Les caractéristiques du droit administratif: les caractères du droit administratif
Reprenant une tradition de l’Ancien Régime, le juge administratif ne s’est jamais senti tenu d’appliquer le droit civil — même après que celui-ci a été codifié en 1804 —, ni, d’une manière générale, les règles faites pour les relations entre particuliers. Cette habitude fut érigée en
principe par l’un des premiers arrêts du Tribunal des conflits, aujourd’hui considéré comme fondateur du droit administratif contemporain (T.C.,8 février 1873, Blanco).
Dans une affaire opposant un particulier qui avait subi des dommages du fait d’agents de l’Administration à l’État, le Tribunal juge : « que la responsabilité qui peut incomber à l’Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait de personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil pour les rapports de particuliers à particuliers ; que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu ’elle a ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ; que, dès lors, au terme des lois ci-dessus visées [il s’agit de la loi des 16 et 24 août 1790], l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître. »
Ainsi, non seulement le juge administratif n’est pas tenu d’appliquer les règles du droit commun, mais en outre sa compétence est liée au fait d’appliquer les règles spéciales du droit administratif (la compétence suit le fond).
Dès lors que ce droit spécial applicable à l’Administration n’a jamais été codifié, le juge administratif doit rechercher les règles à appliquer. Ainsi le droit administratif est-il un droit jurisprudentiel, qui laisse néanmoins une place de plus en plus importante à des sources écrites.
1. Le caractère jurisprudentiel du droit administratif
Le juge administratif est amené à créer des règles jurisprudentielles fondamentales qu’il appelle les principes généraux du droit applicables, auxquels il donne la valeur de lois non écrites, qui s’imposent à l’Administration.
Ont été progressivement créés, notamment : le principe de la respon¬sabilité de l’Administration, celui de l’existence du recours pour excès de pouvoir, de l’égalité entre les usagers du service public, celui du contradictoire en cas de l’application d’une décision prise en considé¬ration de la personne, celui de l’application de règles du droit du travail aux agents de l’Administration, et le principe de liberté de concur¬rence. Ainsi, grâce à la technique des principes généraux du droit et des règles fondamentales de procédure, le juge administratif a structuré l’ensemble du droit administratif.
En outre, l’autonomie du juge administratif dans l’application du droit justifie qu’il aille rechercher dans la législation des règles écrites appli¬cables à l’Administration, même si elles n’ont pas été spécifiquement conçues pour elle. Aussi les sources écrites du droit administratif sont- elles de plus en plus nombreuses à mesure que le législateur se fait de plus en plus bavard.
2. Les sources écrites du droit administratif
Il n’existe pas de sources écrites spécifiques au droit administratif. Celui-ci les partage avec l’ensemble du droit français, même si certains textes sont destinés à l’Administration. Par ordre hiérarchique décrois¬sant, les sources du droit administratif sont :
La Constitution : Depuis la Constitution du 22 frimaire de l’an VIII, l’organisation et le fonctionnement de l’Administration ont été très largement détachés de la Constitution, ce qui a d’ailleurs permis une remarquable stabilité administrative de la France par-delà la grande instabilité constitutionnelle (15 textes se sont succédé depuis 1791). Cependant, au fil de ses 20 révisions, la Constitution de 1958 s’est progressivement enrichie de dispositions concernant l’Administration, tant dans le texte lui-même et dans son préambule que par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le préambule reprend la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui pose peu de règles directement applicables à l’Administration. On note cependant l’article 15, selon lequel « la Société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration », et l’article 7, qui protège le droit de propriété des personnes publiques.
L’inclusion dans le préambule de la Charte de l’environnement de 2004 renforce les sources constitutionnelles du droit administratif sans que l’on puisse encore en déterminer l’importance.
Les sources communautaires : Le droit communautaire, notamment dérivé, peut être d’application directe en droit interne, même lorsqu’il n’a pas été transposé, après la date limite de transposition (C.E., 6 février 1998,Tête). En outre, le juge administratif contrôle la régularité des actes administratifs par rapport aux directives com¬munautaires dont ils sont l’application (C.E., 28 septembre 1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France).
Les sources législatives : La loi qui peut faire l’objet d’une codification dite administrative s’impose à l’Administration. On note ainsi l’existence du code de justice administrative — déjà évoqué —, du code général des collectivités territoriales, du code de l’urbanisme, du code de l’environnement, etc.
D’autres lois non codifiées s’imposent à F Administration, soit par leur objet même (loi du 12 avril 2000 sur les relations entre l’Admi- nistration et les administrés), soit que le juge administratif décide qu’il s’agit de dispositions que l’Administration doit respecter (ainsi l’ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté de la concurrence, désormais intégrée dans les dispositions du code de commerce).
Les sources administratives : L’Administration doit respecter les règles qu’elle pose elle-même, notamment en application de l’article 20 de la Constitution qui confie le pouvoir réglementaire au Premier ministre, et de l’article 37 qui lui attribue le droit d’établir des normes dans les matières autres que celles réservées au législateur par l’article 34 (ainsi le décret du 1er août 2006 portant code des marchés publics).
Il existe donc tout un ensemble de règles qui pour une part s’imposent à l’Administration de l’extérieur, mais dont celle-ci est pour une autre part la source, et qui lui permettent de se construire et d’agir en imposant des obligations aux administrés dans les limites qui lui sont fixées par le législateur et le juge.