Le fondement du droit : le Christianisme
Le premier courant qui, à la suite de la Révélation chrétienne , a marqué la philosophie du droit est celui de l’augustinisme. L’œuvre de saint Augustin ne se rapporte pas directement au droit, mais, à maintes reprises, elle est de nature à éclairer, soit en raison de l’influence de Platon, soit surtout du fait ne la référence essentielle aux textes bibliques. Les lois profanes sont injustes, mais elles doivent être obéies; c’est le signe d’un positivisme.
En réalité, le véritable idéal est ailleurs; il repose sur le primat de la justice chrétienne. La loi naturelle est insuffisante, parce que la nature de l’homme est pécheresse; il faut donc retenir, de manière primordiale, la loi du Christ et la loi mosaïque, sans négliger l’exégèse. On sait recourir, s’il le faut, au bras séculier. Mais, en définitive, la justice n’est autre que la rectitude morale absolue; et le droit est absorbé par litre chose. Jusqu’au xne siècle, l’augustinisme l’a emporté, la source authentique du droit étant l’Ecriture sainte; et cette empreinte s’est manifestée sur le droit monastique (la règle bénédictine, par ex.) ou sur le droit canon (le décret de Gratien, les décrétales, par ex.). Puis, à partir du xiie siècle, cette suprématie disparaît, à la suite de la révolution scolastique, manifestée par la renaissance du droit romain et de la philosophie, ainsi que par la diffusion de la pensée d’Aristote.
Le droit chrétien, d’origine purement sacrale, ayant cessé de répondre à tous les besoins de la société, saint Thomas d’Aquin (1225- 1274) reconstitue, sous l’influence d’Aristote, la doctrine du droit naturel, mais il l’enrichit et la refond à la lumière de la loi chrétienne. Entre la loi éternelle et la loi positive, il situe le droit naturel, en évitant toute systématisation. Si la morale et le droit sont, à nouveau, distingués, il en va de même de la loi naturelle et du droit natu¬rel, lequel est changeant, sans cesse modifié afin d’offrir les directives que doit préciser, voire compléter, la loi positive. Celle-ci est néces¬saire, à tel point que, sans admettre un positivisme juridique, comme Platon et même Aristote, saint Thomas estime qu’elle est douée d’une force créatrice. Au sujet tant du droit naturel que de la loi positive, il est normal de reconnaître un rôle à l’intelligence, à la raison, aux « causes secondes ». C’est l’amorce d’une laïcisation.
Mais l’histoire de la philosophie du droit est faite d’alternances. Aux xiiie et xive siècles, un autre courant s’affirme. Les caractères essentiels de la philosophie du droit vont être profondément marqués par l’affirmation du nominalisme, due au franciscanisme, plus précisément à Duns Scot et à Guillaume d’Occam. De là dériveront, par opposition au «droit naturel classique» (celui d’Aristote et de saint Thomas), l’individualisme et ses suites, l’articulation de la pensée à partir de la notion de droit subjectif et même le positivisme juridique de l’époque contemporaine. Que tout cela soit né d’une certaine revanche de l’augustinisme, de la restauration du primat des sources religieuses, d’un désaveu de la doctrine thomiste de l’ordre naturel, de la préférence reconnue à la volonté, par rapport à l’intelligence, de la prise de position nominaliste dans la querelle des universaux, de la démarche entreprise pour concilier la pauvreté, telle que la concevait saint François d’Assise, et la richesse des franciscains, c’est une observation probablement difficilement contestable. Quoi qu’il en soit, il y a, avec le franciscanisme, une césure capitale; même si l’on parle encore de droit naturel. La nature dont il est question n’est plus celle d’Aristote, c’est-à-dire la nature cosmique ou interindividuelle, au sein de la cité; c’est désormais une nature individuelle, atomisée. Et, dans la notion de droit subjectif, on trouve liés, désormais, la chose et le pouvoir sur la chose, reconnu à l’individu.
Les autres courants religieux du xvie siècle, sans être en la matière profondément créateurs, favorisent encore un retour aux sources bibliques. Bien qu’il y ait beaucoup de demeures dans la maison protestante, certaines tendances dominent en elle. De la pensée de Luther (1483-1546), se dégagent une dépréciation du droit, le rejet de l’ancien droit naturel (au sens de saint Thomas), la substitution, à cette ancienne philosophie, d’une « forme particulièrement dure de positivisme juridique », une coupure radicale entre le droit et la justice et une influence décisive de l’irrationalisme.
La pensée de Calvin (1509-1564) est, ici, distincte de celle de Luther . Elle exprime une doctrine plus complète, plus homogène, mieux explicitée, une séparation encore plus radicale entre le droit et la morale et, surtout, un certain recul de l’irrationalisme, de sorte qu’il est possible de concevoir désormais une politique législative, d’où la raison n’est pas absente et dans laquelle la tendance principale peut consister à aligner le droit sur le fait et à prendre en considération, dans une certaine mesure, les préoccupations d’ordre économique.
Il s’en faudrait de beaucoup que, pendant cette période, l’influence des penseurs catholiques ait été faible. Elle s’est, au contraire, affirmée par la « réforme catholique » et par la scolastique catholique du xvie siècle, marquée principalement par deux Espagnols : le dominicain François de Vitoria (1480-1546) 1 et le jésuite François Suarez (1548- 1617)2. Ceux-ci inscrivent leur réaction contre le protestantisme sous le signe d’un certain retour à saint Thomas. Mais, s’ils ont puissamment contribué à l’évolution du droit, notamment à la naissance du droit international, ils n’ont pas été vraiment fidèles à sa pensée. Ils ont déformé le thomisme, en subissant l’influence du nominalisme et en substituant à l’analyse antérieure du droit naturel une conception principalement rationaliste.
Le xvie siècle est celui de la Renaissance. Quelle fut l’influence de l’humanisme sur le droit? L’époque est marquée moins par le retour à Aristote, bien antérieur, que par le regain des philosophies hellénistiques, via Rome. Certes, l’influence de Platon s’affirme aussi : mais, loin de contrarier le mouvement, elle expliquera ensuite l’attrait des utopies. Cela dit, une place essentielle est faite désormais au stoïcisme. C’est lui qui manifeste un reniement plus ou moins inavoué du droit naturel thomiste et ce n’est pas le moindre paradoxe , en favorisant le rationalisme, conduit tôt ou tard à l’essor du positivisme contemporain. Chaque jour s’affirme davantage, par cette voie, la référence à la nature de l’homme. Au reste, la renaissance des scepticismes ou de l’épicurisme prépare aussi le terrain du positivisme juridique, tandis que, dans le même temps, la montée du rationalisme et de l’esprit de système, l’analyse axiomatique du droit romain, le divorce du droit et du fait et l’idée de la codification orientent la « jurisprudence humaniste ».
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