Le fondement du droit : Les tendances absolutistes
Les tendances absolutistes
L’importance du rôle de l’Eglise romaine dans la société européenne n’a pas seulement suscité, dans le Christianisme, la réaction protestante et de nouvelles doctrines du droit; elle a aussi entraîné une résistance en faveur des pouvoirs temporels, illustrée en France par le gallicanisme 3. Une évolution lente mais profonde vers la laïcisation devait se manifester, empruntant spécialement le chemin des tendances absolutistes.
On peut, dans la voie absolutiste, distinguer deux tendances, selon que le pouvoir temporel se détache plus ou moins de la justice naturelle.
Si Jean Bodin, dans les Six livres de la République (1576), fait l’apologie de la souveraineté monarchique absolue, en situant le prince au- dessus des lois, il considère cependant que celui ci ne doit pas s’écarter de la justice naturelle : « quant aux lois divines et naturelles, tous les princes de la Terre y sont sujets et il n’est pas en leur puissance d’y contrevenir, s’ils ne veulent être coupables de lèse-majesté divine ». De manière plus absolutiste, Bossuet, tout en affirmant que la loi divine prévaut sur la volonté du prince, estime que la meilleure forme de gouvernement est la monarchie existant en France, raisonnable et paternelle, mais absolue.
La théorie de l’absolutisme inspire un autre courant, qui aboutit à évacuer la loi naturelle. Machiavel (1469-1527) estime que, lorsque l’intérêt de l’Etat est en cause, il ne faut pas que le prince hésite sur les moyens, car la réussite les justifie a posteriori : point de droit naturel ni de morale auxquels il faudrait soumettre l’Etat et le droit positif.
Hobbes (1588-1679), dont l’œuvre la plus célèbre est Léviathan (1651) , soutient que, dans l’état de nature, où l’homme est un loup pour l’homme, domine un principe de conservation plaçant les hommes désireux de faire prévaloir leurs droits subjectifs en état de guerre perpétuelle. Il faut donc que, par l’effet d’un contrat social destiné à assurer l’ordre, ils confèrent le pouvoir à un souverain, c’est à dire, dans la pensée de Hobbes, à un monarque absolu . Ce souverain est législateur; c’est lui qui crée un droit positif qui ne peut être que juste, serait il contraire à la raison divine; c’est lui qui instaure l’ordre juridique destiné à sauvegarder l’intérêt général; à partir de là, peuvent être reconnues et protégées les prérogatives des individus.
L’École du droit naturel
Au xviie siècle, l’idée de droit naturel a inspiré un courant de pensée d’une importance décisive, marqué par l’ influence de l’Ecole du droit naturel .Elle servit de base à ce qu’on a appelé alors le Droit des gens, ou encore le droit des rapports entre Etats, qui correspond à ce que nous appelons le droit international public. En ; absence d’une autorité supérieure aux Etats et leur donnant des lois pour régir leurs rapports, il n’y avait, semble t il, d’autre ressource, lorsqu’on soutint que ces rapports devaient être réglés autrement que par ïa force, que de recourir à la raison naturelle. C’est ce que fit le hollandais Hughes de Groot, dit Grotius (1583-1645), dans une œuvre célèbre : Du droit de la guerre et de la paix (1625). Désormais, le droit naturel est laïcisé, car il émane non pas de Dieu, mais de la nature sociale de yhomme : c’est d’elle que la raison humaine, observant les pratiques, dégage les principes d’un droit naturel universel et immuable, parce qu’il est à l’image de l’homme. Ce droit naturel est distinct du droit volontaire créé par la volonté humaine. Quant au droit divin, Grotius admet que le droit naturel puisse lui être relié : « Le droit naturel lui même peut être attribué à Dieu, puisque la divinité a voulu que de tels principes exis¬tassent en nous »; la distinction de la loi de Dieu et du droit naturel atteste cependant un passage historiquement capital « de l’ordre de la Providence à celui de l’humanité ». Grotius reprend l’antique idée de contrat social et, avant Hobbes, Locke et Rousseau, lui confère une importance capitale en soutenant: 1) qu’au nombre des principes du droit naturel figure la maxime pacta sunt servanda, imposant le respect de la parole donnée ; 2) que, dans l’ordre interne, ce principe est à la base des rapports entre gouvernants et gouvernés et fonde le devoir d’obéissance pesant sur ces derniers; 3) que, dans l’ordre international, il impose le respect des engagements.
La conception d’un contrat implicite librement consenti par lequel l’homme a abandonné une partie de ses droits pour acquérir des droits sur les autres axe désormais nettement la notion du droit naturel dans une voie individualiste. Cette conception est reprise par Locke (1632- 1704), spécialement dans son Essai sur le Gouvernement civil (1690) : empirique, Locke ne voit pas dans le contrat social l’expression d’unr vérité historique; mais, dans la ligne de l’Ecole du droit naturel, il considère qu’à l’état de nature, les hommes sont libres et égaux cl peuvent, éclairés par la raison, connaître et respecter les préceptes du droit naturel. Si l’organisation politique est nécessaire afin d’empêcher spécialement les actes de justice privée et le désordre, et de permettre que le pouvoir soit constitué et aménagé par le contrat social, ce ne peut être que dans le sens d’une préservation des prérogatives naturelles de l’homme : liberté, égalité, propriété. Et le pouvoir politique sera divisé en pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire.