Le pouvoir constituant peut-il être dangereux ?
Le pouvoir constituant est le pouvoir qui adopte ou modifie une Constitution. On distingue pouvoir constituant originaire qui crée et adopte une nouvelle constitution et le pouvoir constituant dérivé qui modifie la Constitution existante et dont la légitimité est tirée du pouvoir constituant originaire. Par nature le pouvoir constituant appartient au souverain. La souveraineté est assurément une qualité ou un pouvoir exceptionnel parce que le souverain est libre de se fixer des limites ou non. L’article 28 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 dispose « un peuple a toujours le droit de revoir, réformer, changer sa constitution, une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Dès lors, la question de la dangerosité du pouvoir constituant peut paraître étrange. Elle revient à se demander si peuple est un danger pour les citoyens ?
Les dangers du pouvoir constituant dérivé
Le pouvoir de révision de la Constitution apparaît comme nécessaire pour la stabilité et l’évolution de tout régime. Le pouvoir constituant dérivé est un pouvoir constituant prévu par la Constitution elle-même, qui lui confère une compétence de révision constitutionnelle. On établit ainsi une distinction entre le caractère « souple » ou la nature « rigide » d’une Constitution, en fonction de la facilité avec laquelle elle peut être révisée. Le pouvoir constituant dérivé est généralement exercé par une assemblée représentative et moins sauvent par le pouvoir constituant populaire (référendum). Dans une assemblée représentative, les projets de loi qui vise à modifier la Constitution sont préparés dans un processus de discussion. Il y a toujours la possibilité de compromis entre les diverses opinions. Dans un tel processus, les minorités, elles aussi ont le droit de parole et de critique. Les minorités peuvent influencer les décisions de la majorité, par leurs critiques. Toute fois des violations, des libertés et des valeurs fondamentales et de la constitution sont possibles, surtout lorsque la Constitution est souple, et qu’une modification de la constitution peut être votée aussi facilement qu’une loi ordinaire. Il est possible qu’une majorité impose son avis et sa volonté aux minorités. Le pouvoir constituant représentatif peut être dangereux pour les droits fondamentaux des citoyens, car il est lié aux majorités du moment. Le procédé du référendum, lui aussi comporte des dangers dans la mesure où un projet soumis au référendum doit être voté en bloc (oui ou non), on ne laisse pas au peuple d’autre choix que d’accepter ou de rejeter l’ensemble du texte, ce qui empêche la possibilité de compromis entre divers opinions. En plus le peuple ne comprend pas forcément tous les détails et les subtilités d’un texte de loi, sauvent le vote est lié à l’appréciation ou non de l’auteur du texte et non pas au texte lui-même, par exemple le non au référendum de 1969, c’était un non au générale De Gaulle. Par conséquence le référendum a tendance à se transformer facilement en plébiscite.
Les dangers du pouvoir constituant originaire
Quant au pouvoir constituant originaire, il n’intervient que lorsque l’Etat se trouve dans une situation de vide juridique, par exemple suite à une révolution, une guerre ou un coup d’Etat, alors le pouvoir constituant originaire adopte une nouvelle constitution. Plusieurs cas se présentent. Lorsque le régime est non démocratique, c’est le dictateur qui possède le pouvoir constituant et qui octroie une Constitution à son pays. Le peuple n’est pas consulté, c’est une démarche non-démocratique dangereuse pour le peuple, elle ne garantit ni droits ni libertés et elle donne tous les pouvoirs à une seule autorité, généralement l’exécutif. Par exemple la Constitution de 1958 concentre les pouvoirs dans les mains de Napoléon Bonaparte.
Lorsque le régime est démocratique, la rédaction est confiée à une assemblée, ou à un gouvernement puis soumis à l’approbation du peuple par référendum, autrement à une assemblée constituante qui adopte définitivement la constitution, sans passé par l’approbation du peuple. Tout comme pour le pouvoir constituant dérivé, dans le cas, d’une assemblée constituante la rédaction est publique, le texte est discuté, voté et les travaux préparatoires servent à l’interprétation et à la compréhension du texte constitutionnel. Le danger est que les membres de l’assemblée constituante dotent la future assemblée de pouvoirs importants afin de servir leurs propres intérêts ou d’imposer l’avis de la majorité sur des minorités.
Le contrôle et les limites du pouvoir constituant.
Pour anticiper ces risques on peut essayer de contrôler ou d’imposer des contraintes au pouvoir constituant. Ceci suppose de mettre en place des limites, or le pouvoir constituant originaire est un pouvoir illimité, puisque on se trouve dans une situation de vide juridique, c’est-à-dire qu’il n’existe plus de règle supérieure à la volonté du pouvoir constituant originaire. L’unique limite qui pourrait venir contrôler le pouvoir constituant originaire est l’existence d’une supra-constitutionnalité fondée sur des principes universels qui s’imposeraient au souverain (comme l’égalité ou la sauvegarde de la dignité de la personne humaine), ce concept ne relève pas de l’évidence car il est difficile d’avoir la même réflexion sur les droits fondamentaux dans tous les Etats. Par exemple des principes, comme la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ou l’égalité entre les sexes, ne sont pas définis de la même façon en Allemagne ou en Iran. Il est donc difficile d’affirmer qu’ils s’imposent au constituant. Certes, on peut considérer que le constituant ne devrait pas mentionner dans la constitution des principes contraires à la morale, à la nature ou à des prescriptions religieuses. Mais le constituant, qui est souverain, est seul compétent pour interpréter ces prescriptions et les respecter, donc il est difficile d’affirmer que le pouvoir constituant originaire est contrôlable. Concernant le pouvoir constituant dérivé des limité sont imposées au moins par les conditions de procédure dans lesquelles il s’exerce. La plupart des Constitutions prévoient des limites matérielles et temporaires à l’exercice du pouvoir constituant dérivé. Par exemple les limites temporelles contenues aux articles 89 de la Constitution française, et dans l’article 196 de la Constitution belge, également on trouve des limites de fond concernant la forme républicaine de la république dans l’article 89 de la Constitution française. En revanche plusieurs opinions trouvent que ces limites n’ont aucune force obligatoire, d’autant plus qu’il est possible de réviser une Constitution en deux fois. D’autre part le juge constitutionnel peut décider de contrôler les lois constitutionnelles résultant de révisions de la constitution. En France le juge constitutionnel ne pratique pas ce contrôle. Il est très respectueux du pouvoir constituant, expression de la souveraineté nationale. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, le contrôle est envisageable parce que l’État de droit est une notion élémentaire du droit constitutionnel.