour être applicables dans leur ressort . Certaines de ces ordonnances ont une grande importance pour l’histoire du droit civil, i .11 elles sont les premières tentatives d’unification de certaines parties ilu droit. Il en est ainsi des grandes ordonnances de Colbert ordonnance civile pour la réformation de la justice de 1667, ancêtre du code de procédure civile de 1807, ordonnances de 1673, sur le commerce ternaire, et de 1681, sur la marine, ancêtres de notre code de commerce
et des ordonnances de d’Aguesseau sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747).
3° Il faut signaler l’importance de la doctrine sous l’Ancien Régime. Avant la rédaction officielle des coutumes, c’est dans les oeuvres de certains écrivains que les juges et la pratique trouvaient le contenu des règles coutumières; après cette rédaction, les auteurs s’efforcèrent de remédier aux insuffisances des coutumes — elles étaient parfois incomplètes ou défectueuses en construisant des théories s’inspirant de la logique, de l’équité, du Droit romain. Frap¬pés par les inconvénients de la diversité des coutumes, les auteurs, à partir du xvic siècle, aspirèrent à plus de simplicité; en dégageant les principes généraux, ils préparèrent l’unité rationnelle du droit fran¬çais. Au xvie siècle, Dumoulin fut le défenseur de cette tendance unificatrice. Ses idées furent combattues par un autre grand jurisconsulte, d’Argentré, qui défendait le particularisme de la coutume de Bretagne. Les autres noms à retenir sont principalement ceux de Guy Coquille (xvie siècle), Loisel et surtout Domat au xvne siècle , et, au xvme siècle, Bourjon et Pothier ; ce dernier fut le guide habituel des auteurs du code civil.
4° A tous ces facteurs d’unité, il faut ajouter l’action de la jurisprudence, spécialement celle du Parlement de Paris. Les Parlements étaient souverains dans leur ressort sauf leur subordination au Roi et à son Conseil et animés d’un esprit particulariste. Mais en appliquant et en interprétant plusieurs coutumes en vigueur dans leur ressort, ils exerçaient par leur jurisprudence une influence unificatrice. Ils le pouvaient d’autant mieux qu’ils avaient le pouvoir de rendre des arrêts de règlement : ceux-ci ne tranchaient pas un litige déterminé ; c’étaient des arrêts de principe par lesquels il était décidé que désormais telle question serait tranchée dans tel sens. En procédant ainsi, le Parlement légiférait véritablement, non pas sans doute pour tout le pays, mais pour toutes les régions comprises dans son ressort. Le Parlement statuait d’ailleurs seulement par provision, le Roi pouvant toujours promulguer une règle différente.
Caractères
Trois principes se trouvent à la base de l’Ancien droit français, non seulement en droit civil, mais aussi dans toute l’organi¬sation politique et sociale de l’Ancien régime.
1° Celui-ci était largement soumis aux conceptions religieuses et morales du christianisme. Il admettait que le droit positif devait repo¬ser sur les lois divines révélées et sur les lois naturelles que l’homme peut connaître par le secours de sa propre raison, toutes ces lois tendant, par la justice et la charité, à assurer le bien commun. L’Eglise catholique, qui seule légiférait en matière de mariage, tout en repous¬sant le divorce et en admettant la puissance maritale et paternelle ainsi que la suprématie de la famille légitime, s’efforça de faire prévaloir quelques règles plus humaines : ainsi la possibilité du mariage des majeurs sans le consentement des parents, le droit pour les enfants naturels à des aliments, la légitimation des enfants naturels par mariage subséquent.
2° Le système social était fortement hiérarchisé : le pouvoir, venant de Dieu, était exercé au nom de Dieu, par le Roi. Celui-ci, aidé dans sa tâche par des classes privilégiées la noblesse, le clergé avait pour charge de faire régner le bien commun.
l e principe de hiérarchie se manifestait non seulement sur le terrain •olitique, mais sur le terrain familial et patrimonial.
a) La hiérarchie sociale entraînait une organisation forte de la l.imille légitime fondée sur le mariage. Des règles strictes étaient éta¬blies pour la défendre contre les bâtards ou enfants naturels, en même temps qu’on essayait de lutter contre les mésalliances.
Au sein de cette famille, était consacrée l’autorité du chef de famille i il ulaire de la puissance paternelle sur ses enfants, même parfois après leur majorité. En outre, la femme mariée était incapable et placée sous l’autorité maritale. Un autre trait caractéristique était constitué par la prépondérance du mari : il est « seigneur et maître » du patrimoine i ommun, il peut le gérer et en disposer à son gré; en même temps, il .idministre les biens propres de sa femme et en perçoit les revenus pour le compte de la communauté.
En outre, l’Ancien droit, désireux de maintenir la perpétuité et la prééminence des familles aristocratiques, règle de façon différente la dévolution successorale des biens nobles, des fiefs, pour lesquels il reconnaît les privilèges d’aînesse et de masculinité, et celle des biens non nobles, pour lesquels il affirme en général le principe de la division égale entre les héritiers.
b) Le propriétaire réel n’est pas entièrement maître de son bien, il n’en a que le domaine utile; le domaine éminent demeure au seigneur et au Roi et se traduit par la survivance d’un grand nombre de servi¬tudes et de droits réels.
Pour des raisons d’ordre social et économique, la fortune immobilière prédomine sur la fortune mobilière : d’une part, la hiérarchie des per¬sonnes est liée, dans une grande mesure, à la hiérarchie des terres, d’autre part, la terre est, à l’époque, la chose productrice de richesse par excellence et l’agriculture la forme de travail essentielle. Aussi, on institue pour l’immeuble un régime particulier, se manifestant notam¬ment par des règles protectrices de la fortune immobilière des mineurs, par certaines règles du droit matrimonial ou successoral des¬tinées à éviter que l’immeuble sorte de la famille à laquelle il appartient. Le droit ne s’occupe pas de la protection des meubles : res mobilis res vilis. Toutefois, les biens incorporels et les créances ayant le plus de valeur (offices, charges, rentes) sont assimilés aux immeubles.
3° Le principe de continuité’ — ou de conservation — par opposition au principe de liberté (du moins au sens moderne, individualiste, du mot) a caractérisé l’Ancien droit.
Forte a été alors la préoccupation de la conservation des biens dans les familles, aussi bien paysannes et bourgeoises que nobles. Il y en avait une manifestation dans l’organisation du régime de communauté conjugale. D’autres institutions reflètent la même idée. Ainsi le système successoral règle la dévolution des biens selon leur origine : s’agissant des propres, biens acquis par le défunt à titre gratuit de sa famille, on attribue à ses parents paternels les biens provenant de la ligne paternelle et aux parents maternels les biens provenant de leur ligne paterna paternis, materna maternis ; la succession des acquêts, c’est-à-dire des biens acquis à titre onéreux par le défunt est régie par d’autres règles que celles concernant les propres. Ainsi encore, les cou-tumes excluent, en général, le conjoint survivant de la liste des héri-tiers, comme ne faisant pas partie de la famille, sauf à reconnaître à la veuve un douaire en usufruit.
On signalera encore l’importance prise, sous l’Ancien droit, par les propriétés appartenant à des groupements spécialement à des com-munautés religieuses — et appelées, de ce fait, à ne pas changer de main au fil des générations.
Droit des obligations et des contrats
Au point de vue technique, l’Ancien droit avait subi profondément l’influence du Droit romain. Mais, sous l’action des canonistes, il s’orienta à partir du xvie siècle vers la liberté des conventions, que Rome n’avait jamais complètement connue. Le principe comportait cependant de grandes restrictions. Certaines étaient dues à la division en classes politiques et sociales, les nobles ne pouvant passer des contrats commerciaux, les religieux, en raison du vœu de pauvreté, étant frappés par de nombreuses incapacités de contracter. D’autre part, les coutumes, suivant en cela le Droit canon, prohibaient certaines conventions jugées immorales, par exemple le prêt à intérêt. D’une manière générale, l’autonomie de la volonté ne produisait effet que dans le cadre d’une économie assez étroitement dirigée par l’Etat. Le Roi, souverain absolu, chargé de faire régner la justice et la prospérité, se préoccupait de diriger l’activité économique de ses sujets; il frappait la monnaie et fixait son cours, organisait les professions, réglementait le commerce et
l’industrie, arrêtait les prix. En outre, du fait d’une organisation pro- li v.ionnelle, corporative, assez généralisée au moins dans les villes, les oiporations contrôlaient, elles aussi, les opérations juridiques de leurs membres, une réglementation stricte s’appliquant aux contrats p.r.sés par ceux-ci entre eux ou avec la clientèle. Au xvme siècle, économistes et philosophes protestaient contre ces entraves à la liberté et en lamaient l’abolition : l’Etat, disait-on, doit « laisser faire » les indi¬vidus et ne pas intervenir dans la production et la répartition des ilchesses; l’équilibre s’établira de lui-même.
la crise de l’Ancien régime
La crise de l’Ancien régime dans les derniers temps de l’Ancienne France retient plus que par le passé l’attention des historiens, spécialement des historiens du droit, et on ne saurait trop s’en féliciter.
Les causes de la Révolution française n’ont pas à être rappelées ici : évolution économique, évolution politique paupérisation de la noblesse, enrichissement de la bourgeoisie, développement du prolétaîiat, mouvement des Lumières, combat contre les inégalités : des biens, des classes sociales, des professionnels … A quoi s’ajoutèrent, dans les dernières décennies, les difficultés de la monarchie et ses conflits, même avec les parlementaires qui n’avaient rien à gagner à la tourmente et n’y gagnèrent rien. Les Français firent donc la Révolution pour obtenir des réformes sociales, judiciaires, fiscales et économiques.
Vidéo : Le droit antérieur à la révolution
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le droit antérieur à la révolution
https://www.youtube.com/embed/ T0jxZnizMfg