Le droit fiscal
On ne peut aborder le droit fiscal qu’après avoir répondu à un certain nombre de questions fondamentales, lesquelles conduisent à des définitions qui le sont tout autant puisqu’elles constituent l’armature de la discipline . C’est donc dans un second temps que nous présenterons le système fiscal français, que l’on retrouve avec des variantes dans la plupart des pays modernes.
A. Les notions fondamentales
Les notions fondamentales du droit fiscal apparaissent au travers de trois interrogations :
1. Qu’est-ce qu’un impôt ?
2. Quels sont les buts et les finalités poursuivis par l’impôt ?
3. Comment l’impôt est-il établi ?
1. La notion d’impôt
Le terme impôt vient du verbe « imposer », qui implique une obligation de faire. L’impôt peut dès lors être défini comme un prélèvement pécu¬niaire obligatoire et sans contrepartie directe, opéré sur une personne par voie de contrainte au profit d’une collectivité publique.
Un impôt peut très bien prendre le nom de contribution, ce qui atténue l’idée de contrainte, inhérente à l’impôt. Tel est le sens des formules utilisées par les révolutionnaires dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui prévoit « la nécessité de la contribution publique » (art. 14) et son caractère « indispensable », une contribution publique « également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés » (art. 13), ce qui implique une certaine justice sociale. Ce terme est aujourd’hui repris lors de la création d’impôts nouveaux, telles la contribution sociale généralisée (CSG) ou la contribu¬tion au remboursement de la dette sociale (CRDS), qui ne sont rien d’autre que des impôts.
La terminologie peut encore fluctuer, sans pour autant ôter leur caractère d’impôt aux prélèvements nommés différemment. On peut citer les taxes qui portent sur la consommation (taxe sur la valeur ajoutée, ou TVA) ou les taxes locales (taxe d’habitation, taxe professionnelle…). En dépit du mot utilisé (taxé), ce sont là encore des impôts.
Cependant, l’analyse juridique fait abstraction de l’abondance des termes utilisés en matière fiscale (impôt, contribution, taxe, droits…) pour opérer une distinction entre trois catégories de prélèvements : à côté de l’impôt ont cours de vraies taxes, ainsi que des redevances.
Si l’impôt se caractérise par sa vocation à n’offrir aucune contrepartie directe, visible — il existe bien une contrepartie, soit les services publics mis à la disposition des citoyens, mais cette contrepartie est diffuse dans la mesure où les contribuables ne peuvent les utiliser qu’occasion¬nellement : police, justice, éducation… —, la taxe, elle, est tout aussi obligatoire que l’impôt, mais elle est perçue à l’occasion de la prestation offerte par un service public. Les exemples de taxes entendues au sens juridique du terme sont peu nombreux.
La plus connue est la taxe d’enlèvement des ordures ménagères qui est due par toute personne résidant dans une commune, et cela même si cette personne n’utilise pas, pour quelque motif que ce soit, le service en question.
La redevance se rapproche de la taxe, puisqu’elle est perçue à l’occasion d’une prestation fournie par un service public. Mais elle s’en distingue nettement du fait qu’elle est due uniquement par l’usager réel de ce service, alors que la taxe, par son caractère obligatoire, est due par toute personne, y compris l’usager virtuel.
La redevance correspond en fait au prix d’un service rendu par une personne publique à un client qui utilise ledit service (prix d’entrée dans un musée ou dans une piscine, tarif d’une crèche, péage d’autoroute…). La redevance est en principe proportionnelle au service rendu, car elle doit permettre au service public concerné d’équilibrer ses comptes.
2. Les finalités de l’impôt
L’impôt poursuit un objectif premier, essentiel, qui est strictement financier : la couverture des charges publiques, c’est-à-dire l’alimentation des caisses de l’Etat, pour que celui-ci puisse accomplir ses missions. C’est ce que rappelle l’article 13 de la Déclaration des droits de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. »
Mais en dehors de cet objectif purement financier, l’impôt peut également viser des objectifs sociaux ou des objectifs économiques. L’impôt traduit alors une volonté d’interventionnisme fiscal.
L’impôt peut tout d’abord être utilisé à des fins de redistribution sociale. Dans cette hypothèse, le poids de l’impôt pèsera très fortement sur les contribuables riches, et l’Etat utilisera une partie des sommes ainsi prélevées pour améliorer le sort des personnes pauvres.
De telles politiques fiscales généreuses ont été tentées dans certains pays. Ainsi, en Grande-Bretagne, en 1945, le gouvernement travailliste de Clement Attlee a souhaité procéder à un nivellement social en instaurant des impôts progressifs sur les revenus et sur les successions, tout en détaxant les produits de première nécessité et en surtaxant les objets de luxe.
Mais cette politique n’a pas obtenu les résultats escomptés : les capi¬taux ont fui, les personnes riches se sont « délocalisées » dans des Etats à fiscalité plus clémente.
Par ailleurs, sous l’influence de la pensée de Keynes, l’impôt peut être utilisé à des fins économiques conjoncturelles.Tantôt il s’agit de lutter contre l’inflation : à cet effet sont instaurés des prélèvements exceptionnels (par exemple, majoration exceptionnelle d’impôt sur le revenu intervenue en 1973), ayant pour but d’éponger le pouvoir d’achat excédentaire des contribuables.
Tantôt, il s’agit, par des incitations fiscales ou des avantages fiscaux (taux d’imposition réduits), de favoriser ou d’encou¬rager un secteur d’activité donné, comme la recherche.
Mais le courant dominant, d’inspiration néolibérale sur le plan écono¬mique, tend à rechercher la neutralité de l’impôt. L’impôt neutre est l’impôt qui reste sans influence sur le choix des agents économiques, ces derniers prenant leurs décisions en fonction d’une rationalité économique et non pas srjus l’influence de tel ou tel avantage fiscal.
3. La technique fiscale
L’impôt dû par les contribuables obéit à un processus logique qui com¬prend trois étapes : l’assiette, la liquidation et le recouvrement.
L’assiette peut être définie comme la détermination de la matière imposable. En pratique, deux questions vont se poser au législateur, seul compétent en matière fiscale : qui va être contribuable ? Quelle va être la matière imposable ?
Le choix du contribuable est évidemment un choix politique, qui permet de désigner les personnes (physiques ou morales) qui vont supporter l’impôt. A cet effet, il convient de distinguer le redevable légal et le redevable effectif. Le redevable légal est la personne qui supporte la charge juridique de l’impôt et qui doit l’acquitter. Le redeva¬ble effectif est la personne qui supporte le poids de l’impôt, alors même que cet impôt sera payé par un autre que lui. Ainsi, en matière d’impôt sur le revenu (IR), la même personne est à la fois redevable légal et redevable effectif.
Mais en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le redevable légal est le commerçant, alors que le redevable effectif est le consommateur.
Une fois précisées les personnes assujetties à l’impôt, le législateur va s’intéresser à la fixation de la matière imposable. Cette dernière pourra porter soit sur le revenu, soit sur la dépense ou la consommation, soit sur le capital ou la fortune, toutes notions qu’il convient de définir. Le revenu n’est pas seulement le fruit régulier d’une source permanente, tel le travail : il consiste dans l’enrichissement constaté chez le contribuable durant une période déterminée (généralement un an, car l’impôt est annuel).
L’impôt sur la dépense frappe toutes les dépenses liées à la consommation, par exemple tous les achats qu’une personne peut faire tant pour sa consommation courante que pour ses investisse¬ments. Enfin, l’impôt peut frapper le capital, c’est-à-dire tout ou partie des biens que peut posséder une personne.
L’assiette est essentiellement déterminée selon ces trois critères écono¬miques : revenu, dépense, capital. Il n’empêche qu’elle s’accompagne souvent d’une distinction juridique, certes ancienne, mais toujours en vigueur : il s’agit de la distinction entre impôts directs et impôts indirects. Les impôts directs sont les impôts « directement » payés par le contribuable (c’est le cas de l’IR), alors que les impôts indirects sont acquittés par des tiers, mais supportés par le contribuable (c’est le cas de la TVA).
La liquidation va permettre de calculer la note d’impôt due par chaque contribuable. Ce calcul va s’effectuer en deux étapes : dans un premier temps il convient d’évaluer l’assiette, dans un second temps il convient d’évaluer le montant de la dette fiscale.
Tout d’abord, l’assiette imposable peut être évaluée selon plusieurs méthodes, qui sont marquées par l’histoire :
- La méthode indiciaire permet à l’administration fiscale de déterminer l’impôt à partir de signes extérieurs, incontestables, dont l’exemple
le plus connu est le nombre de portes et fenêtres dont disposait l’habitation d’un contribuable au XIXe siècle.
- La méthode forfaitaire consiste pour l’Administration à proposer au contribuable une imposition approximative, car fixée selon des moyens empiriques, permettant d’approcher la vérité d’une situation économique sans pour autant l’atteindre.
- La méthode de la déclaration contrôlée est aujourd’hui la plus utilisée ; l’impôt est liquidé à partir des déclarations que fait le contribuable, et l’Administration peut exercer un contrôle a posteriori sur ces déclarations pour s’assurer de leur sincérité.
Ensuite, une fois l’assiette évaluée, pour obtenir le montant de la coti¬sation d’impôt due par le contribuable, il convient d’appliquer à cette assiette le taux de l’impôt. Le taux de l’impôt peut être spécifique ou ad valorem. Le taux est spécifique lorsqu’il est exprimé en unités monétai¬res par unité d’assiette, exprimant des quantités (x euros par hectolitre ou par quintal). Le taux est ad valorem lorsqu’il est exprimé en pour¬centage de l’assiette fixée en valeur. Ainsi, le taux normal de la TVA est de 19,6 % de la valeur du produit que l’on achète. Inutile de dire que la plupart des impôts actuels sont des impôts ad valorem.
Le taux de l’impôt peut en même temps être proportionnel ou progressif L’impôt proportionnel est un impôt dont le taux est constant, qui ne varie pas avec la valeur plus ou moins grande de l’assiette. C’est le cas de la TVA, impôt sur la dépense, qui a un taux normal de 19,6 %, quelle que soit la valeur du bien acheté.
L’impôt progressif est un impôt dont le taux va s’élever avec la quantité de matière imposable. Autrement dit, plus la matière imposable est élevée, plus le taux augmentera. La progressivité est généralement conçue par tranches : l’assiette est découpée en tranches successives, auxquelles on applique un taux de plus en plus élevé au fur et à mesure que l’on atteint les tranches supérieures. Le système est utilisé pour l’impôt sur le revenu.
Une fois l’impôt liquidé et le montant de la note d’impôt calculée, il reste à faire payer le contribuable. C’est le recouvrement. Le plus souvent, l’administration fiscale adresse au contribuable un avis d’imposition (c’est le cas pour l’IR et pour les impôts locaux). Parfois, le paiement est spontané, la loi ayant mis à la charge du redevable une obligation de liquidation (c’est le cas pour la TVA). D’autres fois enfin, le recouvrement est effectué par un tiers, chargé de procéder à une retenue à la source sur les sommes qu’il verse (c’est le cas pour les employeurs de la plupart des pays européens, mais non de ceux de France).
Si le contribuable ne s’exécute pas, le comptable public doit mettre en œuvre des procédures de recouvrement forcé pour obtenir le règlement de l’impôt, le tout sous le contrôle du juge.