Loi applicable : Construction de la règle de conflit
Pour déterminer la loi applicable à une situation qui entretient des liens avec différents systèmes juridiques, deux approches peuvent être envisagées.
Une première approche consiste à lier la solution du problème de droit posé à la compétence du juge saisi, ou plus généralement à la compétence de l’autorité saisie : si l’autorité saisie est compétente, elle applique sa loi.
Une première version, « archaïque », de ce raisonnement conduit à nier l’existence même de tout conflit : il n’y a ni conflit de juridiction (puisque le juge se contente de dire s’il est compétent ou non, en fonction de ses règles propres), ni conflit de lois (si le juge se déclare compétent, il applique sa loi). Des théories plus élaborées ont été édifiées sur ces bases, notamment par des auteurs anglo-saxons pour qui la question de la compétence judiciaire absorbe la question des conflits de lois.
Une seconde approche repose sur la distinction entre la question de la compétence de l’autorité saisie (le conflit de juridictions) et la question de la compétence législative (le conflit de lois). Certes, les deux questions sont toujours liées l’une à l’autre : chaque pays a ses règles de droit international privé ; en conséquence, selon que le juge français ou le juge allemand sera saisi et se déclarera compétent, seront appliquées les règles françaises ou les règles allemandes de droit international privé, qui détermineront la loi applicable. Les deux questions n’en sont pas moins distinctes : le juge appliquera telle ou telle règle selon ce que lui prescriront ses règles de droit international privé.
Dès lors que sont désolidarisés les problèmes de compétence judiciaire et de compétence législative, deux types de méthodes peuvent être utilisés pour apporter une solution aux questions relevant du droit international privé : des méthodes directes et des méthodes indirectes.
1. Les méthodes indirectes : l’élaboration de règles de répartition des compétences (les règles de conflits)
La méthode indirecte consiste à résoudre les problèmes de droit inter¬national privé non pas directement, par des dispositions législatives ou autres, propres aux relations privées internationales (des règles propres aux contrats internationaux ou au testament international, par exemple), mais en désignant parmi les systèmes juridiques concernés, celui dont les dispositions de droit interne seront applicables.
Deux types de règles seront mis en œuvre : des règles de conflits désignant la loi compétente, et des règles matérielles, à savoir les dispositions qui, dans le système juridique déclaré compétent, régissent le fond du droit.
Pour élaborer ces règles de conflits, plusieurs procédés ont été proposés. Une première démarche consiste à placer par principe à égalité les différents systèmes juridiques concernés par la question de droit posée.
La détermination du système juridique compétent se fera grâce à une analyse objective du problème en question. Reste à construire la règle de conflit. Différentes méthodes ont été élaborées à cette fin.
- Une première méthode tend à rechercher une localisation objective en vertu de la nature du rapport juridique. Le raisonnement est le suivant : pour choisir, parmi les règles matérielles en présence, celle qui doit être appliquée à la question de droit, il convient de s’interroger sur la nature de cette question. On en déduira quel élément la localise, autrement dit quel élément permet de déterminer l’ordre juridique avec lequel elle présente objectivement les liens les plus significatifs. Les questions de droit sont classées en grandes catégories reliées à tel ou tel système juridique par le truchement d’un élément de rattachement propre à chacune de ces catégories. Ainsi les questions relatives à la personne seront-elles rattachées, via la personne qui en est l’élément central, à la loi nationale ou à la loi du domicile de l’intéressé ; les questions relatives aux contrats dépendront de la volonté des parties (sera applicable la loi choisie par les parties) ; les questions relatives aux biens seront tout naturellement soumises à la loi de situation des biens, etc.
- Telle est la méthode classique des conflits de lois, exposée de façon systématique par F. C. von Savigny au milieu du XIXe siècle. La règle de conflit ainsi élaborée est abstraite (la désignation de la loi applicable s’effectue sans que l’autorité saisie ait besoin de prendre connaissance de la teneur matérielle des lois en présence, teneur qu’elle ne découvrira qu’après avoir déterminé la loi applicable) ; neutre (elle ne tend pas à privilégier telle ou telle solution possible) ; dénuée de nationalisme (elle ne privilégie pas la loi du for : la lexfori, à savoir la loi de l’autorité saisie, par rapport aux lois étrangères) ; et bilatérale (en fonction de l’élément de rattachement retenu, la règle désigne indifféremment la loi du for ou une loi étrangère). Cette méthode, dite savignienne, reste la méthode la plus répandue.
- Loin de cette méthode abstraite, des auteurs anglo-saxons ont proposé de s’attacher à une localisation objective du rapport de droit en vertu d’un examen concret de la situation juridique. Il s’agit de déterminer la loi ayant vocation à s’appliquer en fonction des données de l’espèce (recherche de la meilleure loi – better law). Elle suppose donc une analyse concrète de chaque situation juridique. Un des procédés envisageables pour mener à bien cette analyse repose sur le principe de proximité : la situation sera rattachée au système avec lequel elle présente les liens les plus étroits ou les plus significatifs. Soit par exemple un accident de la circulation survenu en Italie entre deux conducteurs français résidant l’un et l’autre en France : la loi qui entretient les liens les plus étroits avec la situation semble être la loi française et non la loi du lieu de survenance du délit (la lex loci delicti), pourtant compétente selon le raisonnement savignien classique.
Quelle que soit la méthode, abstraite ou concrète, de localisation du rapport de droit, elle débouche indifféremment sur la désignation de la loi du for ou d’une loi étrangère.
Un autre mode de raisonnement repose au contraire sur l’idée qu’un ordre juridique ne peut déterminer que le domaine de compétence des règles qui appartiennent à cet ordre, à l’exclusion du domaine de compétence des règles appartenant à d’autres ordres juridiques. Par exemple, le législateur français peut seulement définir dans quels cas la loi française est compétente. On parle de méthode unilatérale par opposition à la méthode bilatérale classique. La détermination par chaque ordre juridique de son champ de compétence peut se faire au moyen d’une classification des questions de droit en grandes catégories, ou par une analyse des liens entre la question de droit posée et le système juridique concerné.
l’étrangère ; à défaut, il appliquera les règles françaises du divorce. En l’espèce, la loi algérienne se veut compétente ; le juge français appliquera donc le droit algérien du divorce.
2. Les méthodes directes : l’application de règles matérielles aux situations privées internationales
Les méthodes directes de traitement des situations privées internationales consistent à appliquer directement aux dites situations des règles matérielles, sans passer par le truchement de la règle de conflit.
Il peut s’agir tout d’abord de règles matérielles spécialement élaborées pour régir au fond les relations privées internationales, compte tenu de leur spécificité. De fait, avec le système indirect classique, on arrive à appliquer à une situation internationale les règles matérielles que chaque pays a élaborées pour régir avant tout les situations internes (par exemple les dispositions du code civil français sur les contrats).
Mieux vaut parfois construire des règles propres, adaptées aux relations internationales. Ces règles matérielles de droit international privé sont d’origine interne ou, surtout, d’origine internationale, notamment dans le domaine du commerce international. Ainsi des conventions ont-elles été élaborées afin de donner aux pays signataires des règles communes destinées à régir au fond le droit des effets de commerce (chèque, lettre de change, etc.), certains domaines du droit des transports ou certains aspects de la vente internationale de marchandises (cf. Convention deVienne du 11 avril 1980). Dans ces différentes hypothèses, il ne s’agit pas d’unifier les règles de conflits mais bien d’unifier, au moins partiellement, les règles matérielles.
Les méthodes directes peuvent aussi passer par l’application aux relations privées internationales de règles élaborées avant tout pour régir les relations internes, mais dont le champ d’application va être élargi aux relations privées internationales. On parle de règles d’application immédiate, en ce qu’elles s’appliquent sans passer par la médiation de la règle de conflit. Il s’agit donc de règles matérielles appartenant à tel ou tel système juridique, dont l’application dans les rapports internationaux est commandée par leur contenu ou leur finalité, sans considération de la règle de conflit. Elles seront appliquées quand bien même la catégorie à laquelle appartient la question de droit posée est en principe rattachée à un autre système juridique.
Parmi ces règles d’application immédiate (dites également règles d’application nécessaire), on trouve les lois de police, c’est-à-dire les « règles dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays ». Ainsi les règles françaises de l’assistance éducative ont-elles pour finalité d’assurer la protection des enfants en danger sur le territoire français ; elles sont donc appliquées à tous les enfants en danger sur le territoire français, quelle que soit leur nationalité.
3. Autres approches
D’autres approches sont envisageables. Autrefois avait été avancée la théorie des droits acquis (uested rights) : tout droit régulièrement acquis selon le droit d’un pays « civilisé » doit être en principe reconnu et sanctionné par les autres ordres juridiques. Reste à savoir ce qu’il faut entendre par droits acquis, et comment traiter la création de nouveaux droits.
Aujourd’hui, des approches plus « libérales » se développent : l’objectif serait de donner à la situation de droit international privé la solution la mieux appropriée. Pour cela peuvent être prises en compte les attentes des parties ou la recherche d’un résultat particulier, en considération d’une personne ou d’un groupe de personne (protection de la partie faible dans le contrat de travail ou dans les contrats avec un consommateur, octroi d’aliments à l’enfant) ou en fonction d’une politique générale (libre circulation des biens ou des personnes).
Dans la première hypothèse, une plus grande liberté sera laissée aux individus dans le choix de la loi applicable, afin d’écarter le caractère mécanique de la règle de conflit classique.
Dans la seconde pourront être combinées des techniques telles que l’autonomie de la volonté, les règles de conflits à rattachements multiples (aux parties de choisir la loi qui leur paraît la plus appropriée) ; ou, à l’inverse, les règles encadrant l’autonomie de la volonté pour assurer la protection de la partie faible ; ou encore les règles de conflits à finalité matérielle (comme les règles . alternatives de conflit qui donnent compétence à plusieurs lois alternativement, afin de multiplier les chances d’obtenir grâce à l’une d’elles le résultat recherché).
En pratique, le droit international privé contemporain se caractérise par la pluralité de méthodes et par une tendance très nette à construire la règle de conflit en fonction d’un objectif particulier. Ainsi le nouveau droit international privé communautaire tend-il à donner plus de liberté aux individus afin d’assurer la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace européen. échappant aux règles étatiques ou conventionnelles, une partie des relations privées internationales est régie par des règles autonomes, sécrétées par le milieu auxquelles elles sont destinées : ce sont les usages et la pratique du commerce international, la lex mercatoria.