L'encadrement de la fonction administrative : La limitation de l'action administrative
Dans la mesure où le droit administratif définit un champ d’action possible pour l’Administration, il en fixe du même coup les limites. Le droit administratif délimite un régime administratif, c’est-à-dire un ensemble de règles applicable à l’Administration, et il en sanctionne la violation.
1. La délimitation du régime administratif
Il existe deux formes de mise en œuvre de la puissance publique par l’Administration : la police et le service public.
• La police administrative a pour objet de limiter la liberté des individus dans le but de protéger l’ordre public. La notion d’ordre public synthétise l’ensemble des comportements qui à un moment donné sont considérés comme permettant une vie sociale normale. Ainsi, la police administrative limite la liberté des automobilistes, des commerçants, etc.
Il existe une police des activités financières, du cinéma, du commerce des denrées. Ces différentes polices sont appelées polices administratives spéciales et se distinguent de la police administrative générale de maintien de l’ordre. Celle-ci appartient au maire dans le cadre du territoire communal, au préfet dans celui du département et aux Premier ministre et ministre de l’intérieur dans celui du territoire national.
La police administrative s’exerce d’abord par des règles juridiques, puis par des activités matérielles qui visent à rappeler l’existence de ces règles par la dissuasion et la prévention de la délinquance.
Elle obéit à un régime particulier qui la limite à ce qui est strictement nécessaire au maintien de l’ordre public. Toute décision de police qui limite la liberté individuelle à un degré qui n’est pas rigoureuse¬ment proportionné aux besoins de l’ordre public est illégale (C.E., 19 mai 1933, Benjamin), mais la violation des règles de police régulières constitue une infraction qui justifie la répression judiciaire (police judiciaire).
• Le service public consiste à délivrer une prestation de service (école publique, hôpitaux publics, entretien des routes, etc.) sous un régime administratif. Les services publics se sont considérablement développés depuis deux siècles dans le cadre de ce que l’on appelle l’Ëtat providence, alors que l’État gendarme fait intervenir essentiel¬lement l’activité de police.
La création de services publics par l’Administration est limitée par le principe de liberté du commerce et de l’industrie, qui interdit à l’Administration de faire une concurrence déloyale aux activités privées.
Le service public doit donc pallier l’insuffisance quantitative ou qualitative de l’initiative privée.
L’activité de service public est soumise à un régime juridique spéci¬fique qui s’énonce en trois règles : l’égalité des usagers devant le service (pour accéder à la prestation) et dans le service (pour en bénéficier) ; la continuité du service (règle fortement nuancée par le droit de grève des agents) ; et l’adaptation aux besoins déterminés par l’Administration (nul n’a de droit acquis au maintien d’une prestation de service public).
Toutefois, le régime du service public échappe en partie au droit administratif. En effet, il existe une catégorie de services publics à caractère industriel et commercial qui doivent être gérés dans les mêmes conditions qu’une activité privée : le personnel, les usagers ou les fournisseurs sont soumis au droit privé (T.C., 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain).
Les personnes publiques peuvent gérer elles-mêmes les services publics (régies) ou en déléguer la gestion à d’autres personnes, publiques ou plus souvent privées.
2. La sanction du régime administratif
Le régime administratif est dominé par deux grands principes : celui de la légalité et celui de la responsabilité, dont la violation est sanction¬née par le juge administratif.
a) La sanction de la légalité : lorsque rAdministration méconnaît les règles juridiques qui s’imposent à elle (voir I.B), le recours pour excès de pouvoir permet l’annulation de l’acte administratif illégal.
Il s’agit d’une action, c’est-à-dire d’une demande faite au juge (l’action se dis¬tingue de l’exception d’illégalité, qui permet d’écarter l’application d’un acte administratif illégal) contre des décisions exécutoires — et non de simples informations.
Le motif du recours doit être l’illégalité de l’acte (à la différence d’un recours gracieux dans lequel l’administré peut invoquer l’équité ou l’opportunité). Les cas d’illégalité sont l’incompétence, le vice de forme ou de procédure, la violation de la loi, le détournement de pouvoir.
Seule une personne ayant capacité d’agir en justice et un intérêt à l’annulation de l’acte peut faire ce recours (son destinataire, un tiers dont les intérêts sont méconnus). Il ne peut pas s’agir d’un citoyen agissant dans le seul but de préserver la légalité. Si l’acte est jugé illégal, il est annulé en tout ou partie et le juge pourra, si nécessaire, mettre en œuvre ses pouvoirs de coercition à l’égard de l’Administration pour faire rétablir la légalité (voir III.B.2.a).
b) La sanction de la responsabilité : les personnes publiques dont l’activité a causé un dommage au particulier sont tenues de le réparer. Ce principe général du droit de la responsabilité (voir I.B) ne peut être écarté que par la loi dans des cas exceptionnels (dommages de guerre ou certains services particuliers tels que la poste aux lettres). Pour que la res¬ponsabilité administrative soit reconnue, deux conditions doivent être simultanément réunies : un fait dommageable et un préjudice réparable.
- Le fait dommageable doit généralement être fautif. La faute de l’Administration, ou faute de service, consiste dans un écart entre ce qui a été fait et ce qui aurait dû l’être. Il peut s’agir soit d’une carence, soit d’un excès de zèle (pour la police, par exemple), dès lors qu’il ne s’agit pas d’une faute personnelle d’un agent sans lien avec le service.
Le juge administratif apprécie la faute au cas par cas et sera plus indul¬gent pour des activités administratives difficiles (comme le maintien de l’ordre ou l’administration fiscale).
Parfois, le fait fautif de l’Administration est présumé et celle-ci doit montrer qu’elle n’a pas commis de faute (théorie du défaut d’entretien normal de l’ouvrage public lorsque la victime est un usager). Dans certains cas, la responsabilité administrative est engagée même si le fait dommageable n’est pas fautif (responsabilité sans faute), notamment lorsque l’Administration fait courir un risque anormalement grave aux administrés (C.E., 28 mars 1919, Regnault-Desroziers). Cela concerne ainsi l’activité médicale à l’hôpital (aléas thérapeutiques, C.E., 9 avril 1993,Bianchi) ou les tiers victimes d’un ouvrage public. Il existe de plus en plus de régimes de responsabilité sans faute mis en place par la loi (comme les vaccinations obligatoires).
- Le préjudice réparable doit être certain (même s’il est futur), spécial à la victime (ne pas concerner toute une catégorie de citoyens, auquel cas il s’agit d’une charge publique), et direct, c’est-à-dire imputable directement à la personne publique. C’est ainsi que la faute de la victime l’exonère en tout ou partie de sa responsabilité.
La reconnaissance de la responsabilité de l’Administration l’oblige à réparer, normalement en argent, ou si la victime accepte, en nature (réparation d’un bâtiment endommagé, par exemple).
c) La voie de fait et l’emprise irrégulière sanctionnent l’atteinte illégale à la liberté individuelle et à la propriété privée.
La voie de fait est une action de f Administration « manifestement insusceptible d’être rattachée à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’Administration » (C.E., 18 novembre 1949, Carlier) et portant atteinte à une liberté fondamentale (ainsi l’exécution par la force d’une décision administrative en dehors des cas où elle est possible, T.C., 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just).
L’emprise irrégulière est la violation de la propriété privée (une réqui¬sition irrégulière ou l’implantation d’un ouvrage public sur une pro¬priété privée). Seul le juge judiciaire peut prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin. Dans cette hypothèse, l’Administration sort de la fonction administrative. On peut parler de déni d’Administration.