Les systèmes dans l'univers
La diversité des droits
De multiples forces poussent soit à leur diversification, soit à leur rapprochement. La plupart d’entre elles sont extra-juridiques : elles tiennent notamment à des différences d’ordre psychologique , car la perception du droit varie souvent suivant les peuples ou les continents, de l’Occident à l’Orient, ou d’ordre géographique, qu’il s’agisse de géographie physique ou de géographie humaine (archipel et littoral; forêt, savane ou désert; élevage ou culture; «théorie des climats »…). On sait encore à quel point peut être importante l’influence de la religion y compris dans les systèmes laïcisés , des données politiques, économiques, linguistiques.
A toutes ces raisons extra-juridiques, il faut en ajouter d’autres, d’ordre juridique, car le droit peut être lui-même un accélérateur de sa propre diversité, en raison, par exemple, des modes d’initiation à sa connaissance ou des habitudes professionnelles qui existent dans les divers pays.
Les comparatistes ne se bornent pas à ces constats. Ils s’efforcent de regrouper les divers droits au sein de grandes familles ou, dit-on plus volontiers, de grands systèmes. Cette répartition d’après la lettre et d’après l’esprit, tous deux imprégnés d’histoire, ne peut être universelle et exhaustive. C’est dire qu’à cet égard tout reproche de lacune est le plus souvent excessif, donc insignifiant.
On laissera par exemple de côté les mélanésiens , les bédouins , les tziganes et les esquimaux .
Nécessairement, pour l’indication des grands systèmes, on ne peut que se borner ici à des évocations brèves et à des bibliographies des plus sommaires.
Système romano-germanique
La famille romano-germanique est celle dans laquelle se range le droit français ; elle englobe égale¬ment les droits du continent européen (sauf les pays socialistes) et ceux de l’Amérique latine. La famille romano-germanique groupe les pays dans lesquels la science du droit s’est formée sur la base du droit romain, mais où le contenu du droit est un amalgame de solutions romaines et germaniques.
Les règles du droit sont certes différentes dans les divers pays appar-tenant à la famille romano-germanique. Partout cependant, dans ces p.iys, on classe les règles dans les mêmes catégories, on emploie le même vocabulaire, issu de la science des romanistes. Partout, aussi, à notre époque, on considère que la base du droit se trouve dans la légis¬lation, et cette conception a conduit de façon générale à promulguer îles codes, notamment des codes civils.
Pays de common law
Les pays de common law, comprenant en I urope l’Angleterre et l’Irlande , hors d’Europe les Etats-Unis d’Amé- lique et les Dominions ou anciens Dominiums de peuplement anglais, n’assignent pas à la loi, selon leur tradition, le même rôle que les droits de la famille romano-germanique . Le droit appelé common law y a été formé peu à peu, à l’occasion des affaires qui leur étaient soumises, par des juges qui étaient des praticiens, n’ayant pas reçu de formation universitaire. Nul effort de systématisation, comparable à celui dont se sont chargées sur le continent les Universités, n’a été accompli, et l’on n’a pas davantage adopté la formule des codes. Une grande évolution est cependant en voie de s’accomplir dans ces pays; le droit, qui consistait essentiellement jusqu’au début de notre siècle dans les décisions des tribunaux, est de plus en plus mis à jour, modi¬fié, complété par la législation, et il devient de plus en plus fréquent, aussi, que juristes et juges aient reçu leur formation juridique dans les Universités. Les différences qui opposaient les pays de common law aux pays du groupe romano-germanique tendent ainsi à s’affaiblir . De grandes différences continueront cependant longtemps encore à opposer pays de tradition romaniste et pays de common law, du fait que les classifications et concepts utilisés ici et là demeurent différents. La catégorie « droit civil », par exemple, n’est pas connue en Angleterre.
Les droits socialistes
Un troisième groupe englobe les droits des pays qui, avec l’U.R.S.S., adhérèrent à la doctrine marxiste-léniniste.
L’on avait entendu dans ces pays créer une société de type entièrement nouveau — société communiste — dans laquelle il n’y aurait plus ni Etat ni droit. Cet idéal ne fut réalisé en aucun pays; cependant la forme de l’Etat « socialiste » qui était réalisée y fut très différente des formes d’Etat « bourgeois » existant dans les autres pays. A première vue, les droits « socialistes » conservèrent bien des traits communs avec les droits de la famille romano-germanique. On affirma cependant avec force, dans l’U.R.S.S., qu’il ne s’agissait là que de ressemblances de forme et que le contenu du droit était devenu entièrement différent ici et là, parce que la liquidation des classes sociales et la collectivisation complète des biens de production avaient changé dans leurs données mêmes tous les problèmes. Certaines notions fondamentales du droit civil, telles que propriété et contrat, prirent de fait un sens entièrement nouveau dans les pays socialistes.
L’U.R.S.S. et les pays socialistes d’Europe demeurèrent attachés à la formule de la codification. Les quinze républiques de l’U.R.S.S. se dotèrent ainsi de codes civils, fondés sur des Principes de la législation civile fédéraux publiés en 1961 ; mais on a séparé du droit civil le droit de la famille, pour lequel une autre série de codes fut élaborée sur la base de Principes fédéraux promulgués en 1968. Les autres pays socia¬listes d’Europe eurent, de même, pour la plupart, des codes civils et des codes de la famille .
Les développements qui précèdent ne peuvent plus être présentés comme l’état actuel du droit depuis le séisme qui a, dans les Etats de l’Europe de l’Est — Pologne, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Russie, Etats baltes … secoué les structures instituées à la suite de l’occupation soviétique et de la prise du pouvoir par les divers partis communistes. L’évolution en cours, liée notamment à un retour à l’économie de marché — ainsi qu’à diverses transformations politiques de grande ampleur (réunification de l’Allemagne, division de la Tché¬coslovaquie en République tchèque et Slovaquie, éclatement de la Yougoslavie) — s’accompagne d’un vaste mouvement de privatisation . Dans un ordre d’idées voisin se manifeste non sans soubresauts ni résistances un abandon progressif du système et des techniques juri¬diques issus du marxisme-léninisme.
Systèmes philosophiques ou religieux
Les principes mêmes sur lesquels est fondé l’ordre social dans les pays occidentaux et l’idée, en particulier, que les rapports entre individus doivent être fondés sur le droit sont étrangers à la plus grande partie de l’humanité. Pour les musulmans, un ordre social juste ne peut être fondé que sur la religion, laquelle impose bien au croyant des devoirs, mais ne lui reconnaît guère de droits, du moins au sens occidental du mot . Les hindous distinguent la science du juste de la science de l’utile et de i flic de l’agréable; notre notion de droit et notre concept de droit sub-if leur sont aussi étrangers qu’aux musulmans . On ne saurait évi¬demment en la matière négliger davantage la signification du droit à la lumière du Talmud .
Une longue tradition des peuples de l’Extrême-Orient les a marqués, ml pendant certaines périodes, dans le sens d’une fréquente, voire viscérale allergie au droit. Dans cette tradition, le droit n’est bon que pour les barbares; l’homme civilisé, conscient de ses devoirs envers la société, résout plutôt les contestations qu’il peut avoir avec autrui par conciliation, en ayant recours à des médiateurs; le bon citoyen ne v.i pas en justice et se garde de « faire valoir des droits », du moins dans la conception traditionnelle, car le droit s’occidentalise de jour m jour, notamment au Japon .
La même conception traditionnelle a longtemps dominé la Chine, sous l’influence du confucianisme, l’école portant à gouverner les hommes par les rites l’ayant le plus souvent emporté sur celle qui consiste à les gouverner par des lois . Mais l’évolution de la Chine communiste, qui s’est engagée en 1949 dans le sillage de l’U.R.S.S., a bouleversé le paysage, bien que la Chine populaire se soit orientée moins de dix ans après sur une voie propre, plus conforme à sa tradi-tion, vers la réalisation du communisme.
Notre concept de droit est pareillement ignoré dans les sociétés tra-ditionnelles d’Afrique et de Madagascar. Les contestations, là aussi, paraissent appeler des solutions de paix, restauratrices d’une harmo-nie sociale nécessaire; le droit, dans la mesure où il existe, ne peut, avec une telle manière de voir, jouer qu’un rôle secondaire.
Toutes ces civilisations traditionnelles ont été, il est vrai, remises en question et ébranlées par les contacts avec l’Occident . On a, en maints pays, adopté ou paru accepter les manières de voir occidentales et il existe, dans la plupart d’entre eux, ou bien des codes à la manière de la famille romano-germanique (Japon, Thaïlande, Indonésie, Tur¬quie, pays arabes, Iran, Afrique francophone, Madagascar, Ethiopie), ou bien un droit modelé sur la common law (Inde, Pakistan, Birmanie, Afrique anglophone, Soudan). Souvent, cependant, ce sont certains types de relations seulement qui, en droit ou en fait, sont soumis à ce « droit moderne » ; le statut de la famille et des successions, en parti¬culier, demeure souvent régi par les règles traditionnelles, qui reposent sur des idées et comportent un jeu de concepts et des techniques tout autres que ceux de l’Occident. Le « droit moderne » de ces pays leur est fréquemment, d’un autre côté, mal adapté, et sa mise en œuvre se heurte à de nombreux obstacles.
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