Les juges et les magistrats
Notamment dans la Grèce anti¬que, le terme de magistrat ne désignait pas les personnes qui rendaient la justice, mais ceux qui exerçaient des fonctions dans le gouverne¬ment de la cité. Les juges, qui étaient élus, n’étaient pas des magistrats. C’est plus tard que le mot a servi à désigner les juges. Encore convient-il de formuler une double observation à ce sujet, ce qui nuance le propos. D’une part, l’expression de magistrat est encore uti¬lisée dans un sens large, notamment pour désigner les maires, « magistrats municipaux ». D’autre part, bien que l’on emploie fré¬quemment celle de « magistrats consulaires » pour désigner les juges des tribunaux de commerce , on est davantage enclin à utiliser le mot de magistrat pour les juges professionnels qui composent la magistra¬ture. Toujours est-il qu’à côté des juges de carrière, qui sont nommés, il existe aussi des juges élus (Trib. de commerce, conseillers prud’hommes, etc.).
A s’en tenir à la magistrature, on observera que celle-ci comprend deux branches distinctes : les magistrats dits « du siège », qui ont pour
fonction de juger; les membres du ministère public, qui représentent la SOCiété.
1) Magistrats du siège. Avant la Révolution, leurs charges étaient, en général, patrimoniales et héréditaires. Sous la Révolution, ils étaient pour la plupart élus. Ils sont actuellement normalement recrutés par voie de concours, formés dans le cadre du Centre national d’études judiciaires, devenu Ecole nationale de la magistrature (L. n » 70-613 du 1O juil. 1970, art. 9, modifiant Ord. n° 58-1273 du 22 déc. 1958, etc.) et nommés, en principe, par décret du Président de la République. Il existe cependant des magistrats élus, tels les membres des tribunaux de commerce et des tribunaux paritaires de baux ruraux, ainsi que les conseillers prud’hommes. En outre, par l’effet d’une loi organique du 19 janvier 1995, peuvent, dans certaines conditions, à titre temporaire (pour une durée non renouvelable de sept ans), « être nommées, pour exercer des fonctions de juge d’instance ou d’assesseur il.ins les formations collégiales des tribunaux de grande instance, les (ici sonnes âgées de moins de soixante-cinq ans révolus que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions » (Ord. du 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 41-10, al. 1, réd. L. 19janv. 1995). Ces mesures de fortune se succèdent sans que l’on puisse espérer in remédier de la sorte à des maux d’une ampleur bien grande de la i lise évidente de la justice. Voilà cinquante ans, sinon plus, que l’on ne cesse d’accroître le rôle des juges sans leur assurer, en personnel et ni matériel, les moyens d’y faire face Sur les conseillers de cour d’appel en service extraordinaire, v. supra, n° 105 ; sur les conseillers et 1rs avocats généraux à la Cour de cassation en service extraordinaire, v. supra, n° 111.
I.es magistrats du siège remplissent leurs fonctions en toute indépendance et ne peuvent recevoir d’ordre de quiconque. Ils sont protégés contre l’arbitraire par leur inamovibilité : ils ne peuvent, en principe, être ni révoqués, ni déplacés contre leur gré. Le Conseil supérieur de la magistrature assure la protection de leur indépendance (Const. a rt. 64 et 65).
Ce Conseil, que préside le Président de la République et dont le ministre de la Justice est le vice-président, comprend deux formations, « l’une compétente à l’égard des magistrats du siège, l’autre à l’égard des magistrats du parquet » (art. 65, al. 2). « La formation compétente .1 l’égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des Sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’Etat, désigné par le Conseil d’Etat, et trois personnalités n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la Répu¬blique, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat » (art. 65, al. 3). Cette formation fait des propositions pour les nomina¬tions des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de pre¬mier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance; les autres magistrats sont nommés sur son avis conforme (art. 65, al. 5). Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège ; elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation (art. 65, al. 6)
2) Ministère public. Les magistrats du ministère public, dits du Par¬quet, sont « les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux » (Loi des 16-24 août 1790), devant lesquels ils représentent les intérêts de la société et de F Etat .
Le ministère public a un rôle essentiel en matière pénale : il met en mouvement l’action publique et poursuit les délinquants devant les juridictions répressives.
En matière civile, il a une double mission :
— En principe, il n’a pas l’initiative d’une action; dans un procès entre particuliers, il peut simplement intervenir comme «partie jointe », c’est-à-dire présenter ses observations dans une affaire dont il a communication. Normalement, son intervention est facultative, c’est-à-dire que le Parquet peut prendre connaissance de toutes les affaires dans lesquelles il estime devoir intervenir (art. 426, NCPC). Mais il arrive que l’intervention du ministère public soit obligatoire : ainsi en est-il en cas de communication judiciaire, c’est-à-dire lorsque le juge décide d’office la communication au ministère public (art. 427, NCPC) ou encore dans le cas de communication légale. Ainsi, le ministère public doit avoir communication : 1) des affaires relatives à la filiation, à l’organisation de la tutelle des mineurs, à l’ouverture ou à la modification de la tutelle des majeurs; 2) des procédures en matière de « faillite » ; le ministère public doit également avoir com¬munication de toutes les affaires dans lesquelles la loi — ce peut être aussi le décret (ex. : art. 798, NCPC, en matière gracieuse) — dispose qu’il doit être entendu (art. 425, NCPC).
— Parfois, exceptionnellement, le ministère public agit comme par¬tie principale (demandeur ou défendeur). Ainsi, l’article 184 du code civil lui donne le droit d’intenter certaines actions en nullité de mariage et l’article 339, alinéa 2, du code civil lui reconnaît le droit d’agir en contestation d’une reconnaissance d’enfant naturel « si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable la filiation déclarée » .
Les membres du ministère public sont des magistrats professionnels recrutés de la même façon que les magistrats du siège et faisant partie du même corps. Mais ils ne sont pas indépendants ; ils forment une hiérarchie à la tête de laquelle se trouve, dans chaque ressort de cour d’appel, le procureur général qui, lui, dépend directement du ministre de la Justice. Les magistrats du ministère public communiquent au tri¬bunal ou à la cour, par voie de conclusions écrites, les indications qui ont pu leur être transmises par leurs chefs. Mais cette obédience hié-rarchique n’est pas exclusive d’une indépendance que traduit le vieil adage : « si la plume est serve, la parole est libre », c’est-à-dire que le magistrat du ministère public, après avoir pris des conclusions écrites conformes aux ordres hiérarchiques, peut soutenir oralement une opi-nion différente. «A l’audience, leur parole est libre» (Ord. 22déc. 195$, portant loi oiganique relative an statut de la magistrature, art. 5) .
Une tendance au rapprochement des situations des magistrats du siège et des magistrats du parquet a été marquée par la réforme constitutionnelle opérée en 1993 (supra, n° 119). En effet, il en est résulté une extension aux magistrats du parquet des attributions du Conseil supérieur de la magistrature qui comporte aujourd’hui une formation compétente à leur égard. Cette formation comprend, outre le Pré¬sident de la République et le garde des Sceaux, cinq magistrats du parquet, un magistrat du siège, un conseiller d’Etat et trois personnalités (v. supra). Reste que cette formation ne formule que des avis, et non pas des propositions ou des avis conformes auxquels leur destinataire doit se soumettre. « La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l’excep¬tion des emplois auxquels il est pourvu. eu Conseil des ministres » (Const., art. 65, al. 7), c’est-à-dire pour les nominations aux fonctions de procureur général près la Cour de cassation, de procureur général près une cour d’appel et de procureur de la République (Ord. n° 58-1136 du 28 nov. 1958, art. 1er). En outre, cette formation « donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magis¬trats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation» (Const. art. 65, al. 8).
Vidéo : Les juges et les magistrats
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Les juges et les magistrats