Droit constitutionnel : Quelle est la meilleure constitution
Du bon usage de la raison en droit constitutionnel
La recherche de la meilleure Constitution est aussi ancienne que la politique. Dans son livre Politique, Aristote écrit qu’il appartient à la science « d’examiner quelle est la constitution la meilleure, quelles qualités elle doit avoir pour correspondre le mieux possible aux vœux île tous, dans la mesure où aucun obstacle extérieur n’y fait entrave, et île savoir quel régime est en harmonie avec tel ou tel peuple ». Et il précise : « Il faut examiner non seulement la meilleure constitution, mais encore celle qui est possible. »
Mais l’histoire constitutionnelle de la France enseigne à quel point ce qui paraît rationnel sur le papier et peut procurer « au théoricien des plaisirs raffinés » (voir Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958) peut ne pas être raisonnable.
Tout constituant devrait s’imposer un salutaire devoir d’humilité qui, malheureusement, s’accommode difficilement de la passion qui accompagne un travail de fondation, ou de refondation constituante. C’est ainsi qu’en 1946,1e constituant (il y eut en fait deux assemblées constituantes successives) devait élaborer ce qui serait la Constitution de la IVe République. Le refus d’un retour à la IIIe République (exprimé lors du référendum du 21 octobre 1945 par 96 % des suffrages exprimés), l’ardeur réformatrice très répandue, une volonté politique presque unanime : tout contribuait à « faire du neuf ». Le projet de Constitution soumis à référendum le 13 octobre 1946 était une très belle construction sur le papier : promotion de la fonction de chef du gouvernement, procédure d’investiture, recours très encadré au droit de dissolution… On sait ce qu’il en advint. La rationalité constituante s’était prise au piège de ses subtilités et la vie politique ne tarda pas à infliger au constituant le plus cinglant des démentis : ce qui était rationnel n’était pas raisonnable.
Solon avait raison
Dans ses Notes sur l’Angleterre (1876), Hippolyte Taine écrivait :
« Presque toute l’Europe a essayé ou adopté le système anglais, monarchie plus ou moins tempérée, Chambre basse et Chambre haute, élections, etc. Considérez-en l’effet grotesque en Grèce, lamentable en Espagne, fragile en France, incertain en Autriche et en Italie, insuffisant en Prusse et en Allemagne, heureux en Hollande, en Belgique et dans les Etats scandinaves. La Constitution d’un Etat est chose organique comme celle d’un corps vivant ; elle n’appartient qu’à lui ; un autre ne peut se l’assimiler, on n’en copie que les dehors. Au-dessous des institutions, des chartes, des droits écrits, de Almanach officiel, il y a les idées, les habitudes, le caractère, la condition des classes, leur position respective, leurs sentiments réciproques, bref un écheveau ramifié des profondes racines invisibles sous le tronc et le feuillage visibles. Ce sont elles qui nourrissent et soutiennent l’arbre. »
Et près d’un siècle plus tard, Soljenitsyne reprendra dans Août 14 (La roue rouge, premier nœud) le même thème :
« Qui pourrait se vanter de pouvoir inventer des institutions idéales ? Celui-là seulement qui estime qu’avant nous, avant notre génération, il n’y a rien eu d’important, que tout ce qui compte ne fait que commencer. Et qu’il n’y a que nos idoles et nous qui connaissions la vérité, et que ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, ce sont des imbéciles ou des scélérats… »
On laissera le mot de la fin à Solon, cité par le général de Gaulle à la fin du célèbre discours de Bayeux (16juin 1946) : «Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : “Quelle est la meilleure Constitution ?” Il répondait : “Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque.” »