Les finalités du droit
II est malaisé de trouver dans le droit lui- même son propre fondement. Mais, si l’on cherche ailleurs les finalités par rapport auxquelles il se définit et se fonde, on s’aperçoit que, surtout à l’époque contemporaine, ces finalités, par couches successives, rendent plus complexes les fonctions du droit et, par voie de conséquence, plus difficiles à concilier des exigences et des textes multiples.
Aux finalités traditionnelles de la justice, de l’ordre et du progrès, l’héritage révolutionnaire ajoute les exigences célèbres de la liberté, de l’égalité, de la fraternité éléments de la devise républicaine et exigences du droit, ainsi que de la propriété. Quand s’affirme ultérieurement l’exigence de nouvelles garanties, positives et d’ordre économique (droit au travail, à la santé, à la sécurité, à la solidarité), de nouvelles fins du droit s’ajoutent aux précédentes. Et le mouvement s’est amplifié avec les aspirations à la protection des consommateurs et de l’environnement, la recherche d’une meilleure qualité de la vie sans oublier une influence de l’américanisme juridique.
Au-delà de ces avancées et même en un temps où sinon la colère du moins le besoin de la société de consommation favorise le culte du » droit à » il se produit une dépréciation inévitable du droit subjectif rl beaucoup de déconvenues (ex. : « le droit à l’électricité pour tous »
? – L. 10 fév. 2000, art. 1er, al. 3).
Une autre dérive a été constatée dans une mauvaise compréhension île la signification de l’égalité, d’autant plus contestable qu’elle a entraîné, au mépris de ce que pensait Aristote, un traitement égal des « choses » inégales, une confusion entre ce qui dépend des mœurs et < c: qui dépend du droit, et de nombreux télescopages entre droit à l’égalité et droit à la différence. L’exemple le plus significatif de cette dangereuse dérive est fourni par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes d’où est résul-tée l’adjonction d’un alinéa à l’article de la Constitution : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives» . L’insuffisante représentation des femmes dans la vie politique est affaire de mœurs, non de droit. En s’engageant dans la voie de l’affirmative action américaine (quotas pour les Noirs, etc.), alors d’ailleurs qu’outre-Atlantique on en revient, c’est à la fois offenser les femmes et les hommes, en abandonnant un grand principe démocratique de liberté électorale suivant lequel il n’est d’autre critère valable en la matière que celui tenant à la distinction des vertus et des talents.
Cette prise en compte de finalités multiples du droit retentit nécessairement sur l’approche d’une compréhension du fondement du droit, en tant qu’il est médiation entre le juste et le sage . Liée à la réflexion fondamentale entre le droit et les mœurs (supra, n° 24), la recherche d’une harmonie dont l’affirmation se répand dans le langage juridique sources et autorités à plus ou moins bon escient , rejoint des préoccupations vitales pour la société. Bien au-delà de querelles et de critiques, il est surtout indispensable de tirer profit d’une conscience et d’une compréhension de l’ambivalence du droit, nourrie des réflexions indispensables de la pensée juridique en termes sinon de théologie et: encore , du moins d’une axiologie bien comprise et de la place qu’à la raison notre temps est conduit à reconnaître dans l’entendement humain.