Les distinctions du système
Présentation
C’est à partir de deux sortes de distinctions que s’ordonne notre système juridique: les divisions du droit , les ordres de juridictions.
Les divisions du droit
La complexité croissante des rapports sociaux n’a pas seulement entraîné un développement des règles et des solutions juridiques et, par voie de conséquence, des distinctions et des sous distinctions. Elle a aussi exprimé, d’une manière de mieux en mieux comprise par les juristes, le fait que le système juridique est complexe et que cette complexité est due tout à la fois à l’existence de distinctions tenant en fait à une hiérarchie des normes traités internationaux distinctions, Constitution, lois organiques, lois ordinaires, décrets, arrêtés. etc. et à un pluralisme des ordres juridiques correspondant à une diversité des règles, cette division et cette subdivision des ensembles de règles présentent en outre un intérêt méthodologique et didactique. Ajoutons que l’on peut constater une tendance excessive à la diversification des disciplines entendues comme d’branches du droit spécifiques, voire « autonomes ». Mais cela peut correspondre avec l’exigence d’un renouvellement de certaines perspectives traditionnelles.
Deux distinctions combinées forment le cadre le plus général : celle du droit international et du droit national, celle du droit public et du il toit privé. 11 ne faut pourtant pas croire que ces deux grandes divi¬sons permettent à elles seules de comprendre la complexité de l’ordre juridique.
Droit international et droit interne
Distinction
Elle procède de la division du monde en Etats.
Le droit national ou interne est ainsi appelé parce que c’est le droit ni vigueur dans un Etat déterminé, ayant des sources, des organes et des sanctions propres à cet État, réglementant les rapports sociaux qui se produisent à l’intérieur de cet Etat, sans qu’un élément relevant d’un autre Etat intervienne dans ces relations.
Mais il y a aussi des relations sociales internationales soit entre les Etats, soit entre les individus : elles font l’objet du droit international.
Le droit international public
Dans une analyse classique, on considère que le droit international public réglemente les rapports des Etats entre eux. L’existence même de ce droit a fait et fait encore nécessairement problème : y a-t-il un véritable ordre juridique entre les Etats ? Peut-il y avoir un droit des Etats sans Etat?
A cette question difficile, il est possible de répondre par l’affirmative sans succomber à un esprit d’utopie que tant de conflits entre les Etats semblent démentir. Encore faut-il convenir que des phénomènes essentiels de notre temps tels que la mondialisation des échanges, les troubles constatés sur les marchés financiers ou encore le développement anarchique des télécommunications et le rôle grandissant des « autoroutes de la communication » et d’Internet appelleraient plus que jamais, à côté de bien d’autres causes, l’instauration d’un ordre juridique international.
Le droit international public comporte des sources supranationales : les conventions ou traités internationaux, la coutume internationale, les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées. Il n’est pas démuni d’institutions : Assemblée générale des Nations Unies, Conseil de sécurité, Cour internationale de justice de La Haye. Il est vrai qu’à ces composantes d’un ordre juridique, ne s’ajoute pas un système de sanctions suffisant contre les violations des règles du droit international. Mais, si l’on admet que le droit, quel qu’il soit, implique, pour sa réalisation, un consensus, même implicite, force est d’admettre que, dans les relations entre les Etats , ce consensus existe assez généralement . On rappellera d’ailleurs que l’existence de la sanction n’est pas le critère du droit, que des règles ne sont pas juridiques parce qu’elles sont sanctionnées, mais sanction¬nées parce qu’elles sont juridiques. C’est d’un consensus, fondé ou non sur la peur, que le droit tire son existence.
Le droit international privé
Le droit international privé régit ceux des rapports entre particuliers qui comportent un élément étranger : par exemple, lorsqu’ils s’établissent entre des personnes de nationalité différente (mariage d’une Française et d’un Italien) ou lorsque l’acte ou le fait générateur du rapport se situe dans un pays étranger(rapport entre l’auteur et la victime d’un accident d’automobile causé par un Français en Suisse). De tels rapports suscitent des questions de conflit de lois, c’est-à-dire de détermination du droit applicable à une situation juridique internationale intéressant des particuliers .
Le droit international privé concerne encore la condition des étrangers c’est-à-dire la question de savoir de quels droits les étrangers peuvent foncière, dans un pays qui n’est pas le leur (accès à la propriété foncière , accès à certaines professions, droit aux prestations de la ii utile sociale, etc.). L’enseignement du droit international privéil’ également sur la nationalité ’.
Le caractère international du droit international privé a été contesté, du lait que les sources et les sanctions de ces règles sont principalement des sources et des sanctions nationales. A quoi les tenants du caractère international ont objecté que la souveraineté nationale et le caractère national de chaque système de solution de conflits de lois n’évacuent pas le respect de la volonté des autres Etats. Reste que, agissant de la condition des étrangers et de la nationalité, le caractère national l’emporte, même si l’on s’emploie, dans les rapports entre I lais, à favoriser généralement la cohérence et, autant que possible, l’harmonie.
La conciliation de ces diverses considérations repose sans doute sur la distinction des sources et de l’objet du droit international privé : du tait que les sources du droit international privé sont très largement Internes, il s’agit de droit interne; parce que les règles et les solutions qui le composent portènt sur les relations internationales, il est international.
Droit public et droit privé
Distinction
D’après les conceptions classiques, le droit interne se divise en deux branches, le droit public et le droit privé. Déjà les Romains avaient considéré que les institutions juridiques ressortissent à deux grandes catégories nettement différenciées, suivant qu’elles sont orientées vers les intérêts publics ou vers les intérêts privés, les premières appartenant au droit public, les autres au droit privé. De toutes les ramifications du droit, c’est la plus ancienne et la plus importante; de façon très générale, elle correspond à ce qu’indiquait Montesquieu lorsqu’il définissait le droit public (appelé par lui « droit politique ») comme « les lois dans le rapport qu’ont ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés », et le droit privé (pour lui « droit civil »), comme « les lois dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux ».
L’existence de la distinction
Ce qui frappe dès l’abord, c’est l’existence aisément perceptible d’ensembles (et de sous-ensembles) de règles reposant sur une idée simple : on n’envisage pas de la même manière les règles concernant les relations entre les particuliers et l’Etat, l’Administration, les collectivités publiques, et les règles applicables aux relations privées des particuliers.
De là se dégagent quelques idées d’ensemble.
Le droit public et ses divisions
Le droit public comprend l’ensemble des règles qui, dans un Etat donné, ont pour objet l’organi¬sation même de cet Etat et des collectivités publiques et qui gou¬vernent leurs rapports avec les particuliers.
Le droit public se subdivise en plusieurs branches : le droit constitutionnel, qui détermine les règles relatives à la forme de l’Etat, à la constitution du gouvernement et des pouvoirs publics ; le droit administratif, qui réglemente l’organisation des collectivités publiques Etat lui-même, régions, départements, communes, etc. et des services publics, ainsi que leurs rapports avec les particuliers ; le droit , qui comprend les règles relatives aux finances publiques; le droit pénal, qui institue et aménage le droit de punir tel qu’il appar- ü. ni .1 la société et tel qu’il est exercé en son nom par ses organes qualifiés dans le cadre de la procédure pénale. A certains égards, le droit pénal a des liens avec le droit privé : il protège les individus dans leur vie, leur honneur, leur propriété … et, en ce sens, peut être considéré comme la sanction ultime du droit privé. Il n’en demeure pas moins, par son objet, une branche du droit public.
Le droit privé et ses divisions
Le droit privé est l’ensemble des règles qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux ou livre les collectivités privées, telles que les sociétés, les associations.
C’est le droit civil qui constitue l’essentiel de ces règles. L’expression nous vient des Romains chez qui elle désignait le droit des citoyens romains. Le droit privé s’identifiait ainsi avec le droit civil, qui régissait tous les rapports juridiques entre particuliers, sans distinction et sans restriction. Puis un travail «If désagrégation du droit privé s’est poursuivi au cours des siècles, en raison des besoins inhérents à certains rapports sociaux, nécessitant des règles spéciales.
le droit civil
A travers le rappel de l’évolution du droit français , avant puis après le code civil, on a essentiellement traité du droit civil, si bien qu’il n’est plus nécessaire d’y revenir présentement. Deux séries de remarques s’imposent cependant.
Le droit civil a pour objet la réglementation des rapports de droit privé, c’est-à-dire des droits que les particuliers peuvent exercer dans leurs rapports entre eux et des obligations réciproques pesant sur eux. Il détermine quelles sont les personnes qui peuvent être titulaires de ses droits ou sujets de ces obligations, quels sont les droits privés reconnus à ces personnes et les obligations corrélatives, comment ces personnes acquièrent, transmettent ou perdent leurs droits ou leurs obligations, comment sont sanctionnés ces rapports de droit privé (sur la nature de la procédure civile ou droit judiciaire privé — v. infra, n° 93).
L’histoire du droit, spécialement à notre époque, montre qu’à partir du droit civil des branches du droit se sont plus ou moins éloignées de lui, pour acquérir ce qu’il est convenu d’appeler leur autonomie. En tenant compte des branches du droit privé qui ont conquis celle-ci, on peut définir le droit civil comme étant le droit qui régit les rapports privés, mais seulement en tant qu’ils n’ont rien de spécifiquement commercial, industriel, social ou rural, et abstraction faite des règles relatives à la réalisation judiciaire du droit.
Malgré les retranchements qu’il a subis, le droit civil conserve son aptitude originelle à régir tous les rapports d’ordre privé; il est très souvent resté le droit privé commun, applicable à tous, sauf lorsque certains rapports sont régis par des dispositions particulières.
Le droit commercial
Un démembrement du droit privé s’est manifesté lorsque, sur l’initiative de Colbert, furent codifiées, en 1673, les règles relatives au commerce. Le droit maritime avait fait, en 1681, l’objet d’une ordonnance de Colbert. Cette branche du droit relève traditionnellement du droit commercial, ce qui n’a pas exclu des discussions relatives à son originalité.
A vrai dire, le mouvement était plus ancien. Ainsi a-t-on vu se développer le droit commercial, considéré selon les époques soit comme le droit applicable aux personnes qui ont la qualité de commerçant (conception subjective), soit comme le droit applicable aux opérations juridiques constituant des actes de commerce (conception objective) ; l’oscillation entre les deux conceptions et la combinaison de celles-ci ont laissé place à maintes querelles de frontières.
A notre époque de remise en cause des catégories traditionnelles, le droit commercial peut, en tant que tel, être menacé d’une double manière; on peut, tout d’abord, être incité à l’absorber dans un ensemble plus vaste, celui d’un droit des affaires comprenant aussi des matières de droit fiscal, de droit pénal, de droit comptable, de droit du travail, de droit administratif, financier, économique, qui ne sont leurs pas indifférentes à des considérations économiques et politiques, nationales et internationales. Dans cette perspective une interdiction plus profonde, à tout le moins plus inquiétante au sujet du loi classique, se manifeste en matière de droit financier. Elle se relie i un phénomène capital de mondialisation des affaires marchés financiers, Organisation mondiale du commerce (OMC) — ce qui est le nature à remettre en cause l’efficacité et même l’existence des .«1res et techniques juridiques traditionnels.
Il est vrai qu’un autre mouvement, en sens inverse de prime abord, est manifesté. Maintes modifications du droit civil sont dues à l’influence du droit commercial, considéré comme plus souple, moins lormaliste, plus dynamique , mais aussi — du moins pendant long¬temps — comme plus rigoureux. Ainsi en a-t-il été en matière de cession de créance, l’article 1690 soumettant cette cession à des compliquées et coûteuses, telles que la signification de la cession .ni débiteur par voie d’huissier, alors que le droit commercial a admis des modes de transmission plus simples. Ainsi en a-t-il été encore en matière de sociétés : la réforme des sociétés commerciales réalisée par la loi du 24 juillet 1966 a influencé fortement la réforme des sociétés il viles et du droit commun des sociétés réalisée par la loi du 4 janvier IV 78 ; les réformes successives du droit de la faillite et des entreprises en difficulté ont aussi déteint sur le droit civil, ainsi qu’en témoigne la loi du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, loin est le temps où l’on pouvait être tenté de dire du droit commercial qu’il était le droit des villes, et du droit civil qu’il était le droit des champs.Ajoutons que divers corps de règles du droit commercial ont acquis une cohérence propre, qui conduit à les étudier distinctement : droit maritime, droit des transports terrestres et aériens, droit des assu¬rances, droit de la propriété industrielle (brevets, marques de fabrique, dessins et modèles), droit bancaire, droit de la distribution etc.
Toute cette évolution explique les vicissitudes du code de commerce de 1807 .
Le droit du travail
L’émancipation du droit commercial s’affirme à mesure que l’on cesse de n’y voir qu’un simple amalgame de lois relatives au commerce. L’émancipation du droit du travail par rapport au droit civil s’est manifestée d’une manière à certains égards comparable : ce droit regroupe les règles relatives aux rapports indi¬viduels ou collectifs entre les chefs d’entreprise et leurs salariés. Né au siècle dernier, au fil des victoires remportées par les mouvements sociaux, le droit du travail a cessé de n’être que le droit d’un contrat civil, le contrat de travail. Il s’est rapproché d’un droit des relations de travail au sein des entreprises .
Le mouvement ainsi évoqué s’est caractérisé par une protection croissante des salariés. Ainsi, dans le passé, deux articles du code civil étaient seulement consacrés au « louage de services » et les chefs d’entreprise étaient libres de régler leurs rapports avec leurs salariés et les conditions de travail de ceux-ci. Les conquêtes des mouvements sociaux, ainsi que le développement du syndicalisme, ont favorisé l’extension, en cette matière du droit privé, des règles impératives destinées à assurer, notamment au sujet du licenciement des salariés, une protection grandissante de ceux-ci. Ce mouvement se poursuit non sans relation avec le développement actuel du droit constitutionnel (sur le juridisme, v. supra, n° 74). Et l’on s’interroge alors en termes de déréglementation ou de dérégulation .
Le débat sur la distinction
La distinction du droit public et du droit privé a été mise en cause. C’est un débat qu’aujourd’hui ftiolns que jamais, on ne saurait éluder. Il donne lieu à un fructueux approfndissement des analyses.
Différences entre le droit public et le droit privé
Traditionnellement, on relève les différences suivantes :
1 ) Quant au but. Le but du droit public est de donner satisfaction .Hix intérêts collectifs de la nation, en organisant le gouvernement de .elle ci et la gestion des services publics. Le but du droit privé est I .issurer au maximum la satisfaction des intérêts individuels.
2 ) Quant au caractère. Compte tenu de son but, le droit public sera i vntiellement impératif, c’est-à-dire que les particuliers ne pourront ili toger à ses prescriptions. Le droit privé laissera au contraire une l,irj;e part à la volonté individuelle et la plupart de ses règles ne seront |MS impératives, car, dit-on, le meilleur moyen de donner satisfaction aux intérêts particuliers est de laisser la liberté aux individus.
3) Quant à la sanction. Si les règles de droit privé sont méconnues, le particulier lésé s’adressera aux tribunaux et à la force sociale pour obtenir justice. La sanction du droit public est plus difficile à organi¬ser, car ici l’Etat est en cause et il ne sera pas enclin à se condamner lui-même.
Critiques de la distinction
On a reproché à la théorie clas¬sique :
1) D’être imprécise. La rigidité de cette division générale ne pourrait, a t-on dit, s’adapter à la complexité des faits sociaux, dans la mesure où il y a maintes questions qui relèvent à la fois du domaine du droit public et du domaine du droit privé. C’est ce qui a été soutenu, notam¬ment, au sujet du droit pénal ou du droit du travail.
2) D’être fausse. On retrouve ici un débat sous-jacent entre considérations d’inspiration libérale et considérations d’inspiration collec-tive ou socialiste.
Suivant celles-ci, il n’est pas vrai que le but du droit privé soit, à la différence de celui du droit public, la satisfaction des intérêts indivi-duels. Toute règle juridique doit être établie en vue des intérêts sociaux. Les droits privés, les plus individuels mêmes comme la pro-priété, ne doivent être reconnus que dans la mesure où leur établisse-ment est utile aux besoins généraux. Les prérogatives reconnues aux particuliers dans leurs rapports entre eux, comme celles attribuées aux agents de l’Etat, n’expriment que des fonctions sociales. 11 s’ensuit qu’en droit privé, comme en droit public, les règles juridiques peuvent être et seront souvent impératives. En revanche, les règles du droit public doivent être sanctionnées par des recours juridictionnels comme celles du droit privé, et le développement du droit français nous montre l’établissement de juridictions administratives et de modes de contrainte contre l’Administration dont le rôle n’a cessé d’augmenter, même si l’on peut être amené à considérer que les résultats sont encore loin d’être suffisants.
Persistance de la distinction
Malgré le rapprochement que l’évolution des doctrines et des solutions a opéré entre le droit public et le droit privé, la distinction persiste. L’Administration est, dans une large mesure, régie par des règles et jugée par des juridictions différentes des règles qui s’appliquent et des juridictions compétentes au sujet des rapports entre personnes privées (V. sur la dualité des ordres de juridictions, infra n° 122).
On peut signaler de nombreux exemples du particularisme des règles du droit administratif : ainsi la propriété des biens de l’Etat ou des col¬lectivités publiques fait l’objet d’un régime particulier et protecteur (inaliénabilité, imprescriptibilité), tout au moins en ce qui concerne la partie désignée sous le nom de domaine public par opposition au domaine privé (infra, n° 341); les conventions que l’Administration conclut comportent souvent des règles ou des prérogatives déroga¬toires au droit commun : droit pour l’Administration de modifier les conditions du contrat, sauf à indemniser le cocontractant, ou droit d’infliger elle-même des sanctions, par exemple la mise en régie, au contractant défaillant. La responsabilité des personnes morales administratives et des fonctionnaires fait l’objet de règles spéciales.
L’existence de ces règles de droit spécifiques est liée au particula-risme des juridictions administratives : initialement, le Conseil d’Etat n’était pas un véritable juge pour les litiges mettant en cause l’Administration; il se bornait à préparer les décisions du Chef de l’Etat et ne considérait pas comme lié par les règles du code civil. Et c’est ainsi que progressivement, le Conseil d’Etat a élaboré les règles applicables à l’administration et que s’est affirmée aussi l’existence d’un droit administratif d’économie dirigée ou planifiée.
La distinction du droit public et du droit privé a persisté, en dépit du fait que le secteur public s’est étendu à l’encontre du secteur prive’, en d’autres termes que le domaine du droit privé s’est restreint . De toute évidence, ’Etat ne limitant plus son rôle à celui de l’Etat-gendarme, unie l’entendaient les libéraux, et se voulant l’Etat-providence, sui- it le courant socialiste — inavoué ou affirmé —, il a placé sous la mouvance du droit public des zones conquises sur le secteur privé. Ml .1 développé de plus en plus ses activités d’ordre économique un contrôler la production et la répartition des richesses. Il a atteint ces objectifs de diverses manières : ainsi a-t-il créé des établissements publics industriels ou commerciaux; ainsi a-t-il nationalisé de nom entreprises à la Libération, ou en 1981 et 1982; mais un mouvement de balancier s’est produit ensuite dans le sens des privatisations .
I ni ore convient-il d’éviter une confusion entre extension du domaine du droit public et extension du domaine des règles impératives . Celle-ci s’est manifestée dans de nombreux secteurs sans qu’il faille en déduire une restriction du droit privé. Ce n’est pas parce l’en maintes matières — droit des contrats, droit du travail, droit du «Il -, les règles impératives se sont multipliées que, dans ces domaines, le droit public s’est substitué au droit privé. Il est fréquent i’i M droit privé intervienne la considération de l’intérêt général, spécialcmcnt pour décider qu’une règle est impérative, c’est-à-dire qu’elle Impose aux particuliers, qui ne peuvent y déroger. On rencontre des clrs impératives dans toutes les parties du droit privé, spécialement l’organisation de la famille. Ainsi un père et son fils ne pour supprimer, par contrat, les droits et obligations résultant de la li.it ion, tel que le devoir de secours. Dira-t-on pour autant que le i oit de la famille fait partie du droit public ?
Ainsi est-il nécessaire de bien distinguer les ordres (ou corps) de les et le caractère impératif ou non impératif des règles. Les eux perspectives ne coïncident aucunement. D’ailleurs, il n’est pas .ne que l’Etat, assumant lui-même la gestion d’entreprises, tende à adopter pour cette gestion des règles en partie empruntées au droit privé traditionnel; en effet, le droit élaboré par le Conseil d’Etat pour l’Administration du xixe siècle et du début du xxe siècle ne peut convenir aux nouveaux secteurs de l’activité administrative; seule la soumis¬sion au droit privé, et spécialement au droit commercial, est de nature à procurer la souplesse de gestion nécessaire pour leur insertion dans le milieu économique.
Collaboration entre les administrations et les particuliers
L’Etat a souvent admis une collaboration avec les particuliers et les capitaux privés. Cette collaboration est réalisée depuis longtemps au moyen de la concession de service public, un particulier collaborant ainsi avec l’Administration dans l’exécution du service public, ou encore grâce à la société d’économie mixte, dans laquelle l’Etat ou une personne morale de droit public possède une participa¬tion plus ou moins importante sous forme de titres ou de droits d’administration . A l’époque contemporaine, on a fini par admettre que ce n’est pas seulement par leurs agents et leurs institutions ou établissements propres que les collectivités publiques pourvoient à la satisfaction de l’intérêt général, mais qu’elles y font également partici¬per des personnes et des organismes privés. C’est ainsi que certaines entreprises (transports publics, exploitants d’outillages portuaires, etc.) ont été investies d’une mission de service public. L’accomplisse¬ment de celle-ci a conduit à leur accorder le bénéfice de certaines pré-rogatives de puissance publique, en même temps d’ailleurs qu’on les a assujetties à un contrôle administratif. Toujours dans la même pers¬pective, l’Etat a créé, en vue d’assurer une mission de service public, des organismes auxquels il a conféré le caractère et le statut de personnes privées. Ce fut le cas, après 1945, des caisses de sécurité sociale, gérées en principe d’après les règles de la mutualité, c’est-à- dire par les représentants des assurés eux-mêmes.
Les mouvements qui, depuis 1981, affectent en la matière notre système juridique — nationalisations, privatisations … — n’ont pas entraîné la suppression de la distinction du droit public et du droit privé . Un retour au fondamental porte à distinguer trois questions au sujet de l’unité du droit entendue largement : par son objet et l’activité qui s’y attache; en tant qu’ensemble normatif; en ce qu’il s’agit d’<< un appareil conceptuel opératoire». A vrai dire, le droit étant essentiellement double ou ambivalent (supra, nos 30 s.), la question de son unité peut difficilement appeler une réponse univoque.
Reste que la construction européenne remet aujourd’hui en cause, compte tenu du particularisme de notre droit, l’existence du « service public à la française ».
Les disciplines mixtes
Au sujet de certaines branches du droit, on est porté à parler de disciplines mixtes. On se bornera à signaler ici deux branches du droit.
1) La procédure civile (ou droit judiciaire prive’). Procéder en justice, c’est accomplir les formalités nécessaires (action) pour porter à une juridiction la connaissance d’une affaire (litige) et obtenir d’elle une décision (jugement). Rien d’étonnant si des procédures diversifiées correspondent à des branches différentes du droit substantiel : la procédure civile au droit civil, la procédure pénale au droit pénal, la procédure administrative au droit administratif. La procédure civile peut être définie comme un corps de règles gouvernant la justice civile et régissant la marche des procès qui permettent aux parties d’obtenir la reconnaissance et la sanction de leurs droits .
Il est vain de discuter si la procédure civile appartient au droit public ou au droit privé. Force est de lui reconnaître à cet égard un caractère mixte. Les dispositions qui concernent l’organisation et le fonctionne¬ment des tribunaux relèvent évidemment du droit public. Celles qui intéressent l’action en justice, intimement liée au droit du plaideur, se rattachent manifestement au droit privé. Point de jonction entre les intérêts privés en conflit et le service public de la justice, le procès civil postule un corps de règles hétérogènes.
2) l e droit international privé. Sa nature a déjà été envisagée par rapport à a la distinction du droit international et du droit national (supra, il KO). Si on l’envisage par rapport à la distinction du droit public et .lu droit privé, on est aussi porté à constater qu’il s’agit d’une discipline mixte : relevant du droit public, en ce qui concerne la nationalité rl la condition des étrangers 4, relevant du droit privé en ce que les conflits de lois portent sur le droit privé. A propos du droit inter national privé, certains, plutôt que de discipline mixte, font état de « branche autonome du droit ».
Les branches autonomes
Définition
On a déjà signalé une tendance exagérée à l’affirma¬tion de l’autonomie des branches du droit les plus diverses (supra, n° 85). Ce courant est peut-être un signe de croissance , comme cela se produit dans l’ordre de la nature. L’écueil se manifeste lorsque, d’un état de diversité, on passe à l’idée d’autonomie, car l’importance de celle-ci peut être variable, ce qui est de nature à introduire une dose inutile d’incertitude dans la détermination de la règle de droit.
Sur le fond, le recours à l’idée d’autonomie n’est d’ailleurs pas sans danger quand elle tend à permettre d’échapper à l’application de règles justement contraignantes.
Il ne suffit pas de constater qu’une matière est régie par des règles empruntées aux disciplines les plus diverses pour considérer que cette matière constitue une branche autonome du droit, cette autonomie permettant de fonder des solutions originales, dérogatoires.
On retiendra ici, à la suite de M. le doyen Vedel, les deux considéra¬tions suivantes, attestant l’existence de deux sources d’autonomie : « L’autonomie apparaît d’abord toutes les fois que l’application à une matière des principes généraux et des méthodes de raisonnement empruntés purement et simplement à une discipline existante conduit à des inexactitudes. Si le droit administratif est regardé comme auto¬nome par rapport au droit civil, c’est parce qu’en raisonnant sur le sort d’un contrat administratif à l’aide de l’article 1134 du code civil, sur un cas de responsabilité à l’aide des articles 1382 et suivants, on aboutit à un résultat erroné. L’autonomie apparaît aussi, quoique d’une façon plus subtile, quand la matière considérée, bien que ne mettant apparemment en œuvre que des principes et des méthodes empruntés à des branches existantes, en fait une sorte de combinaison chimique ayant un caractère de nouveauté … ainsi en est-il du droit du travail .
A partir de ces réflexions, on discerne bien comment ont pu émerger des branches autonomes du droit. Le mouvement correspond probablement à une loi d’évolution sociologique dans la société post- industrielle, liée à des manifestations diverses d’inflation et de technicisation du droit. Ainsi ont crû ou croissent, par l’effet de la constitution de nouveaux alliages et de courants transversaux, le droit économique, qui emprunte ses composantes au droit commercial, au droit du travail, au droit fiscal, au droit administratif… , ou le droit rural. L’émergence du droit européen, spécialement du droit communautaire, appellerait aussi maintes observations propres à renouveler la réflexion des juristes (v. infra, nos 182 s.).
Vidéo : Les distinctions du système
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